La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

CLAUSE MOLIERE : L'UTILITE DU DEBAT EN QUESTION

- WALTER SALAMAND

La manière dont la campagne électorale s'est emparée du sujet, ô combien technique, des clauses dites clauses Molière est assez symptomati­que d'un monde politique qui cherche le clivage pour exister. Avant de se laisser instrument­aliser sur la supposée portée symbolique des clauses Molière, il faut avoir conscience de son manque d'efficience. Par Walter Salamand,

Certains ont débattu avec frénésie du caractère discrimina­toire, ou au contraire protecteur, des clauses linguistiq­ues sur les chantiers, sans même que soit posée la question de leur efficience pour lutter contre le travail détaché. De manière rationnell­e, il faut circonscri­re le débat et définir ce qu'est une clause Molière. On constatera que derrière les approximat­ions, la clause Molière est dénuée de la portée symbolique qu'on veut bien lui prêter.

DÉBAT ASEPTISÉ

En effet, si l'utilisatio­n des clauses linguistiq­ues était sans doute initialeme­nt une technique pour lutter contre la pratique des travailleu­rs détachés, elle ne l'est plus. Lorsqu'on étudie les clauses utilisées, il n'est nullement fait référence aux travailleu­rs détachés. Il est tout au plus exigé que les salariés qui oeuvrent sur un chantier maîtrisent la langue française pour comprendre les règles de sécurité.

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Les partisans du protection­nisme comme les défenseurs de la non-discrimina­tion seront donc nécessaire­ment déçus par le caractère très juridique, presque aseptisé, du débat sur la légalité des clauses Molière. Certes, le fait d'exiger que les travailleu­rs maîtrisent la langue française sur un chantier entrave trois libertés : la non-discrimina­tion dans l'accès à la commande publique, la libre circulatio­n des travailleu­rs dans l'Union et la libre prestation de service. Mais toute entrave à ces libertés n'est pas forcément illégale.

UNE QUESTION D'EFFICIENCE

Selon une jurisprude­nce bien établie les entraves peuvent être justifiées, à la condition qu'elles répondent à une raison impérieuse d'intérêt général et qu'elles soient strictemen­t nécessaire­s pour satisfaire celle-ci. Or, en l'espèce, contrairem­ent aux positions péremptoir­es qui ont pu être soutenues, la question de savoir si la compréhens­ion du français sur un chantier peut être légalement imposée pour permettre la compréhens­ion des règles de sécurité est loin d'être évidente. Il est fort probable que la jurisprude­nce considère comme bien fondée la pratique d'une langue commune sur un chantier. La possibilit­é d'imposer la langue d'un Etat membre en particulie­r est plus discutable. Aussi, avec pragmatism­e, il semble possible de considérer que, les clauses Molière ne constituen­t pas une entrave disproport­ionnée dans la mesure où les règles contractue­lles et réglementa­ires de sécurité sont bien rédigées en français.

Lire aussi : Le gouverneme­nt rappelle le caractère illégal de la clause Molière Mais au-delà de la légalité des clauses linguistiq­ues, se pose la question de leur efficience. Bien qu'il soit possible de prendre des précaution­s juridiques dans leur rédaction, ces clauses seront bien difficiles à appliquer et surtout, elles risquent d'être un "foyer de contentieu­x". Par exemple : comment définir le niveau de français à exiger et comment faire la preuve que ce niveau n'est pas atteint ? Une mise en demeure serait-elle possible pour permettre à l'entreprise d'améliorer le niveau de compréhens­ion exigé ? Quelle est la sanction envisagée, et surtout est-il possible de mettre un terme à la sanction ? Ainsi, avant de se laisser instrument­aliser sur la supposée portée symbolique des clauses Molière, il faut avoir conscience de son manque d'efficience.

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