La Tribune Hebdomadaire

«!Nous devons construire un nouveau modèle productif!»

Le ministre de l’Économie et des Finances dévoile un projet de pacte"vert destiné à donner un nouvel élan à la transforma­tion de la France. Objectifs": une économie totalement décarbonée et le plein-emploi.

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MABILLE ET GRÉGOIRE NORMAND

ENTRETIEN Alors que la réforme des retraites entame son parcours législatif, le patron de Bercy présente son nouveau pacte productif écologique visant à investir dans les filières d’avenir, relancer l’activité et parvenir au plein-emploi. Un projet ambitieux qui devrait marquer la fin du quinquenna­t.

LA TRIBUNE – Vous faites partie des ministres de l’Économie qui ont passé le plus de temps à Bercy. Quels sont les prochains chantiers à venir après près de trois!ans de!mandat"?

BRUNO LE MAIRE – Durer au poste de ministre de l’Économie et des Finances permet d’obtenir de meilleurs résultats au service des Français. C’est mon seul et unique objectif. Les premiers résultats sont là aujourd’hui grâce à la politique économique que nous avons conduite depuis près de trois ans avec le président de la République et le Premier ministre. La croissance de la France, prévue à 1,3!% pour 2019 est au-dessus de la moyenne de la zone euro. Le taux de chômage n’a jamais été aussi bas depuis dix ans. 265!000 emplois ont été créés en 2019 et 90!000 devraient l’être pour le premier semestre 2020. Les Français ont aujourd’hui un meilleur pouvoir d’achat qu’au début du quinquenna­t. Après la réforme de la fiscalité du capital, la loi Pacte en soutien aux PME, la réforme de la formation profession­nelle, notre prochain chantier est écologique avec une priorité : produire en France en construisa­nt une économie décarbonée. Nous devons concilier politique écologique et politique économique : c’est l’objectif du pacte productif. Nous devons nous donner les moyens d’a"eindre le plein-emploi, d’investir dans les filières d’avenir, de produire en France et de construire un nouveau modèle productif. Un autre chantier tout aussi prioritair­e est l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’économie. Nous travaillon­s avec Marlène Schiappa sur un projet de loi qui, je le souhaite, sera examiné ce"e année par le Parlement. Enfin, les volets fiscalité internatio­nale et régulation des géants du numérique feront partie de nos travaux pour le reste du quinquenna­t.

Le climat social est loin d’être apaisé. Pourquoi les Français ne constatent-ils pas ces résultats"?

C’est vrai, des Français restent sceptiques. Il y a deux raisons. La première, c’est que les statistiqu­es ne veulent rien dire si elles ne se traduisent pas en améliorati­on concrète de la vie de tous les Français. Dire que l’on baisse de 5 milliards d’euros l’impôt sur le revenu ou que l’on baisse les charges reste abstrait pour les Français. Mais je les encourage à regarder en bas

de!leur fiche de paie, et ils constatero­nt la! hausse de leur revenu net. Là, c’est du!concret.

La seconde raison, c’est que nous continuons de payer les effets de la crise financière de 2008. Elle a eu un impact considérab­le sur la vie quotidienn­e des Français. Douze ans après ce#e crise, lorsque nous regardons ce qu’il s’est passé, nous voyons que les salaires ont globalemen­t augmenté, surtout pour les cadres et dans l’industrie. Mais pour les 10$% des salariés les moins qualifiés et les moins bien rémunérés, cela n’a pas été le cas. Alors même que ce sont eux qui en ont le plus besoin. Depuis 2017, nous avons fait le choix du travail qui paie avec l’augmentati­on du salaire en baissant les cotisation­s sociales, et avec la prime d’activité revalorisé­e à 100 euros. Mais il reste encore beaucoup à faire pour que chaque Français puisse vivre dignement de son travail. J’ai proposé, lors de mes voeux aux acteurs économique­s, de réfléchir ensemble aux moyens d’offrir des perspectiv­es à ces salariés sans reme#re en cause la compétitiv­ité de nos entreprise­s. Cela peut passer par un meilleur partage de la valeur. Le développem­ent de l’intéressem­ent et de la participat­ion dans toutes les entreprise­s, y compris les plus petites, est une solution. J’appelle les chefs d’entreprise à se saisir des modèles d’accords clés en main disponible­s sur le site interessem­ent-participat­ion.gouv.fr.

Comment convaincre les PME de mettre en!place cet intéressem­ent alors que de nombreux outils existent déjà"?

En simplifian­t davantage$! Nous avons supprimé la taxe à 20$% sur l’intéressem­ent dans les entreprise­s de moins de 250 salariés et sur la participat­ion pour les entreprise­s de moins de 50 salariés. Mais cela n’a pas encore suffi à développer davantage l’intéressem­ent et la participat­ion dans les petites entreprise­s. C’est pourquoi nous encourageo­ns le développem­ent de l’intéressem­ent en donnant la possibilit­é aux entreprise­s de verser une prime défiscalis­ée, comme nous l’avions fait l’année dernière lors de la crise des «!gilets jaunes!», lorsque des accords sont mis en place. C’est la clé : motiver les salariés en les associant durablemen­t aux résultats de l’entreprise. Les patrons de PME réclament plus de simplifica­tions. Nous allons donc perme#re aux chefs d’entreprise de moins de 11 salariés de me#re en place un dispositif d’intéressem­ent de manière unilatéral­e, avec un formulaire simplifié disponible en ligne. Ce#e mesure sera introduite dans le projet de loi d’accélérati­on et de simplifica­tion de l’action publique qui sera présenté en conseil des ministres le 5 février par la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher.

Pourquoi le gouverneme­nt veut-il lancer un nouveau « pacte productif »"?

Parce que notre économie est menacée de déclasseme­nt. Nous avons quelques secteurs économique­s très solides, mais nous n’investisso­ns pas assez dans les nouvelles filières. C’est très bien d’être leader mondial dans le luxe, les vins et spiritueux ou l’aéronautiq­ue. Mais nous devons ouvrir de nouveaux champs de conquête à l’économie française. Comment les choisir$? Avec des experts ainsi que des chefs d’entreprise et selon trois critères : le dynamisme du marché, la maîtrise des technologi­es et l’objectif d’a#eindre d’une économie décarbonée. Je veux être clair : le pacte productif sera un pacte vert. Il doit réviser toutes nos politiques publiques, tous nos soutiens à l’exportatio­n, tous nos investisse­ments, pour décarboner nos production­s mais aussi nos importatio­ns. Nous ne pouvons plus accepter de réduire nos émissions carbones à l’intérieur de nos frontières si c’est pour importer massivemen­t des produits lourdement carbonés. Ce pacte productif doit donner un deuxième élan à la transforma­tion économique du pays et nous permettre d’atteindre une économie totalement décarbonée. L’objectif du pacte productif est également le plein-emploi.

Certains parlent d’une loi Pacte II. Y aura-t-il un texte législatif"?

C’est une possibilit­é, mais ce n’est pas obligatoir­e. Concernant les impôts de production, l’important est de donner de la visibilité aux entreprise­s sur une trajectoir­e de baisse qui pourrait être intégrée dès le projet de loi de finances pour 2021. Certaines mesures n’ont pas besoin de dispositif législatif, d’autres comme la protection de nos entreprise­s contre certaines dispositio­ns extraterri­toriales en matière de données pourraient requérir des dispositio­ns législativ­es. Si cela passe par une loi, elle devra être courte, offensive et ciblée.

Quels sont les impôts de production qui pourraient être baissés ou supprimés"?

Le choix n’est pas fait. Le président de la République l’a rappelé devant les entreprise­s de taille intermédia­ire il y a quelques jours à l’Élysée. Devons-nous baisser les charges ou baisser les impôts de production$? Comment les financer$? Nous en discutons en ce moment avec les industriel­s qui sont les premiers concernés. L’industrie des services doit aussi participer au débat.

Où en est la France dans ses choix d’investisse­ment"? Notre pays peut-il devenir numéro un dans l’hydrogène ou les batteries du futur"?

Oui. La France a tout pour être un leader mondial de l’hydrogène et des ba#eries. L’enjeu est de bâtir notre souveraine­té technologi­que. Au &&' e !siècle, il n’y a pas de souveraine­té politique sans souveraine­té technologi­que. Au lieu d’importer des technologi­es chinoises ou américaine­s, il s’agit de produire nous-mêmes ces technologi­es. Aucune nation européenne ne peut les produire seule. L’Europe doit se rassembler et investir dans quelques technologi­es prioritair­es. La première, ce sont les batteries électrique­s. Nous ne voulons plus dépendre exclusivem­ent de la Chine et de la Corée du Sud. C’est absolument décisif pour les véhicules de demain. Avec le président de la République, nous venons d’inaugurer une usine pilote à Nersac, en Nouvelle-Aquitaine. La première usine de fabricatio­n de ces batteries sera inaugurée d’ici à 2022 en France. En 2024, une seconde usine doit être inaugurée en Allemagne. À terme, ce#e filière représente­ra plusieurs dizaines de milliers d’emplois industriel­s en Europe. La deuxième technologi­e clé est l’hydrogène. Ce#e technologi­e sera une solution efficace et compétitiv­e dans un avenir proche. À ce titre, nous souhaitons investir dans un plan hydrogène qui sera rendu public au printemps. Les ba#eries électrique­s et l’hydrogène feront les mobilités de demain : l’électricit­é dans les villes et l’hydrogène pour les mobilités collective­s ou le transport de marchandis­es. La troisième technologi­e prioritair­e est l’intelligen­ce artificiel­le. Nous travaillon­s avec l’Allemagne sur un plan qui perme#ra de garantir notre souveraine­té technologi­que en matière d’IA. Cela va du stockage des données jusqu’à leur valorisati­on. Le calcul quantique est le dernier champ prioritair­e. Être indépendan­t technologi­quement nécessite de maîtriser les technologi­es quantiques. Nous devons nous en donner les moyens. Nous l’avons d’ailleurs fait sur une technologi­e : la nanoélectr­onique. STMicroele­ctonics est un leader mondial qui fournit les géants du numérique. La réussite de ce groupe tient en une maîtrise totale de ce#e technologi­e, en une associatio­n de plusieurs pays européens (la France et l’Italie) et au soutien de la Commission européenne.

Tous ces choix montrent que la puissance publique et l’État ont un rôle majeur dans l’économie. L’État n’a pas vocation à se substituer à la gestion des entreprise­s, mais il peut faire des choix stratégiqu­es pour l’avenir du pays. Fixer des orientatio­ns politiques pour notre nation et garantir notre souveraine­té technologi­que, voilà ma ligne de conduite.

La France et l’Europe sont-elles à un tournant en matière de politique de souveraine­té économique"?

Oui et nous en avons pris conscience. Pour la première fois, les États européens et la Commission européenne défendent notre souveraine­té économique. Alors soyons offensifs$! Nous avons besoin de plus de financemen­ts, d’un marché unique des capitaux et d’outils financiers plus forts qui favorisero­nt la montée en puissance de nos entreprise­s et leur capacité à investir dans les nouvelles technologi­es. Mais n’oublions pas de nous protéger… Protégeons nos pépites contre le pillage technologi­que. Nous avons renforcé le décret sur le contrôle des investisse­ments étrangers en France en l’élargissan­t à des secteurs très sensibles comme la sécurité alimentair­e, les technologi­es quantiques, le stockage de l’énergie, ou encore la presse. Nous travaillon­s avec l’Allemagne sur l’analyse de ces investisse­ments. Réguler et taxer les géants du numérique est aussi une protection. Chacun doitprendr­e conscience de la bataille qui est engagée. Qui, demain, doit avoir le pouvoir$? Est-ce que ce sont des gouverneme­nts

«!Nous allons permettre aux chefs d’entreprise de moins de 11 salariés de mettre en place un dispositif d’intéressem­ent de manière unilatéral­e »

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#MOHAMED EL$SHAHED/AFP% UN PROJET #!VERT!$ POUR UN NOUVEL ÉLAN La conviction de Bruno Le Maire : l’État «!peut faire des choix stratégiqu­es pour l’avenir du pays » sans se substituer à la gestion des entreprise­s.
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"DR# Bruno Le Maire et la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, ont présenté le dispositif d’intéressem­ent pour les ETI dans l’entreprise Aluconcept à Chilly-Mazarin, dans l’Essonne.

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