Un accord sur fond de conflit pour la desserte maritime corse
AJACCIO Les marins des syndicats STC et CFTC sont en grève depuis le 8 janvier. Au-delà de l’impact économique, le mouvement exige que les deux compagnies qui desservent l’île, La Méridionale et Corsica Linea, trouvent un accord de partenariat.
Le pavillon de la grève durable et du blocus n’avait pas flo!é sur la desserte maritime corse depuis plus de quatre ans et il est aujourd’huilesymptômed’unetension réelle entre La Méridionale (ex-CMN) et Corsica Linea (ex-SNCM). Anciennement soeurs pour assurer la délégation de service public (DSP), une enveloppe délivrée par la Collectivité de Corse (CdC) mobilisant des fonds européens, les deux compagnies ont répondupendantvingt-cinq"ansausein d’un partenariat commun à la desserte des cinq ports de l’île. Jusqu’à devenir parfois les meilleures ennemies. En grève depuis le 8 janvier, les marins du Syndicat des travailleurs corses (STC) et de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) paralysent le trafic entre l’île et le continent en bloquant les navires : ils exigeaient la reprise des discussions et, à terme, du partenariat entre les deux.C’est chose faite.
Réunis en concile, les dirigeants des deux compagnies ont annoncé par le biais d’un communiqué écrit à quatre mains le 28 janvier, la conclusion d’un « accord de projet industriel pour la réponse à l’appel d’offres pour la concession de service public de la desserte maritime de la Corse du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2027 ». Cet accord « repose sur la complémentarité des deux compagnies », lesquelles disent préserver, en cas de succès, « les équilibres économiques et sociaux respectifs ». Le contenu de ce partenariat sera précisé « ultérieurement » .
Or, cet accord n’a pas suffi à éteindre totalement une inquiétude qui venait de loin. « La seule solution viable est le partage équitable des deux ports principaux, Bastia et Ajaccio, conformément à l’accord verbal passé en juin 2019 avec Corsica Linea, qui s’engageait à bâtir un projet industriel commun », martelait au plus fort de la grève Cyril
Venouil, délégué syndical STC de La"Méridionale, tout en s’inquiétant pour la « casse sociale » qui pourrait a!eindre les 500"marins de la compagnie marseillaise et les emplois indirects. « Le risque d’un monopole pourrait aussi se traduire par une augmentation du prix du billet pour le passager », calculait le syndicaliste. Pascal Trojani, PDG de Corsica Linea, a été peu disert pendant la partie d’échecs qu’a jouée la compagnie en janvier avec La Méridionale, mais il avait fait savoir, par voie de presse, que « l’accord n’avait pas été respecté » et invitait son concurrent à « tenir ses engagements ». « Le sujet n’est pas de savoir qui va desservir le port A ou le port B, mais comment deux entreprises peuvent utiliser au mieux leur complémentarité pour répondre ensemble à un appel d’offres public et faire la meilleure offre possible », appuyait à sa suite le directeur général de Corsica Linea, Pierre-Antoine Villanova, qui souhaitait « que le bon sens l’emporte ».
Ce bon sens suffira-t-il à remporter l’appel d’offres où une autre compagnie, Corsica Ferries, plus orientée vers le trafic des passagers que vers le fret, se positionne également%? La DSP entend compenser financièrement l’insularité corse en mettant le kilomètre maritime au même tarif que l’autoroute. D’autre part, cette enveloppe soutient le délégataire pendant la basse saison, notamment dans les trois ports secondaires (L’Île-Rousse, Propriano et Porto-Vecchio), sachant que Bastia et Ajaccio pèsent 80%% de l’activité. Si en 2017, le montant de la DSP était de 78 millions d’euros, les règles changeront au 1er janvier 2021. L’Assemblée de Corse majoritairement nationaliste avait fait de la création d’une compagnie régionale maritime son cheval de bataille depuis son accession au pouvoir en 2015.
UN PARTENARIAT PUBLIC!PRIVÉ
Elle a donc voté en novembre dernier pour que cette desserte s’effectue désormais dans le cadre d’un partenariat public-privé, via une société d’économie mixte à opération unique (Semop), dont l’appel d’offres s’ouvrira le 14 février prochain et où la CdC sera majoritaire. « Le transport maritime est un vecteur stratégique. La CdC n’a pas vocation à se substituer au privé et respecte les règles de la concurrence fixées par l’Union européenne, mais il est impératif qu’elle ait la maîtrise de ses choix en matière de desserte maritime », cadre Gilles Simeoni, le président du Conseil exécutif de Corse, qui rappelle que « c’est aux compagnies à s’adapter à la CdC, et non l’inverse ».
Le cahier des charges de la Semop, à venir en 2021, délimite une période de sept"ans et entend répondre aux exigences de l’assemblée insulaire : « le respect du service public dans le cadre des règles européennes, la dimension sociale, l’aspect environnemental ». Pour ce faire, il reste onze mois de"réflexion."