[ L’aviation française veut sa filière de biocarburants ]
« Les ressources disponibles en métropole sont su$santes pour assurer les besoins internes à court et moyen terme »
FABRICE ROSSIGNOL,
DIRECTEUR GÉNÉRAL DÉLÉGUÉ DE SUEZ
«!Air France est engagée depuis des années dans ce défi environnemental, mais nous ne l’avons pas fait assez savoir, ajoute-t-elle. Nous avons comme objectif une réduction de 50"% de notre pollution de CO2 par passager en 2030, en comparaison au niveau de 2005. Nous sommes!déjà à mi-chemin. Évidemment, une telle ambition représente un investissement lourd, d’un milliard d’euros chaque année pour notre entreprise. » Un investissement qui comprend notamment la commande de 38 avions long-courriers A350 et 60 A220 auprès d’Airbus. « Ce#e nouvelle génération d’avions rend plus propre le trafic aérien. Ces modèles perme#ent de réduire de 15"% à 25"% la consommation de carburant. Mais!Airbus doit aller plus loin, et c’est pour ce#e raison que nous nous engageons dans des programmes de recherche ambitieux, pour aller vers!un transport aérien décarboné. Pour y parvenir, un effort collectif est nécessaire afin de!me#re en place les conditions économiques et réglementaires adéquates », estime Guillaume!Faury, le PDG d’Airbus.
Ainsi, l’avionneur européen, Air France, Safran, Total et Suez ont signé en décembre 2017 un Engagement pour la croissance verte (ECV) pour le développement de biocarburants aéronautiques. Concrètement, cela consiste à remplacer le kérosène traditionnel par du biokérosène composé de résidus d’huiles usagées, de graisses animales non comestibles ou de déchets forestiers.
UNE CARTOGRAPHIE DES RESSOURCES
Pour développer ces nouveaux carburants, qui ont un bilan carbone de 60 à 80"% inférieur aux énergies fossiles actuellement consommées, les cinq signataires ont étudié avec les services de l’État les moyens de constituer une véritable filière française des biocarburants destinés à l’aéronautique. « Nous avons réalisé une cartographie des ressources mobilisables sur le territoire national dans l’optique de créer des biocarburants pour le transport aérien. Les ressources disponibles en métropole sont en quantité suffisante pour assurer les besoins internes à court et moyen terme. Néanmoins, les graisses et huiles, qui représentent 100"000 à 150"000 tonnes de déchets par an, ne surffiront pas pour assurer un approvisionnement durable de la chaîne de production. D’autres leviers sont à trouver, et ce, dans l’évolution des comportements », décrypte Fabrice Rossignol, directeur général délégué chez Suez chargé du recyclage et de la valorisation en France. Les algues pourraient également être une piste à étudier, selon des experts en revalorisation des déchets. Afin d’identifier des gisements de biomasse supplémentaires et d’élaborer des circuits de production, la ministre de la Transition écologique, Élisabeth Borne, et le secrétaire d’État aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, se sont rendus, lundi 27 janvier, dans la capitale mondiale de l’aéronautique pour « poser la première pierre de ce#e future filière ». Sur le site d’Airbus, à Toulouse, les deux membres du gouvernement ont lancé un appel à manifestation d’intérêt (AMI) sur les biocarburants durables pour l’aviation. « Comme tous les secteurs, l’aviation doit s’engager dans la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, même si ce secteur se développe. Pour cela, les biocarburants peuvent être la meilleure réponse, aux côtés des carburants de synthèse, et de l’hydrogène dans un second temps, qui devra nous pousser à revoir la conception même de nos avions. Ces biocarburants doivent être des filières durables. Il n’est pas question qu’on se retrouve à exploiter des ressources qui contribueraient à la déforestation ou qui viendraient en concurrence de notre alimentation », prévient Élisabeth Borne, qui souhaite que la France prenne le leadership sur le sujet. Pour proposer un projet correspondant à ces critères, les entreprises, seules ou en groupement, ont jusqu’au 30 juin 2020 pour se manifester. Par la suite, les initiatives retenues devront perme#re de suivre la trajectoire de substitution du kérosène fossile par des biocarburants durables selon le calendrier suivant, fixé par le gouvernement": 2"% en 2025, 5"% en 2030 et 50"% en 2050. Une feuille de route peu ambitieuse au premier abord.
UN USAGE FREINÉ PAR LES COÛTS
« Il vaut mieux se fixer des objectifs mesurés afin d’éviter de se retrouver dans une situation qui nous amènerait à importer de la biomasse. Nous avancerons à un rythme raisonnable en nous assurant que nous sommes capables d’alimenter les filières de production de ces biocarburants », argumente la ministre. « La technologie est mature, il y a désormais un enjeu de massification de son utilisation », ajoute Jean-Baptiste Djebbari. Malgré ce#e maturité, la moyenne mondiale d’incorporation des biocarburants dans les avions est de 0,06"% seulement. Un triste bilan, surtout qu’Airbus avance que ses avions peuvent recevoir un plein de kérosène contenant jusqu’à 50"% de biocarburant. Seulement, l’utilisation de ces nouvelles énergies est ralentie par son coût, qui est deux à cinq!fois plus élevé que celui du kérosène. Hors de question pour les compagnies de s’infliger un tel handicap dans un marché ultra-concurrentiel comme celui du trafic commercial.
QUEL SOUTIEN PUBLIC!?
Alors, pour encourager son utilisation, la Norvège par exemple exige depuis cette année que tous les réservoirs au départ du pays contiennent au moins 0,5 % de biocarburant, avec un objectif d’augmentation au cours des prochaines années. La France réfléchirait également à la mise en place d’un tel dispositif. Ce qui n’empêche pas certains acteurs d’anticiper ce#e réglementation. À!partir de juin, Air France va incorporer du biokérosène dans tous ses vols outre-Atlantique au départ de San Francisco (États-Unis). « Malgré le besoin de baisser nos émissions de gaz à effet de serre, il faut rester vigilant quant à la compétitivité de nos entreprises. Afin de garantir le bon développement du biocarburant, il est important d’assurer une stabilité fiscale et réglementaire pour a#irer les investisseurs. Il y a un besoin de recours à la puissance publique », a précisé aux deux ministres Paul Mannes, directeur Aviation au sein du groupe Total, également présent dans la Ville rose à l’occasion du lancement de l’AMI. Une demande qui semble être comprise de la part du gouvernement. « Nous regardons actuellement un certain nombre de dispositifs, mis en place aux États-Unis et ailleurs, pour comparer et voir dans quelle mesure ces mécanismes de soutien peuvent être activés pour a#eindre les objectifs que nous nous sommes fixés », tient à faire savoir le secrétaire d’État Jean-Baptiste Djebbari. Avec un soutien public financier ou non, « l’avenir de l’aviation dépend de ce#e neutralité carbone », met en garde Élisabeth Borne.