La Tribune Hebdomadaire

Fessenheim cherche encore la voie de l’après-atome

REPORTAGE Huit ans après l’annonce de l’arrêt de la centrale, l’échéance est arrivée. Mais la commune alsacienne et celles des environs redoutent un saut économique dans l’inconnu.

- OLIVIER MIRGUET

Une semaine avant l’arrêt définitif du premier réacteur de la centrale nucléaire de Fessenheim, le maire de la commune, Claude Brender, lance un cri d’alarme. « Nous avons une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes », tente d’expliquer l’élu de ce bourg de 2!400 habitants, dont la centrale est le poumon économique depuis plus de quatre décennies. « La centrale va fermer, mais rien n’est prêt pour relancer l’économie locale », déplore le maire. Fessenheim pourrait perdre un quart de sa population. La commune voit surtout partir l’essentiel de ses rece"es fiscales. Finies les belles années pendant lesquelles ce village au bord du Rhin pouvait s’offrir une piscine publique (déjà fermée), une médiathèqu­e, des voiries flambant neuves… Les finances communales, qui dépendaien­t à 75!% des rece"es de la centrale, vont être durement impactées. Fessenheim craint même de se retrouver l’année prochaine avec « un budget négatif », selon Claude Brender. Depuis 2010, avec la réforme de la taxe profession­nelle, la commune reverse chaque année 2,9 millions d’euros aux autres collectivi­tés dans le cadre du Fonds national de garantie individuel­le des ressources (FNGIR). « Nous allons continuer de payer la même somme lorsque les recettes fiscales de la centrale auront disparu. L’État nous explique que l’assiette du FNGIR ne sera pas révisée. C’est complèteme­nt aberrant », tonne Claude Brender. Raphaël Schellenbe­rger, député (LR) de ce"e quatrième circonscri­ption du HautRhin, confirme : « J’ai alerté Bercy de cette situation incroyable. La première réaction du ministère a consisté à répondre que c’était un détail à l’échelle du budget de la nation. En insistant, j’ai obtenu de Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoire­s, son engagement à corriger la situation pour le projet de loi de finances de 2021. »

L’ENTHOUSIAS­ME INITIAL A FAIT LONG FEU

Au-delà de cette bataille de finances publiques à résoudre, le territoire de Fessenheim redoute un saut dans l’inconnu. En février 2019, l’État a proposé aux partenaire­s locaux de s’engager dans un projet de territoire, en prome"ant 10 millions d’euros en amorçage et 20 millions d’euros supplément­aires pour accompagne­r des projets de développem­ent déjà matures. Mais aucun projet n’a démarré. « Notre contrat de territoire comprend quatre piliers : la revitalisa­tion économique, les mobilités, la transition énergétiqu­e et l’innovation », résume Gérard Hug, président (Divers droite) de la communauté de communes Pays Rhin-Brisach, qui englobe Fessenheim et 28$communes voisines. Le départemen­t du Haut-Rhin a proposé de créer un pôle d’excellence dans le photovolta­ïque. L’État a lancé un appel d’offres avec 12$projets sélectionn­és (62,8 mégawatts), attribués en septembre 2019 à des acteurs économique­s locaux. Une zone d’activité industriel­le, appelée ÉcoRhéna, est en projet à proximité de la centrale nucléaire, dans le prolongeme­nt de l’actuel port fluvial de Colmar Neuf-Brisach. Une société d’économie mixte (SEM) franco-allemande, en cours de création, doit en assurer la promotion. « Les surfaces prévues pour ce!e zone ont été descendues de 200 hectares à 80 hectares parce qu’on y a découvert un biotope à préserver », s’énerve Raphaël Schellenbe­rger. « La protection de l’environnem­ent devient un frein à notre redéploiem­ent économique. Le caractère franco-allemand de ce!e SEM est sans importance. Il risque de complexifi­er la gouvernanc­e. Dans notre situation d’urgence, on ne devrait pas tenter de se doter d’outils aussi complexes », explique le député. L’enthousias­me initial de la classe politique locale, qui rêvait d’offrir à ce"e zone un statut fiscal particulie­r pour a"irer des implantati­ons étrangères, a fait long feu. La vision consistant à installer à côté de Fessenheim l’usine géante européenne de Tesla, soutenue jusqu’à l’été 2019 par les promoteurs de l’économie régionale, s’est évanouie. « Le territoire n’était pas prêt, le foncier indisponib­le, les politiques guère combatifs », résume Raphaël Schellenbe­rger. Le constructe­ur américain s’est installé à côté de Berlin.

« La centrale génère 1#000 emplois indirects sur le territoire. Que vont devenir nos$commerçant­s, nos restaurate­urs#? »

CLAUDE BRENDER, MAIRE DE FESSENHEIM

UNE USINE POUR RETRAITER LES DÉCHETS MÉTALLIQUE­S

En a"endant, chez EDF, la production continue. Pour financer l’arrêt des réacteurs, le démantèlem­ent et la mobilité de ses salariés, l’exploitant recevra 400 millions d’euros de dédommagem­ent de l’État jusqu’en 2024, assortis d’une compensati­on du manque à gagner jusqu’en 2041. Les deux réacteurs de la plus vieille centrale nucléaire de France produiront chacun 900$ mégawatts jusqu’au 22 février, date annoncée de l’arrêt définitif du réacteur 1. Le réacteur$2 s’arrêtera, lui, le 30 juin. Ensuite, les modalités du démantèlem­ent ne sont pas ajustées. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a rejeté, le 3 février, un premier scénario présenté par l’exploitant. Mais les grandes lignes sont écrites. Le combustibl­e qui"era progressiv­ement le site jusqu’en 2023 pour être retraité à La Hague, dans la Manche. Les effectifs permanents à Fessenheim (645 employés EDF et 300$prestatair­es au 31 décembre 2019) vont baisser dès ce"e année avec 170 salariés sur le départ. La direction a fixé le nombre incompress­ible de 294$ salariés d’astreinte sur le site de la centrale tant que le combustibl­e sera présent. EDF cherche des solutions pour maintenir des activités dans le Haut-Rhin. Un projet de technocent­re, qui traiterait à l’échelle européenne les déchets métallique­s issus de la déconstruc­tion des centrales nucléaires, pourrait employer 150$salariés. Il se heurte déjà à une fin de non-recevoir des énergétici­ens allemands. « L’attente du technocent­re nous met en colère. On ne voit rien venir », se désespère Anne Laszlo, déléguée syndicale CFE-CGC Énergies. « La centrale génère 1"000#emplois indirects sur le territoire. Que vont devenir nos commerçant­s, nos restaurate­urs"? #» s’interroge Claude Brender. Des craintes pèsent déjà sur le marché local de l’immobilier : la valeur pourrait s’effondrer en cas de décalage entre l’offre et la demande. « Je refuse de m’inscrire dans ce!e décroissan­ce. Je proje!e ma commune vers un objectif de 3"000#habitants en 2030 », promet Claude Brender. Le patrimoine EDF (120$logements) sera particuliè­rement surveillé avec la crainte de voir apparaître descitésfa­ntômes.LacitéKoec­hlin, une quinzaine d’immeubles de quatre appartemen­ts, reviendra en pleine propriété à la commune. Pour rester a"ractive, Fessenheim prévoit aussi la constructi­on d’un pôle médical, de locaux associatif­s et… d’une piste de quilles. De l’énergie à revendre!!

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!M. ASTAR/SIPA" La salle de commandes du réacteur 1. Malgré les promesses d’aides de l’État, aucun projet de développem­ent alternatif n’a encore démarré.
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La centrale vue depuis le village allemand d’Eschbach, de l’autre côté de la frontière française.

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