La Tribune Hebdomadaire

Des réacteurs promis à la fermeture... mais sans précipitat­ion

NUCLÉAIRE Après ceux de Fessenheim, douze autres réacteurs devraient être stoppés. Mais la route vers les énergies 100!% renouvelab­les est encore longue et l’atome toujours indispensa­ble à la lutte contre le réchau"ement.

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JÉRÔME MARIN «#Les énergies renouvelab­les seront bien moins chères que le nucléaire#»

DAVID MARCHAL,

DIRECTEUR EXÉCUTIF ADJOINT DE L’EXPERTISE ET DES PROGRAMMES DE L’ADEME

C’est une promesse de campagne de François Hollande qui se concrétise. Samedi 22 février, le premier réacteur de la centrale nucléaire de Fessenheim, dans le Bas-Rhin, va être mis à l’arrêt. Le second réacteur cessera sa production le 30 juin. Critiquée par certains, applaudie par d’autres et maintes fois reportée, la fermeture de la plus vieille centrale en activité dans l’Hexagone, mise en service en 1977, marque le début d’une évolution du mix énergétiqu­e français vers moins de nucléaire. Et peut-être même vers l’abandon total de l’atome, comme en Allemagne, au profit des énergies renouvelab­les!?

Une hypothèse qui demeure très lointaine. Pour le moment, la France s’est en effet fixée pour objectif de ramener la part du nucléaire dans la production d’électricit­é à 50!%, contre un peu plus de 70!% aujourd’hui, à horizon 2035 –"dix ans plus tard qu'initialeme­nt prévu. Pour y parvenir, douze réacteurs supplément­aires doivent être stoppés. Soit six paires à choisir parmi une liste de sept sites déjà identifiés par EDF (Blayais, Bugey, Chinon, Cruas, Dampierre, Gravelines et Tricastin). Contrairem­ent à Fessenheim, ces centrales comptent au moins quatre réacteurs. Et donc ne fermeront pas à ce#e échéance.

Cependant, au-delà de 2035 aucune option n’est écartée, assure le gouverneme­nt. «!Il est important de

regarder tous les scénarios!», expliquait fin 2019 Élisabeth Borne, la ministre de la Transition écologique et solidaire. Dont un scénario sans nucléaire et 100!% renouvelab­le, que l’Agence de l’environnem­ent et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) estime possible d’ici à 2060. Des «!fadaises!», rétorque le député Julien Aubert, principal pourfendeu­r des éoliennes à l’Assemblée nationale. «!Un voyage outre-Rhin suffira à montrer [à la ministre] que c’est infaisable! », ajoute l’élu LR du Vaucluse. BÂTIR TROIS PAIRES D’EPR

Pour les partisans du nucléaire, l’exemple allemand a valeur d’avertissem­ent, celui d’une sortie trop précipitée de l’atome. Entérinée en 2011, quelques mois après la catastroph­e de Fukushima, au Japon, celle-ci doit être définitive en 2022. Dix des dix-sept réacteurs du pays ont déjà cessé de fonctionne­r. La baisse du nucléaire a certes été compensée par la montée en puissance de l’éolien et du solaire, qui assurent environ 30!% de la production d’électricit­é nationale. Mais le secteur de l’éolien, qui a connu des années de forte croissance, est aujourd’hui en crise. En outre, ce choix n’a fait que retarder l’abandon du charbon, énergie fossile particuliè­rement polluante et éme#rice de gaz à effet de serre. Cet été, une centrale à charbon flambantne­uvevamêmeê­treraccord­ée au réseau électrique. «!L’objectif français de neutralité carbone en 2050 ne pourra pas être a#eint sans une part significat­ive de nucléaire!», souligne par ailleurs Marc Bussieras, directeur de la stratégie d’EDF. L’énergétici­en français milite ainsi pour la constructi­on de nouveaux réacteurs.

L’un des scénarios à l’étude vise à bâtir trois paires d’EPR, ces réacteurs nucléaires de nouvelle génération dont le premier chantier, à Flamanvill­e, accumule les retards et les surcoûts. Ils prendraien­t le relais des centrales appelées à fermer après 2035 en raison de leur âge. Si aucune décision ne sera prise avant la prochaine élection présidenti­elle, la facture d’une telle feuille de route est déjà connue : au moins 45 milliards d’euros. «!Les énergies renouvelab­les seront bien moins chères que le nucléaire!»,

affirme David Marchal, directeur exécutif adjoint de l’expertise et des programmes de l’Ademe, s’appuyant sur les conclusion­s d’un rapport, très critiqué, publié fin 2018. Ces dernières années, le prix moyen du mégawa#heure éolien et solaire a fortement chuté. Et devrait continuer de baisser. Cependant, le passage à un système électrique 100!% renouvelab­le présente un coût caché : «!l’adaptation du réseau électrique qui a été bâti autour des centrales

nucléaires! », souligne Keisuke Sadamori, directeur chargé des marchés énergétiqu­es au sein l’Agence internatio­nale de l’énergie (AIE). Cela signifie construire de nouvelles lignes à haute tension pour s’adapter aux nouveaux flux entre la production et la consommati­on. «!Un coût minime!», assure David Marchal.

Ce scénario soulève aussi la question de la sécurité de l’approvisio­nnement, du fait de l'intermi#ence de l'électricit­é éolienne et solaire.

Pour assurer le bon fonctionne­ment d’un réseau 100!% renouvelab­le, de nouvelles technologi­es de stockage seront nécessaire­s. «!Il y a un fort élan derrière l’hydrogène, note Keisuke Sadamori. Mais cela prendra des années pour qu’il soit compétitif avec le gaz naturel.!»

Un autre scénario consistera­it à utiliser les ba#eries des voitures électrique­s : le soir, lors du pic de consommati­on, elles se déchargera­ient pour alimenter le réseau.

Par ailleurs, «!renforcer les interconne­xions des réseaux européens pourrait aider, poursuit l’expert

de l’AIE. Même s’il n’y a aucune garantie qu’il y ait du vent en Allemagne s’il n’y a pas de soleil en Espagne.!»

DÉVELOPPER LE SOLAIRE ET L’ÉOLIEN

Autre question : la capacité à remplacer par des énergies renouvelab­les la puissance installée de 63" gigawatts des 58 réacteurs nucléaires français. L’Ademe estime qu’il faudrait multiplier par dix la puissance du parc photovolta­ïque et par cinq celui du parc éolien–"des chiffres contestés. Pour le solaire, l’agence estime que le potentiel sur les toitures, les ombrières pour parkings et les friches industriel­les est suffisant pour a#eindre ce#e hausse. Pour l’éolien, «!ce taux de croissance semble acceptable!»,

assure David Marchal, tout en reconnaiss­ant les opposition­s de certains riverains qui se traduisent par d’innombrabl­es recours. La filière compte notamment sur le développem­ent de l’éolien en mer, alors que la constructi­on du premier parc français a débuté l’an passé à Saint-Nazaire.

Enfin, les deux camps s'affrontent également sur l’évolution de la demande d’électricit­é. Pour les uns, elle pourrait augmenter de 40!% d’ici à 2050 en raison du développem­ent des voitures électrique­s et du chauffage électrique dans les bâtiments. Pour les autres, elle pourrait baisser grâce à une meilleure efficacité énergétiqu­e et la rénovation de l’habitat. «!Il reste encore de nombreuses incertitud­es qui déterminer­ont le mix énergétiqu­e français en 2050!», a fait valoir Jean-Bernard Lévy, le PDG d’EDF lors du colloque du Syndicat des énergies renouvelab­les. Sa solution : arrêter d’opposer le nucléaire et les renouvelab­les. «!Le temps des querelles est dépassé! » , assure-t-il. Un voeu

pieux..."

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#TRIPELON$JARRY / ONLY FRANCE% Deux des quatre réacteurs de la centrale nucléaire du Tricastin, dans la Drôme, pourraient être arrêtés d’ici à 2035.

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