La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

NOTRE SYSTEME DE SANTE EST-IL EN BONNE SANTE ?

- LAURENT CHAMBAUD

À l'occasion du lancement le 18 septembre par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, de la concertati­on autour de la stratégie nationale de santé, The Conversati­on publie une série d'articles sur les différents systèmes de santé à travers le monde. Aujourd'hui, Laurent Chambaud, professeur de santé publique et directeur de l'École des hautes études en santé publique (EHESP), examine le système français. Demain, Andrew Street, professeur en économie de la santé à l'université de York, livre son analyse du système britanniqu­e.

Les Français peuvent être critiques quand ils discutent, entre eux, des soins reçus à l'hôpital ou chez leur médecin. Les mêmes sont pourtant prêts à défendre notre système de santé en clamant qu'il est le meilleur au monde ! Une affirmatio­n qui fait référence à un classement effectué par la prestigieu­se Organisati­on mondiale de la santé (OMS). Cette agence internatio­nale a en effet réalisé une comparaiso­n entre 191 pays dont la France est ressortie en tête.

Disons-le tout net : ces travaux sont vieux de 17 années. En même temps, la France n'a jamais pu être véritablem­ent détrônée depuis, car ce palmarès fut le premier mais aussi... le dernier réalisé par l'OMS, dont la méthodolog­ie a été aussitôt contestée. Par la suite, la France est montée et descendue dans différents classement­s en fonction des critères retenus par leurs auteurs et de leur conception de ce qu'est un « bon » système de santé.

Dans le plus récent, publié en juillet, la France se place seulement 10e, juste devant les États-Unis. Il s'agit d'une comparaiso­n de 11 pays industrial­isés conduite par le Commonweal­th Fund, une fondation basée à New York. Ces travaux couronnent le Royaume-Uni, pourtant recalé au... 26e rang dans une autre étude portant sur 195 pays parue en mai dans la revue The Lancet. Dans celle-ci, la France se situait au 15e rang - la première place étant occupée par un pays minuscule, la principaut­é d'Andorre. C'est dire à quel point de tels résultats se révèlent difficiles à interpréte­r.

ON PRÉFÈRE SOUVENT GUÉRIR... QUE PRÉVENIR

Si aucun pays, comme on le voit, ne peut prétendre que son système de santé est le meilleur d'entre tous, les Français se montrent globalemen­t satisfaits du leur. On peut en effet lui reconnaîtr­e plusieurs points forts : un bon accès à des soins de qualité, ainsi qu'une reconnaiss­ance croissante des droits des patients. À l'inverse, il pêche d'une part par sa complexité - les citoyens s'y perdent - et d'autre part, le peu d'accent mis sur la prévention. Contrairem­ent à l'adage, en France on préfère souvent guérir... que prévenir.

Les fondements de notre Sécurité sociale ont été posés dans des circonstan­ces historique­s tout à fait exceptionn­elles, en 1945, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Faute de gouverneme­nt, c'est un organe issu de la lutte contre l'occupant allemand, le Conseil national de la résistance - où toutes les sensibilit­és politiques étaient représenté­es - qui a dessiné notre protection sociale, incluant retraite et assurance maladie. Il s'agissait de conclure un pacte de solidarité pour pouvoir reconstrui­re le pays.

Notre système est dit « bismarckie­n » car s'inspirant de celui mis en place vers 1880 en Allemagne par le chancelier impérial Otto von Bismarck. Au départ, en effet, la France a suivi une logique où les droits de chacun sont ouverts par son activité profession­nelle. Le système s'est construit, dès cette époque, sur les notions de solidarité et de redistribu­tion : chacun paie selon ses moyens et reçoit selon ses besoins.

LE DROIT DE TOUS À LA SANTÉ, INSCRIT DANS LA CONSTITUTI­ON FRANÇAISE

Par la suite, notre pays a emprunté certains éléments au modèle beveridgie­n, reposant sur les idées de l'économiste britanniqu­e William Beveridge et défendant l'universali­té des droits. En effet, certains citoyens se sont trouvés exclus du système faute d'activité profession­nelle. Une extension pour les plus démunis (la Couverture maladie universell­e) a ainsi été créée en 1999, permettant que le droit de tous à la santé, inscrit dans le préambule de la constituti­on française, soit respecté. La même année, un régime particulie­r (l'Aide médicale d'État) a été conçu pour couvrir les étrangers en situation irrégulièr­e. Ainsi le système mixte actuel constitue une manière originale de conjuguer solidarité et universali­té.

Le modèle français fait coexister des établissem­ents de soins publics, couvrant 61 % des lits et places, avec une offre privée plus limitée. Cette dernière privilégie l'activité en ambulatoir­e (sans nuit passée sur place) et, pour l'hospitalis­ation, la chirurgie peu invasive et les population­s présentant les situations les moins complexes.

Les soins prodigués atteignent en France une qualité correspond­ant à celle des pays occidentau­x de niveau de vie comparable. Ainsi, dans l'étude Concord-2 portant sur 67 pays, la France occupe une bonne position sur la survie à 5 ans dans le cancer, notamment pour le cancer du sein. Il en est de même pour des maladies aiguës comme l'infarctus du myocarde ou l'accident vasculaire cérébral, selon l'OCDE.

L'HÔPITAL CONCENTRE LES MOYENS ET LE PRESTIGE

Dans le cas du diabète, par contre, on constate un taux d'admission à l'hôpital plus élevé que dans les autres pays de l'OCDE, un chiffre révélateur de « l'hospitalo-centrisme » de notre pays. L'hôpital concentre en effet l'essentiel des moyens et du prestige en matière de santé, au détriment des soins de base. Ceux-là sont essentiell­ement réalisés par des profession­nels de santé en libéral. Avec un nombre annuel de 6,7 consultati­ons de médecin par habitant en 2010, la France se situe cependant dans la moyenne des pays de l'OCDE (6,4).

Côté financemen­t, le modèle français repose sur une assurance obligatoir­e pour tout citoyen. Chacun dispose ainsi d'une Carte « vitale » au nom très explicite, couvrant totalement les soins indispensa­bles pour les maladies les plus graves (comme le cancer ou le diabète) et en partie les autres soins. S'y ajoute une assurance complément­aire, proposée le plus souvent par des mutuelles de santé, organismes à but non lucratif. Celle-ci est facultativ­e mais 95 % de la population y souscrit.

La plupart de nos concitoyen­s l'ignorent, mais la France est le pays de l'OCDE où le « reste à charge », c'est-à-dire la part de la facture effectivem­ent payée par chacun après remboursem­ent par le système d'assurance, est le plus faible. Il a représenté 7 % du total des dépenses en 2014, contre 27 % en Suisse, pays où ce « reste à charge » est le plus élevé.

UN NIVEAU DE DÉPENSES COMPARABLE À LA SUÈDE OU L'ALLEMAGNE

Notre système de santé coûte-t-il cher, comme le répètent les médias et les gouverneme­nts depuis... plus de 30 ans ? À y regarder de plus près, nos dépenses de santé sont largement inférieure­s à celles des États-Unis, de loin le champion du monde. Globalemen­t, en 2014, la France consacrait 11,1 % de son produit intérieur brut (PIB) à la santé, se rangeant à la 5e place des pays de l'OCDE, à des niveaux comparable­s à la Suède, l'Allemagne ou les Pays-Bas.

Si l'on regarde maintenant ces dépenses en fonction du pouvoir d'achat (parité de pouvoir d'achat), notre pays se situe à un niveau très proche de la moyenne des quinze pays ayant adhéré à l'Union européenne avant 2004. Ainsi, contrairem­ent à l'idée d'une France lanterne rouge en termes de coût des soins, la France se range « dans le peloton », avec les pays comparable­s.

Les Français, au final, sont-ils bien soignés ? Oui, si l'on en juge leur espérance de vie à la naissance. En 2014, les femmes vivaient en moyenne jusqu'à 86 ans, un âge parmi les plus élevés au sein de l'OCDE. Les hommes, jusqu'à 79,5 ans - résultat un peu moins favorable, mais restant dans les niveaux supérieurs. Toutefois, cet indicateur reflète surtout les conditions sociales, économique­s et culturelle­s de chaque pays.

UNE ESPÉRANCE DE VIE À 65 ANS ÉLEVÉE

L'espérance de vie à 65 ans est sans doute un indicateur plus pertinent. En effet, les multiples pathologie­s liées à l'âge sont d'autant mieux prises en charge que le système de santé est performant. À cet égard, la France obtient de très bons résultats, tant chez les femmes (24 ans, juste derrière le Japon) que chez les hommes (19,7 ans, soit le meilleur taux pour les pays de l'OCDE). Le décalage important chez les hommes entre l'espérance de vie à la naissance et celle à 65 ans révèle le poids, dans notre pays, des décès prématurés. Ceux-ci sont en grande partie liés à des causes évitables, notamment les conduites addictives comme le tabagisme ou l'alcoolisme.

S'il faut retenir un motif d'insatisfac­tion vis-à-vis de notre système de soins, c'est sans aucun doute celui de voir perdurer les inégalités de santé selon le niveau d'éducation ou l'origine sociale. En France, l'écart d'espérance de vie à 35 ans entre un cadre et un ouvrier est de 6,4 ans. La plupart des pays sont confrontés au même problème, indiquant que ce problème doit être au centre des préoccupat­ions communes.

Notre système de santé est-il prêt à relever les défis du vieillisse­ment de la population et de la progressio­n des maladies chroniques ? Il doit pour cela parvenir à coordonner des acteurs oeuvrant pour l'instant chacun de leur côté, s'agissant de l'hôpital, de la médecine de ville et des soins à domicile. Cette approche intégrée de la santé, désormais familière aux Français sous le nom de « parcours de soins », reste à consolider. Cela passe par une réflexion sur le mode de financemen­t des établissem­ents de santé et de rémunérati­on des profession­nels hors hôpital. Aujourd'hui, ces derniers sont essentiell­ement payés à l'acte, ce qui n'encourage pas le suivi global du patient.

TROP D'INÉGALITÉS DANS L'ACCÈS AUX SOINS

Il faudra aussi exercer une vigilance particuliè­re sur la question de l'accès aux soins. Aujourd'hui, des citoyens renoncent à consulter pour des raisons financière­s, notamment pour leurs dents ou leur vue. D'autres ne parviennen­t pas à trouver de praticien exerçant en libéral au tarif remboursé par la Sécurité sociale, alors qu'ils n'ont pas les moyens de consulter ceux pratiquant des honoraires plus élevés - même si ces « dépassemen­ts » sont plafonnés depuis 2013. Les habitants de certaines zones désormais qualifiées de « déserts médicaux », enfin, manquent de médecins à proximité.

Notre système de soins, solide et sophistiqu­é, peut « encaisser » le vieillisse­ment de la population, pour peu qu'il adapte son fonctionne­ment. Mais si l'on veut éviter que, tôt ou tard, la machine s'engorge, il faut actionner dès maintenant le seul levier susceptibl­e d'agir à une échelle suffisamme­nt large : la prévention des maladies, et la promotion de la santé auprès des citoyens. À l'heure où 1 adolescent sur 3 fume quotidienn­ement, faisant de la France un des pays européens les plus touchés par l'addiction au tabac chez les jeunes, le défi est de taille.

Par Laurent Chambaud, Médecin de santé publique, École des hautes études en santé publique (EHESP) - USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on

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La France figure à la 10? place (sur 11) dans le classement conduit par la fondation Commonweal­th Fund.
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