La Tribune Hebdomadaire

Éric Fourel : « Le!capitalism­e doit se réinventer »

Révolution digitale, urgence climatique et quête de sens... Pour"le dirigeant en France du géant de l’audit EY, les entreprise­s doivent désormais faire du profit autrement.

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PROSPECTIV­E « Le capitalism­e tel que nous le connaisson­s est mort », a a!rmé à Davos Marc Benio", PDG de l’éditeur de logiciels Salesforce. Selon Éric Fourel, un système combinant recherche du profit et respect des impératifs sociétaux pourrait lui succéder.

LA TRIBUNE –!Le 4 février, EY organise au ministère de l’Économie un événement intitulé « Le courage de transforme­r ». Que signifie ce concept de transforma­tion pour les entreprise­s"?

ÉRIC FOUREL!– La transforma­tion est un mouvement permanent": toute entité vivante s’adapte par rapport à son environnem­ent en se transforma­nt. Le monde économique et les entreprise­s n’échappent pas à ce#e obligation. La transforma­tion est donc d’abord une permanence. Ce qui me semble important aujourd’hui, c’est que nous vivons un moment très particulie­r de l’histoire où l’on assiste à une véritable révolution plus qu’à un simple besoin de transforma­tion. Après la révolution industriel­le au $%$ e !siècle, nous vivons ce#e révolution digitale qui modifie de fond en comble les paramètres économique­s fondamenta­ux. À cela s’ajoute l’urgence climatique, un deuxième vecteur d’accélérati­on des transforma­tions qui oblige le monde économique à se réformer. J’ajouterai un troisième bouleverse­ment qui est la mutation du système capitalist­e. Nous assistons à la fin du cycle néolibéral issu de Milton Friedman et de l’École de Chicago pour entrer dans une période de capitalism­e responsabl­e et durable. Néanmoins, ces trois phénomènes sont à la fois liés et en partie antinomiqu­es.

C’est-à-dire"?

L’appel pour un capitalism­e plus durable trouve son sens en raison de la révolution climatique, sans oublier la dimension sociale et le problème des inégalités au niveau mondial, qui oblige à une refonte du modèle capitalist­e, le seul qui ait survécu au $$% e siècle mais qui doit désormais se réinventer. L’urgence climatique crée un besoin sans précédent de transforma­tion qui concerne la survie même de la planète. La révolution digitale, elle, peut être en contradict­ion avec la préservati­on du climat car elle est très consommatr­ice d’énergie. Mais elle peut devenir également la matrice de nouveaux modèles économique­s moins gourmands en énergie. Le digital accentue-t-il le changement climatique ou est-il une part de la solution"? C’est une des questions contempora­ines fondamenta­les.

Dans un contexte de mondialisa­tion de l’économie, avec l’apparition de nouveaux acteurs majeurs comme la Chine ou l’Inde, et les résistance­s qu’elle suscite un peu partout, quels sont les défis que doivent relever les entreprise­s"?

La mondialisa­tion a permis des progrès économique­s et aidé beaucoup de peuples à bénéficier d’un développem­ent de leur niveau de vie qui ne doit pas être réservé aux seuls Occidentau­x. Mais ses excès, comme l’ultra-consommati­on de ressources naturelles limitées, ont accéléré le changement climatique. Les réponses à ce changement sont en train de poindre et de poser des limites à ce#e mondialisa­tion. Les population­s sont en quête de sens, qui va au-delà de la prospérité économique. Les gens ont besoin de retrouver une dimension fraternell­e, un vivre ensemble comme l’ont exprimé les « gilets jaunes!».

Capitalism­e durable et responsabl­e": est-ce un oxymore ou un objectif à notre portée"?

Développer ce#e nouvelle forme de capitalism­e est non seulement possible mais surtout indispensa­ble et incontourn­able. L’entreprise est là pour créer de la richesse et la répartir entre ses actionnair­es, selon le Code civil. Or, l’exigence d’un meilleur équilibre vis-à-vis du risque climatique et de la capacité des femmes et des hommes à vivre ensemble nous donne l’obligation d’ajouter à l’objet social des entreprise­s l’objectif de prendre en compte les autres parties prenantes, comme le fait la loi Pacte. Les entreprise­s peuvent désormais se donner une raison d’être ou aller encore plus loin et devenir des entreprise­s à mission. Par ailleurs, les évolutions de la régulation, la lu#e contre le blanchimen­t des capitaux, la nécessité de justifier des performanc­es extra-financière­s en matière de RSE ou la récente loi sur l’économie circulaire sont des signes tangibles d’une évolution d’un droit des affaires plus positif. Le cadre de la loi et des nouvelles normes contraigne­nt ainsi l’entreprise à aller vers ce capitalism­e plus responsabl­e et plus durable. Bien sûr, concilier la recherche du profit, qui reste la vocation première de l’entreprise, et la nécessité de respecter un certain nombre d’impératifs sociétaux engendre des tensions. Reste que la voie est tracée et va continuer à s’accélérer. Grâce, en particulie­r, à la révolution digitale, à travers l’immédiatet­é et la transparen­ce de la circulatio­n de l’informatio­n, ce que j’appelle le des réseaux sociaux qui, s’ils possèdent leur part d’ombre, peuvent aussi donner immédiatem­ent un écho planétaire à des pratiques non éthiques. Ce#e évolution participe plus que n’importe quelle norme à l’évolution du monde économique vers davantage de responsabi­lité. « people power »

La révolution digitale engendre aussi des risques pour les entreprise­s comme pour les citoyens. Comment y faire face"?

Effectivem­ent, ces risques existent, comme la surexploit­ation de la donnée, l’intelligen­ce artificiel­le, la cybersécur­ité. Mais il y a en même temps tellement de raisons d’espérer. Le numérique peut faciliter un réancrage démocratiq­ue car les population­s sont mieux informées et donc mieux équipées pour agir dans leurs choix de consommati­on et d’investisse­ment solidaires.

Redéfinir sa raison d’être vers plus de responsabi­lité écologique et sociétale peut-il devenir un levier pour les entreprise­s pour attirer et conserver les talents"?

Tout à fait. Quand on réussit à ancrer son action autour d’un objectif de transforma­tion positive, il y a plus de chances de mobiliser ses collaborat­eurs. Chez EY, nous avons mis en place plusieurs actions qui vont dans ce sens. Comme EY Ripples, un programme dont l’objectif ce#e année est d’avoir au moins 600 collaborat­eurs qui donnent une partie de leur temps

PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICK CAPPELLI «#L’urgence climatique crée un besoin sans précédent de transforma­tion qui concerne la survie même de la planète#» «#Les population­s sont en quête de sens, qui va au-delà de la prospérité économique. Les gens ont besoin de retrouver une dimension fraternell­e, un vivre ensemble comme l’ont exprimé les “gilets jaunes”#»

« Quand on réussit à ancrer son action autour d’un objectif de transforma­tion positive, il y a plus de chances de mobiliser ses collaborat­eurs »

profession­nel, sur une base totalement volontaire, pour des actions de mécénat en faveur de publics défavorisé­s ou des projets entreprene­uriaux s o l i d a i r e s . Nous c o n s a c r o n s 23!000 heures à ce mécénat de compétence, et aussi au mécénat culturel. Nous avons également signé le manifeste sur l’entreprise inclusive et nous agissons en faveur des population­s en situation de"handicap.

Concrèteme­nt, que fait EY pour aider les entreprise­s à se transforme­r de manière positive!?

Nous sommes organisme tiers indépendan­t et donc certificat­eur des rapports RSE que doivent émettre toutes les entreprise­s cotées. Sur le terrain du développem­ent durable, nous avons 150 collaborat­eurs dédiés à ces offres. Notre départemen­t développem­ent durable peut réaliser un diagnostic de votre empreinte carbone et vous proposer un plan pour atteindre une neutralité carbone à l’horizon 2030. Nous auditons aussi les chaînes d’approvisio­nnement à une échelle planétaire pour que nos clients puissent a$ester d’un sourcing qui ne fait pas appel au travail des enfants ou à la maltraitan­ce animale par exemple.

Vous avez accès au Comex des plus grandes sociétés. Pensez-vous que leurs dirigeants sont réellement persuadés de l’exigence de cette transforma­tion!?

Le niveau de maturité et la volonté d’agir ne sont pas homogènes. Mais oui, sans la moindre hésitation, je pense qu’il n’y a aucun acteur économique qui ne soit conscient de l’enjeu sociétal actuel. Est-ce qu’ils le vivent positiveme­nt ou comme une contrainte!? Ce n’est pas à nous de sonder les coeurs. La grande difficulté liée à ce$e convergenc­e des révolution­s, c’est qu’elle doit être conciliée avec les exigences de profit. Jamais jusqu’à présent on n’avait exigé autant des entreprise­s de répondre, plus encore que les États, aux grands problèmes du monde. La pression sur le chef d’entreprise est maximale. Comment réagir d’une manière ordonnée et convaincan­te, d’autant que le mode de décision pyramidale est obsolète!? La mutation se construit avec du codesign, il faut faire émerger des réponses de l’ensemble des membres de l’entreprise, et donc me$re en place des processus de participat­ion. Ce n’est pas moi qui décrète que 600 de nos collaborat­eurs vont faire du mécénat de compétence, cela doit venir d’eux. L’enjeu majeur des chefs d’entreprise, c’est de bien établir leur plan d’action autour de ce$e transforma­tion et de s’assurer que les acteurs de ce changement sont les forces vives, et pas seulement le dirigeant et le Comex.

Pourquoi faut-il montrer du courage pour transforme­r!?

Vous ne pouvez plus être dirigeant d’entreprise si vous ne manifestez pas ce courage. De toute façon, il n’a plus le choix!: les transforma­tions énergétiqu­e et numérique sont des vecteurs consubstan­tiels à la création de la croissance de demain. Le dirigeant qui a nécessaire­ment le souci de la capacité de son entreprise à survivre et se développer est bien obligé d’avoir ce courage. Car s’il ne l’a pas, son entreprise mourra.

Êtes-vous optimiste concernant l’avenir du monde!?

Il est très difficile de savoir si nous allons collective­ment être suffisamme­nt agiles et rapides pour être à la hauteur des défis qui sont face à nous. On a forcément besoin de hiérarchis­er les impératifs car on ne peut pas être radicaux sur tous les aspects du changement. La réponse viendra de la jeunesse, qui nous imposera le choix de la radicalité. Celle-ci est-elle d’ores et déjà indispensa­ble!? C’est sur ce point que l’on peut encore hésiter. Mais plus on va avancer, plus on y verra clair sur le niveau de radicalité qu’il faut introduire dans le changement. Je pense que cela va aller assez vite. Quand on voit que, en vingt ans, 30!% de la diversité a disparu, il semble que ce besoin de radicalité soit bien réel.

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"AFP# LA CRISE CLIMATIQUE ACCÉLÈRE LES CHANGEMENT­S Pour Éric Fourel, le modèle capitalist­e, le seul qui ait survécu au xxıe siècle, doit se réinventer. (Ici, une marche pour le climat à Toulouse, en 2019).

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