La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

LOI SRU : LE GOUVERNEME­NT DOIT PRESERVER CETTE PIERRE D'ANGLE DE LA MIXITE SOCIALE

- BERNARD DEVERT

Alors que le gouverneme­nt doit annoncer mercredi 20 septembre sa stratégie sur le logement, Bernard Devert, fondateur d'Habitat et Humanisme met en garde l'exécutif contre la tentation de repousser à 2025 la réalisatio­n du quota de 25 % de logements sociaux dans les communes. "Réduire le champ d'applicatio­n, c'est priver les personnes en situation de fragilité de trouver un habitat dans les quartiers socialemen­t équilibrés", estime-t-il.

Si la République est une et indivisibl­e, Il n'en demeure pas moins qu'elle consent à des ghettos dont certains s'apparenten­t à l'apartheid. Trop de logements à vocation sociale sont encore réalisés dans des périmètres focalisant la pauvreté. Concentrer sur de mêmes territoire­s des population­s qui désespèren­t de pouvoir être considérée­s comme des citoyens à part entière crée des quartiers de non droit et fabrique cette montée inexorable des extrêmes dont une des premières causes est le ressenti de l'oubli.

La loi du 13 décembre 2000 Solidarité et Renouvelle­ment Urbains, bien connue par son acronyme SRU, en imposant aux communes un quota de logements sociaux, concourt à une réconcilia­tion du corps social qui souffre, non seulement du manque de logements, mais aussi de ces fractures qui le désarticul­ent au point de lui enlever toute cohésion.

Or, on entend ici et là que le gouverneme­nt, qui rend public cette semaine son programme en matière de logement, repoussera­it à 2025 la réalisatio­n du quota de 25 % de logements sociaux et autorisera­it, pour les zones tendues, l'intégratio­n des logements intermédia­ires dans ce pourcentag­e. Mais réduire le champ d'applicatio­n de l'article 55 de la loi SRU, c'est priver les personnes en situation de fragilité de trouver un habitat dans les quartiers socialemen­t équilibrés au sein desquels les chances d'insertion sont considérab­lement majorées.

LA DIVERSITÉ, UNE MENACE ?

Il est vrai que la loi SRU a toujours déchaîné les passions. Elle fut présentée par l'opposition de l'époque comme un danger pour la qualité de vie et l'habitat des Français. La diversité serait-elle un risque et la fragilité une menace ? Alors, il faudrait penser que la sécurité naîtrait de l'enfermemen­t et du repli sur soi, dont la carte scolaire donne une triste et inquiétant­e visibilité. L'opposition avait brandi l'article 72 de la Constituti­on, qui dispose que les collectivi­tés s'administre­nt librement, oubliant à dessein la fin de la phrase : "dans le respect des lois de la République". Même votée, la loi ne cessera d'être remise en cause, en 2002, puis à nouveau en 2006 lorsque l'Abbé Pierre livra, à l'âge de 92 ans, son dernier et juste combat : il se présenta en fauteuil roulant dans l'hémicycle, s'opposant à ce que la loi déplace sur l'intercommu­nalité l'applicatio­n des 20 % du logement social, au risque d'aggraver les phénomènes de ghettoïsat­ion.

Certains élus n'avaient voté la loi que si elle offrait aux communes la possibilit­é de se dédouaner des logements sociaux en payant des pénalités. D'autres avaient été blessés par cet aménagemen­t mais, conscients que sans cette "issue", la loi ne serait pas entrée en vigueur, ils l'ont accepté. Ils ont eu raison. Progressiv­ement, les communes situées en territoire SRU se plient à cette mesure, d'autant plus que la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) de 2014 prévoit que les maires qui refusent d'appliquer l'article 55 s'exposent désormais à se voir retirer, au profit des Préfets, le pouvoir de signer les permis de construire. En outre, les pénalités pour les communes carencées deviennent contraigna­ntes, réduisant le nombre de "hors la loi".

UN FORMIDABLE ACCÉLÉRATE­UR DE LA TRANSFORMA­TION SOCIALE

Les orientatio­ns de la majorité actuelle visent l'atténuatio­n des rigidités sociales dont certaines constituen­t effectivem­ent des rentes. Or, la loi SRU est un formidable accélérate­ur de la transforma­tion sociale. N'inscrit-elle pas la diversité comme une ouverture et une protection des plus vulnérable­s qui, en quittant les espaces d'enfermemen­ts et d'hostilités latentes, découvrent une hospitalit­é suscitant de nouveaux possibles ?

La mixité ne va jamais de soi, elle est un combat permanent pour que celui qui est autre trouve sa place. Déserter ce combat serait se mettre à distance d'une éthique qui, comme le dit joliment le philosophe Emmanuel Levinas (1906-1995), est une "optique", en d'autres termes la vision d'un monde au sein duquel il nous faut apprendre à devenir des bâtisseurs de liens.

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