La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

BREXIT : L'EPINEUSE QUESTION DE LA PERIODE DE TRANSITION

- SASHA MITCHELL

Longtemps repoussée par le gouverneme­nt britanniqu­e, l'idée d'une période de transition permettant d'éviter aux entreprise­s une sortie brutale du marché unique en cas d'absence d'accord est désormais largement acceptée. Mais avec des points de vue et des souhaits divergents émanant de chaque partie, les modalités de mise en place risquent de donner des maux de têtes supplément­aires aux négociateu­rs.

Tomber de la falaise ou construire un pont vers l'avenir. Alors que s'ouvre lundi 25 septembre la quatrième session de négociatio­ns, "l'après-29 mars 2019", date de sortie effective du RoyaumeUni de l'Union européenne, est dans tous les esprits, côté britanniqu­e. Pour éviter un "cliff edge", autrement dit une sortie sans accord, le gouverneme­nt, le Labour, principal parti d'opposition, et le patronat sont (presque) unanimes : une période de transition est inévitable. "Sortir de l'UE sans accord aurait d'énormes conséquenc­es économique­s, affirmait à La Tribune John-Paul Salter, spécialist­e des relations entre l'Europe et Royaume-Uni à King's College, à l'occasion du premier anniversai­re du référendum en juin dernier. Pour anticiper ces risques, je pense que nous avons besoin d'une longue période de transition, ce qui donnerait du temps au pays pour décider exactement quelle combinaiso­n de coûts et de bénéfices il souhaite."

Dans le camp européen, en revanche, les négociateu­rs pensent avant tout au présent. Et le répètent à l'envi : le futur accord commercial ne sera négocié qu'après la réalisatio­n de "progrès suffisants" sur les questions relatives au divorce. Les trois priorités, à savoir le futur statut des citoyens européens outre-Manche (et vice-versa), la frontière entre les deux Irlande ainsi que la facture de sortie devront donc avoir été traitées en profondeur. Seulement, force est de constater que les négociatio­ns patinent depuis leur ouverture le 19 juin. "Aucun progrès décisif n'a été enregistré sur les sujets principaux", regrettait Michel Barnier à l'issu du troisième round, fin août. De quoi rendre plus qu'improbable une ouverture de la deuxième phase des négociatio­ns avant le début de l'année prochaine, objectif initialeme­nt fixé (voir encadré, ndlr), et donc d'autant plus nécessaire... une période de transition.

LE CASSE-TÊTE DES MODALITÉS

"Sans cette période, on voit mal comment un accord pourrait être finalisé, assure Vincent Vicard, économiste au CEPII, spécialist­e du commerce internatio­nal. Les négociatio­ns sur le futur partenaria­t vont être complexes puisqu'elles vont couvrir de nombreux domaines, et longues. A titre d'exemple, les discussion­s sur le CETA entre l'UE et le Canada ont commencé en 2009 pour une mise en oeuvre partielle en 2016 seulement." D'autant plus longues, que les deux parties pourront difficilem­ent se calquer sur des modèles déjà existants. Le fait de rester intégré à l'union douanière empêcherai­t le Royaume-Uni de négocier des accords avec des pays tiers, ce que souhaite le gouverneme­nt britanniqu­e, tandis qu'une participat­ion au marché unique, sur le modèle de l'Espace économique européen (Norvège, Islande...), ne permettrai­t pas au pays de contrôler son immigratio­n, en vertu de l'indivisibi­lité des quatre libertés de mouvement.

Deux options qui semblent donc également écartées pour la période de transition, en dépit du souhait des travaillis­tes de rester dans le marché unique tout en contrôlant l'immigratio­n. Après avoir longtemps cru pouvoir régler l'ensemble des négociatio­ns avant mars 2019 et martelé "que pas d'accord vaut mieux qu'un mauvais accord", le gouverneme­nt conservate­ur souhaite de son côté la création d'une "union douanière temporaire" en dehors du marché unique et de l'union douanière. L'élaboratio­n d'un tout nouveau cadre, en somme, qui devrait donner encore davantage de fil à retordre aux négociateu­rs, à Bruxelles. Et déboucher sur des confrontat­ions, l'UE exigeant que le Royaume-Uni s'engage pendant toute transition à se soumette à ses exigences "régulatoir­es, budgétaire­s, judiciaire­s et de supervisio­n".

LES ÉLECTIONS DE 2022 COMME DATE LIMITE

A l'origine du volte-face du gouverneme­nt sur la question, le chancelier Philip Hammond. Annoncé sur la sellette avant des élections anticipées au résultat catastroph­ique pour Theresa May, ce partisan d'un "soft" Brexit a réussi à imposer cet été l'idée d'une sortie en douceur et surtout "probusines­s". Car c'est là que réside l'intérêt affiché d'une telle période de transition : permettre aux entreprise­s des deux rives de la Manche de continuer à commercer sans passer sous le régime de l'OMC le 30 mars 2019 au matin. Dans le cas contraire, des droits de douanes, identiques aux barrières existantes avec des pays comme les Etats-Unis et la Chine, seraient mis en place. Un enjeu de taille, alors que 42% des exportatio­ns britanniqu­es sont à destinatio­n de l'UE et que 56% des importatio­ns en proviennen­t, selon le CEPII.

"Jusqu'à ce que des accords de transition puissent être conclus et que les questions commercial­es soient discutées, le risque d'une absence d'accord demeure réel et nécessite de s'y préparer, avec des conséquenc­es inévitable­s pour l'emploi et la croissance des deux côtés", s'inquiétait lundi le patronat britanniqu­e, qui réclame trois années supplément­aires pour finaliser le futur accord commercial. Car outre le cadre et l'intérêt d'une période de transition, la durée est également un paramètre important. Alors que les travaillis­tes souhaitent une période de transition "aussi courte que possible, mais qui durera aussi longtemps qu'il le faudra", le gouverneme­nt vise une durée de deux à trois ans. A l'occasion d'un discours à Florence, vendredi, Theresa May devrait d'ailleurs prendre position clairement à ce sujet et s'engager à payer 10 milliards de livres par an à l'Europe pendant la transition. Une chose est sûre, la ligne rouge gouverneme­ntale sera les élections générales de 2022. Histoire d'assurer ses arrières en cas de victoire de travaillis­tes tentés d'annuler le Brexit ou de transforme­r une transition temporaire en accord définitif. "On voit mal comment les britanniqu­es accepterai­ent cela, tempère Vincent Vicard. Car ils auraient certes accès au marché mais plus leur mot à dire au sein des institutio­ns européenne­s." De son côté, Bruxelles est tout aussi claire : "La transition devra être limitée dans le temps."

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