«!Nous devons construire un nouveau modèle productif!»
Le ministre de l’Économie et des Finances dévoile un projet de pacte"vert destiné à donner un nouvel élan à la transformation de la France. Objectifs": une économie totalement décarbonée et le plein-emploi.
ENTRETIEN Alors que la réforme des retraites entame son parcours législatif, le patron de Bercy présente son nouveau pacte productif écologique visant à investir dans les filières d’avenir, relancer l’activité et parvenir au plein-emploi. Un projet ambitieux qui devrait marquer la fin du quinquennat.
LA TRIBUNE – Vous faites partie des ministres de l’Économie qui ont passé le plus de temps à Bercy. Quels sont les prochains chantiers à venir après près de trois!ans de!mandat"?
BRUNO LE MAIRE – Durer au poste de ministre de l’Économie et des Finances permet d’obtenir de meilleurs résultats au service des Français. C’est mon seul et unique objectif. Les premiers résultats sont là aujourd’hui grâce à la politique économique que nous avons conduite depuis près de trois ans avec le président de la République et le Premier ministre. La croissance de la France, prévue à 1,3!% pour 2019 est au-dessus de la moyenne de la zone euro. Le taux de chômage n’a jamais été aussi bas depuis dix ans. 265!000 emplois ont été créés en 2019 et 90!000 devraient l’être pour le premier semestre 2020. Les Français ont aujourd’hui un meilleur pouvoir d’achat qu’au début du quinquennat. Après la réforme de la fiscalité du capital, la loi Pacte en soutien aux PME, la réforme de la formation professionnelle, notre prochain chantier est écologique avec une priorité : produire en France en construisant une économie décarbonée. Nous devons concilier politique écologique et politique économique : c’est l’objectif du pacte productif. Nous devons nous donner les moyens d’a"eindre le plein-emploi, d’investir dans les filières d’avenir, de produire en France et de construire un nouveau modèle productif. Un autre chantier tout aussi prioritaire est l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’économie. Nous travaillons avec Marlène Schiappa sur un projet de loi qui, je le souhaite, sera examiné ce"e année par le Parlement. Enfin, les volets fiscalité internationale et régulation des géants du numérique feront partie de nos travaux pour le reste du quinquennat.
Le climat social est loin d’être apaisé. Pourquoi les Français ne constatent-ils pas ces résultats"?
C’est vrai, des Français restent sceptiques. Il y a deux raisons. La première, c’est que les statistiques ne veulent rien dire si elles ne se traduisent pas en amélioration concrète de la vie de tous les Français. Dire que l’on baisse de 5 milliards d’euros l’impôt sur le revenu ou que l’on baisse les charges reste abstrait pour les Français. Mais je les encourage à regarder en bas
de!leur fiche de paie, et ils constateront la! hausse de leur revenu net. Là, c’est du!concret.
La seconde raison, c’est que nous continuons de payer les effets de la crise financière de 2008. Elle a eu un impact considérable sur la vie quotidienne des Français. Douze ans après ce#e crise, lorsque nous regardons ce qu’il s’est passé, nous voyons que les salaires ont globalement augmenté, surtout pour les cadres et dans l’industrie. Mais pour les 10$% des salariés les moins qualifiés et les moins bien rémunérés, cela n’a pas été le cas. Alors même que ce sont eux qui en ont le plus besoin. Depuis 2017, nous avons fait le choix du travail qui paie avec l’augmentation du salaire en baissant les cotisations sociales, et avec la prime d’activité revalorisée à 100 euros. Mais il reste encore beaucoup à faire pour que chaque Français puisse vivre dignement de son travail. J’ai proposé, lors de mes voeux aux acteurs économiques, de réfléchir ensemble aux moyens d’offrir des perspectives à ces salariés sans reme#re en cause la compétitivité de nos entreprises. Cela peut passer par un meilleur partage de la valeur. Le développement de l’intéressement et de la participation dans toutes les entreprises, y compris les plus petites, est une solution. J’appelle les chefs d’entreprise à se saisir des modèles d’accords clés en main disponibles sur le site interessement-participation.gouv.fr.
Comment convaincre les PME de mettre en!place cet intéressement alors que de nombreux outils existent déjà"?
En simplifiant davantage$! Nous avons supprimé la taxe à 20$% sur l’intéressement dans les entreprises de moins de 250 salariés et sur la participation pour les entreprises de moins de 50 salariés. Mais cela n’a pas encore suffi à développer davantage l’intéressement et la participation dans les petites entreprises. C’est pourquoi nous encourageons le développement de l’intéressement en donnant la possibilité aux entreprises de verser une prime défiscalisée, comme nous l’avions fait l’année dernière lors de la crise des «!gilets jaunes!», lorsque des accords sont mis en place. C’est la clé : motiver les salariés en les associant durablement aux résultats de l’entreprise. Les patrons de PME réclament plus de simplifications. Nous allons donc perme#re aux chefs d’entreprise de moins de 11 salariés de me#re en place un dispositif d’intéressement de manière unilatérale, avec un formulaire simplifié disponible en ligne. Ce#e mesure sera introduite dans le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique qui sera présenté en conseil des ministres le 5 février par la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher.
Pourquoi le gouvernement veut-il lancer un nouveau « pacte productif »"?
Parce que notre économie est menacée de déclassement. Nous avons quelques secteurs économiques très solides, mais nous n’investissons pas assez dans les nouvelles filières. C’est très bien d’être leader mondial dans le luxe, les vins et spiritueux ou l’aéronautique. Mais nous devons ouvrir de nouveaux champs de conquête à l’économie française. Comment les choisir$? Avec des experts ainsi que des chefs d’entreprise et selon trois critères : le dynamisme du marché, la maîtrise des technologies et l’objectif d’a#eindre d’une économie décarbonée. Je veux être clair : le pacte productif sera un pacte vert. Il doit réviser toutes nos politiques publiques, tous nos soutiens à l’exportation, tous nos investissements, pour décarboner nos productions mais aussi nos importations. Nous ne pouvons plus accepter de réduire nos émissions carbones à l’intérieur de nos frontières si c’est pour importer massivement des produits lourdement carbonés. Ce pacte productif doit donner un deuxième élan à la transformation économique du pays et nous permettre d’atteindre une économie totalement décarbonée. L’objectif du pacte productif est également le plein-emploi.
Certains parlent d’une loi Pacte II. Y aura-t-il un texte législatif"?
C’est une possibilité, mais ce n’est pas obligatoire. Concernant les impôts de production, l’important est de donner de la visibilité aux entreprises sur une trajectoire de baisse qui pourrait être intégrée dès le projet de loi de finances pour 2021. Certaines mesures n’ont pas besoin de dispositif législatif, d’autres comme la protection de nos entreprises contre certaines dispositions extraterritoriales en matière de données pourraient requérir des dispositions législatives. Si cela passe par une loi, elle devra être courte, offensive et ciblée.
Quels sont les impôts de production qui pourraient être baissés ou supprimés"?
Le choix n’est pas fait. Le président de la République l’a rappelé devant les entreprises de taille intermédiaire il y a quelques jours à l’Élysée. Devons-nous baisser les charges ou baisser les impôts de production$? Comment les financer$? Nous en discutons en ce moment avec les industriels qui sont les premiers concernés. L’industrie des services doit aussi participer au débat.
Où en est la France dans ses choix d’investissement"? Notre pays peut-il devenir numéro un dans l’hydrogène ou les batteries du futur"?
Oui. La France a tout pour être un leader mondial de l’hydrogène et des ba#eries. L’enjeu est de bâtir notre souveraineté technologique. Au &&' e !siècle, il n’y a pas de souveraineté politique sans souveraineté technologique. Au lieu d’importer des technologies chinoises ou américaines, il s’agit de produire nous-mêmes ces technologies. Aucune nation européenne ne peut les produire seule. L’Europe doit se rassembler et investir dans quelques technologies prioritaires. La première, ce sont les batteries électriques. Nous ne voulons plus dépendre exclusivement de la Chine et de la Corée du Sud. C’est absolument décisif pour les véhicules de demain. Avec le président de la République, nous venons d’inaugurer une usine pilote à Nersac, en Nouvelle-Aquitaine. La première usine de fabrication de ces batteries sera inaugurée d’ici à 2022 en France. En 2024, une seconde usine doit être inaugurée en Allemagne. À terme, ce#e filière représentera plusieurs dizaines de milliers d’emplois industriels en Europe. La deuxième technologie clé est l’hydrogène. Ce#e technologie sera une solution efficace et compétitive dans un avenir proche. À ce titre, nous souhaitons investir dans un plan hydrogène qui sera rendu public au printemps. Les ba#eries électriques et l’hydrogène feront les mobilités de demain : l’électricité dans les villes et l’hydrogène pour les mobilités collectives ou le transport de marchandises. La troisième technologie prioritaire est l’intelligence artificielle. Nous travaillons avec l’Allemagne sur un plan qui perme#ra de garantir notre souveraineté technologique en matière d’IA. Cela va du stockage des données jusqu’à leur valorisation. Le calcul quantique est le dernier champ prioritaire. Être indépendant technologiquement nécessite de maîtriser les technologies quantiques. Nous devons nous en donner les moyens. Nous l’avons d’ailleurs fait sur une technologie : la nanoélectronique. STMicroelectonics est un leader mondial qui fournit les géants du numérique. La réussite de ce groupe tient en une maîtrise totale de ce#e technologie, en une association de plusieurs pays européens (la France et l’Italie) et au soutien de la Commission européenne.
Tous ces choix montrent que la puissance publique et l’État ont un rôle majeur dans l’économie. L’État n’a pas vocation à se substituer à la gestion des entreprises, mais il peut faire des choix stratégiques pour l’avenir du pays. Fixer des orientations politiques pour notre nation et garantir notre souveraineté technologique, voilà ma ligne de conduite.
La France et l’Europe sont-elles à un tournant en matière de politique de souveraineté économique"?
Oui et nous en avons pris conscience. Pour la première fois, les États européens et la Commission européenne défendent notre souveraineté économique. Alors soyons offensifs$! Nous avons besoin de plus de financements, d’un marché unique des capitaux et d’outils financiers plus forts qui favoriseront la montée en puissance de nos entreprises et leur capacité à investir dans les nouvelles technologies. Mais n’oublions pas de nous protéger… Protégeons nos pépites contre le pillage technologique. Nous avons renforcé le décret sur le contrôle des investissements étrangers en France en l’élargissant à des secteurs très sensibles comme la sécurité alimentaire, les technologies quantiques, le stockage de l’énergie, ou encore la presse. Nous travaillons avec l’Allemagne sur l’analyse de ces investissements. Réguler et taxer les géants du numérique est aussi une protection. Chacun doitprendre conscience de la bataille qui est engagée. Qui, demain, doit avoir le pouvoir$? Est-ce que ce sont des gouvernements
«!Nous allons permettre aux chefs d’entreprise de moins de 11 salariés de mettre en place un dispositif d’intéressement de manière unilatérale »