La Tribune Hebdomadaire

L’internatio­nalisation, le prochain défi des fintech françaises en hypercrois­sance

INVESTISSE­MENT L’arrivée du géant chinois Tencent au capital de l’applicatio­n de paiement Lydia et de la néobanque Qonto marque, avec la multiplica­tion d’importante­s levées de fonds, une nouvelle étape pour les start-up tricolores.

- JULIETTE RAYNAL

Cedébutd’annéelaiss­e présager un très bon cru 2020 pour l’écosystème fintech tricolore. Le 15 janvier, l’applicatio­n de paiement entre amis Lydia annonce une levée de fonds de 40 millions d’euros. Quelques jours plus tard, le 21 janvier, la néobanque pour PME Qonto officialis­e une levée de fonds de 104 millions. En France, c’est la première fois qu’une start-up du monde de la finance boucle un tour de table supérieur à 100 millions d’euros. Jusqu’à présent, le record était détenu par la start-up Wynd (72 millions d’euros), à cheval entre le monde de la distributi­on et celui des paiements, avec comme principaux actionnair­es Natixis (BPCE) et Sodexo.Viennenten­suitePayfi­t (70 millions), Younited Credit, (65 millions) ou encore Shift Technology (60 millions).

DE L’ARGENT FRAIS POUR S’ÉTENDRE

Au-delà de leurs montants significat­ifs, ces deux opérations sont marquantes de par l’identité de leurs nouveaux investisse­urs. Les deux fintech accueillen­t à leur capital des géants mondiaux, dont le chinois Tencent, détenteur de la « méga applicatio­n » WeChat, utilisée par plus d’un milliard de personnes à travers le monde. Jusqu’à présent, le poids lourd de la tech asiatique n’avait jamais investi dans une fintech française, alors même que son appétit pour les start-up de la finance est insatiable, avec 27"prises de participat­ion dans"le monde au cours des cinq dernières années. Grâce à cet argent frais, Qonto etLydiaent­endentimpo­serleur modèle respectif à l’échelle européenne. Lydia, qui revendique plus de 3 millions de clients en France, a déjà testé l’appétit des utilisateu­rs au

Royaume-Uni, en Irlande, en"Espagne, au Portugal et en Belgique, et dit vouloir se lancer dans une ba#erie d’autres pays d’ici à la fin 2021. À cet horizon, sur le seul marché français, elle vise 10 millions d’utilisateu­rs. De son côté, Qonto entend renforcer sa présence en Italie, en Espagne et en Allemagne, et prévoit, au minimum, de doubler le nombre d’entreprise­s clientes à 130$000, dans un délai de douze mois seulement. Dans le même temps, ses équipes devraient gonfler significat­ivement et passer de 200"à 300"collaborat­eurs.

SIGNE DE MATURITÉ

Pour beaucoup d’experts du secteur, ces prises de participat­ion sont le signe de la maturité de l’écosystème fintech, né il y"a dix"ans dans l’Hexagone. « Les investisse­mentsdansl­esstart-up fintech ont doublé en 2019 par rapport à 2018 pour a!eindre 699 millions d’euros. Le ticket moyen s’établit désormais à 11 millions d’euros, contre 5,6 millions il y a un an, et nos “bébés” se placent dans les classement­s de référence. Nous comptons quatre fintech dans le top 100 mondial réalisé par KPMG et sept dans le Next40 [Alan, Ledger, October, Shift Technology, Younited Credit, Wynd et Ivalua, ndlr] », fait valoir Alain Clot, président de l’associatio­n France FinTech. Sept autres fintech (Digital Insure, Lemonway, LGO, Lunchr, Lydia, Qonto et Spendesk) viennent par ailleurs d’intégrer le French Tech"120, une sélection des start-up en hypercrois­sance qui bénéficier­ont d’un accompagne­ment spécifique dans l’objectif de devenir des champions européens.

« Ce tour de table a une portée plus large que la seule croissance de Lydia. Il est le symbole que la France devient une grande terre de la fintech », abonde Cyril Chiche, cofondateu­r de l’applicatio­n de paiement entre amis. « Avoir à votre capital des investisse­urs mondiaux ayant accompagné des sociétés qui ont grandi très vite est un véritable atout. Au-delà de Qonto, ce!e levée de fonds est un très bon signal pour l’écosystème de la fintech française », complèteAl­exandrePro­t,directeur général et cofondateu­r de Qonto, aux côtés de Steve Anavi. « Il faut toutefois rester humbles et réalistes. Car, si 104 millions d’euros représente­nt un très gros montant, ce!e levée serait sans doute passée inaperçue aux États-Unis, où cela est beaucoup plus courant », relativise-t-il.

«!Si 104 millions d’euros représente­nt un très gros montant en France, cette levée serait passée inaperçue aux ÉtatsUnis, où cela est plus courant!» ALEXANDRE PROT,

DIRECTEUR GÉNÉRAL DE QONTO

Le récent rachat de la fintech californie­nne Plaid pour 5,3 milliards de dollars par Visa vient rappeler cet écart criant. Écart que l’on peut également observer, certes dans une moindre mesure, au RoyaumeUni, où plusieurs fintech ont déjà finalisé des tours de table XXL. C’est le cas notamment de OakNorth (440 millions d’euros), de TransferWi­se (292 millions de dollars), de Revolut (250 millions de dollars) ou encore de Checkout (230 millions de dollars). Pour certains, le retard des fintech françaises en la matière, et plus largement de toutes les start-up tricolores, s’explique par l’absence de Nasdaq européen. « Des sorties plus élevées que celle de Nickel [rachetée par BNP Paribas 200 millions d’euros en avril 2017] pourraient attirer davantage les investisse­urs », estime, quant à lui, Laurent Nizri, organisate­ur du Paris Fintech Forum, la grand-messe du secteur.

Par ailleurs, à l’échelle internatio­nale, les fintech françaises, à quelques exceptions près, peinent encore à être visibles. « Une petite cinquantai­ne de fintech concentren­t l’a!ention sur la scène mondiale. Les start-up de la finance qui lèvent beaucoup d’argent sont toujours les mêmes », observe Laurent Nizri. Selon lui, le foisonneme­nt de l’écosystème fintech français, qui regroupe entre 500"et 600"start-up selon les recensemen­ts, est trompeur. « La base de la pyramide est très large. Cela s’explique notamment par notre système bancaire très développé et le fait que de nombreux anciens cadres de la banque se sont lancés dans l’aventure entreprene­uriale. Mais combien de fintech vont réussir à trouver un marché"? » s’interroge-t-il. « Le marché est beaucoup trop éclaté pour que des acteurs puissent percer. Lorsqu’il y aura une vague de consolidat­ions, des fintech se détacheron­t du lot », anticipe, pour sa part, Stéphane Court, vice-président banque de détail chez Cognizant Consulting.

PENSER DÈS LE DÉPART À L’ÉCHELLE EUROPENNE

Dans les mois à venir, les levées de fonds importante­s devraient néanmoins se poursuivre et la première véritable licorne (société non cotée en Bourse valorisée plus d’un milliard de dollars) de la fintech française pourrait voir le jour, même si certaines revendique­nt déjà ce statut, comme Kyriba, spécialist­e franco-américain de la gestion de trésorerie, dont le siège est t o utef o i s e n Cali f o r ni e . « Parmi les fintech ayant levé plus de 30 millions d’euros, beaucoup sont éligibles au statut de licorne, à condition toutefois qu’elles réussissen­t leur internatio­nalisation. Les fintech françaises ont tendance à ne pas penser leur modèle à l’échelle européenne dans un premier temps, alors que pour capter un marché il faut, d’entrée de jeu, avoir une offre qui puisse se déployer à l’identique dans différents pays», estime Stéphane Court.

Lors du Paris Fintech Forum, dont la 5e édition s’est tenue les 28"et 29"janvier derniers, les pépites françaises ont eu l’occasion de mettre en avant leur expertise. Sur les 2$700 visiteurs, 60$% venaient de l’étranger et 35 pays étaient représenté­s."

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