«!Sans règlement de la question libyenne, le terrorisme au Sahel continuera!»
SÉCURITÉ À l’heure où l’e!cacité de la force Barkhane suscite les interrogations des populations sahéliennes, Jean-Louis Bruguière, désormais reconverti dans le conseil à l’international, revient sur le risque de contagion d’une crise sécuritaire qui s’éternise.
LA TRIBUNE AFRIQUE – Quel regard portez-vous sur la situation sécuritaire au Sahel, enlisé dans une crise protéiforme"?
JEAN!LOUIS BRUGUIÈRE" – Les groupes terroristes prolifèrent et la situation est particulièrement préoccupante, avec une a#gravation de la sécurité au Burkina Faso, au Mali et au Niger, mais aussi dans le sud et le sudest du Sahel, avec des risques d’extension au nord du Togo, du Bénin et du Ghana. Le vrai problème, c’est l’absence de règlement politique. L’opération Serval a été extrêmement salutaire, car plusieurs centaines de djihadistes ont été éliminés alors que se dessinait une opération imminente de prise de contrôle de Bamako, dans le but d’y établir un califat. Ce$e question a été réglée, mais la résolution militaire ne suffit pas. Ce$e opération était l’occasion pour la France de convaincre Bamako de régler le problème de l’Azawad avec les Touaregs, mais elle n’a pas réussi et, maintenant, lenorddupayséchappecomplètement au contrôle du pouvoir régulier malien.
Aujourd’hui, on est loin de l’enthousiasme suscité par les Français dans le cadre de l’opération Serval, et la présence militaire de la France est de plus en plus contestée par les populations d’Afrique de l’Ouest francophone. Comment l’expliquez-vous"?
Il y a un retour du sentiment anticolonialiste et les populations locales a$endaient beaucoup plus de la force Barkhane. Elles voulaient un retour à la paix. Cela étant, vous ne pouvez pas régler un problème sécuritaire de ce$e dimension avec 4&500 hommes répartis sur une surface grande comme l’Europe. On constate également une insuffisance d’implication des gouvernements locaux et leur incapacité à apporter une réponse sécuritaire. La France ne peut pas tout faire. Elle apporte un soutien militaire, mais on voit bien les limites de Barkhane…
Selon vous, la déclaration du président Macron à Pau, mi-janvier, a-t-elle permis de clarifier la situation sur la présence française au Sahel"?
Il était important de le faire, car la question se posait en France de continuer l’opération Barkhane ou non. À"Pau, la France a montré qu’elle ne se retirerait pas, mais qu’il fallait trouver une nouvelle configuration, beaucoup plus coordonnée au niveau opérationnel et stratégique, entre le G5 Sahel et la force Barkhane.
Comment stopper la contagion du terrorisme sans régler la question libyenne"?
La solution pour freiner le terrorisme régional se trouve effectivement en Libye. Autrefois, ce pays était surarmé. Lorsque le colonel Kadhafi est mort, ces armes ont été pillées, en particulier par les membres du crime organisé, qui en ont revendu une partie au niveau régional. Ce sont ces armes qui circulent aujourd’hui dans le Sahel. Aussi, sans règlement de la question libyenne, le terrorisme au Sahel continuera…
Faut-il élargir la coalition du G5 Sahel en y intégrant d’autres acteurs comme l’Algérie, par exemple"?
Ce pays possède un agenda politique complexe. Il a toujours été réticent à coopérer dans le cadre d’une alliance pilotée par la France. Les relations entre Paris et Alger sont compliquées, en particulier sur la question touarègue. L’Algérie n’a pas voulu s’impliquer dans Barkhane alors qu’elle est directement concernée par la question, car ces groupes terroristes étaient algériens à l’origine": le GIA, le GSPC et Aqmi. Bien qu’ils soient aujourd’hui sortis d’Algérie, le terrorisme affecte désormais le sud Sahara algérien, du côté du Mali. Je pense donc que l’Algérie, qui est un acteur régional majeur, doit, à terme, s’impliquer dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.
Une coalition transnationale intégrant plusieurs pays extra-africains est-elle envisageable"?
Ce n’est qu’un voeu pieux. Les ÉtatsUnis sont peu intéressés par l’Afrique et la politique de Donald Trump s’oriente vers un désengagement militaire, y compris dans la zone syroirakienne. Récemment, les Américains ont d’ailleurs annoncé leur volonté de se retirer du Sahel, avec tous les problèmes que cela posera en termes logistiques. Quant aux Russes ou aux Turcs, ils sont sur des agendas complètement différents. Les grands pays n’ont pas les mêmes intérêts, donc, selon moi, le consensus est impossible."
«$Ces groupes terroristes étaient algériens à l’origine. L’Algérie, qui est un acteur régional majeur, doit donc, à terme, s’impliquer dans la lutte contre le terrorisme au Sahel$»