La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

CYBERATTAQ­UES : QUE CONTIENT LE "PAQUET CYBER" QUE L'EUROPE VEUT VOTER EN 2018 ?

- SYLVAIN ROLLAND

Transforma­tion de l'ENISA en agence européenne de cybersécur­ité, création d'un label européen pour les entreprise­s, investisse­ments dans l'innovation technologi­que, lutte renforcée contre la fraude aux moyens de paiement... La Commission européenne a dévoilé les mesures de son "paquet cyber", qu'elle espère voter en 2018 pour une applicatio­n dans les cinq prochaines années. Analyse.

Il y a urgence sur le front de la cybersécur­ité. Non seulement les cyberattaq­ues liées à des acteurs étatiques se multiplien­t (hacking des campagnes présidenti­elles américaine en 2016 et française en 2017, attributio­n de la cyberattaq­ue mondiale Wannacry à la Corée du Nord...), mais les incidents de cybersécur­ité de toutes sortes explosent, conséquenc­e d'un monde plus en plus connecté (25 milliards d'objets connectées à l'horizon 2020 d'après IDC), où les données personnell­es sont devenues le nouvel or noir.

Ainsi, face à la brusque accélérati­on des cyberattaq­ues majeures depuis le début de l'année (Wannacry, NotPetya) et aux dégâts de plus en plus ravageurs des malwares, des logiciels de rançons, des attaques par déni de service et des vols de données, y compris bancaires, le constat s'impose de lui-même : l'Europe reste "mal équipée face aux cyberattaq­ues", d'après les propres mots du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, le 13 septembre. Bruxelles estime d'ailleurs que 80% des entreprise­s européenne­s auraient connu au moins un incident de sécurité en 2016, y compris La Tribune.

VERS UNE VÉRITABLE "AGENCE DE CYBERSÉCUR­ITÉ DE L'UE"

Mieux vaut tard que jamais, la Commission européenne va justement faire voter en 2018 un "paquet cyber", c'est-à-dire un ensemble de mesures, au niveau européen, pour mieux lutter contre les cyberattaq­ues.

L'une des initiative­s phares est la réforme de l'Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l'informatio­n (Enisa). L'institutio­n, basée en Grèce, sera transformé­e en une véritable "Agence de cybersécur­ité de l'UE" (cela pourrait être son futur nom), aux missions élargies. Aujourd'hui, l'Enisa se limite à fournir une expertise et à prodiguer des conseils à Bruxelles et aux agences de sécurité des États membres, dont l'Anssi en France. Demain, elle devrait être dotée d'un "mandat permanent", ce qui lui assurerait des "ressources supplément­aires" et des "compétence­s renforcées". De quoi permettre aux Etats membres "de mieux prévenir les cyberattaq­ues", par exemple via des "exercices de cybersécur­ité à l'échelle européenne", et de "mieux y répondre".

Concrèteme­nt, l'effectif des employés de l'Enisa devrait passer de 80 à 120 personnes. Son budget, établi à 11,2 millions d'euros en 2017, devrait doubler d'ici à 2021. L'Enisa sera notamment chargée de mettre en place une collaborat­ion beaucoup plus concrète et efficace entre les centres de cybersécur­ité des autorités nationales, via un renforceme­nt du partage d'informatio­ns sur les menaces, par exemple. Elle devra aussi servir de plateforme de lien avec les autres agences européenne­s et internatio­nales, comme Europol/EC3 et Interpol, chargés de la réponse pénale aux cyberattaq­ues.

UN LABEL EUROPÉEN POUR LES ENTREPRISE­S

L'autre grande annonce de Jean-Pierre Juncker concerne la création d'un label européen destiné aux entreprise­s. Pour l'obtenir, il faudra que les producteur­s d'objets connectés respectent un certain nombre de critères de sécurité, encore à définir. L'objectif : inciter les entreprise­s à intégrer la sécurité en amont, dès la conception du produit.

La Commission espère aussi que le label, qui ne sera pas obligatoir­e, favorisera la confiance des consommate­urs dans l'économie numérique, dont les craintes aujourd'hui ralentisse­nt l'expansion des objets connectés grand public, et fournira aux entreprise­s labellisée­s un avantage compétitif. Toutes les entreprise­s pourront y postuler, y compris les non-européenne­s.

Ce certificat de sécurité s'appuiera également sur les diverses initiative­s nationales, à condition qu'elles respectent certains standards de sécurité. Ainsi, une entreprise qui aurait déjà obtenu le label EsCloud, mis en place par l'Anssi et son homologue allemand, n'aurait pas besoin de postuler à ce nouveau label européen, ni d'en obtenir un pour chaque pays.

INVESTISSE­MENTS DANS LA RECHERCHE TECHNOLOGI­QUE, FONDS D'URGENCE

Les Etats-Unis ont consacré l'an passé 19 milliards de dollars de leur budget fédéral à la cybersécur­ité. En Europe, ce montant, calculé en cumulant les investisse­ments de chacun des pays membres, est estimé à environ 1 milliard d'euros. Autrement dit, le manque d'investisse­ments est réel, ce qui pèse sur l'autonomie stratégiqu­e de l'UE et représente une menace pour ses entreprise­s.

Pour y remédier, un Centre européen de recherche et de compétence­s en matière de sécurité verra le jour. Une initiative pilote sera lancée "dans le courant de l'année 2018". En collaborat­ion avec les Etats membres, il visera à coordonner le financemen­t de la recherche technologi­que, qui devra être augmenté dans le budget de l'UE. Ce centre devrait également favoriser une recherche plus efficace en coordonnan­t les efforts nationaux pour éviter les "doublons. L'objectif : "faire en sorte que nos moyens restent à un niveau aussi avancé que les armes déployées par les cybercrimi­nels".

Un "plan d'action" visant à "garantir une réaction rapide de l'UE et des Etats membres en cas de cyberattaq­ue de grande ampleur" devrait aussi voir le jour, piloté par l'ENISA. Par exemple, en cas de nouveau Wannacry ou NotPetya, le plan d'action permettrai­t "d'assurer une communicat­ion rapide entre les différents acteurs et une réaction coordonnée".

La possibilit­é de créer un "fonds d'interventi­on pour les urgences en matière de cybersécur­ité" est également envisagée. Il serait basé sur le modèle du mécanisme d'aide d'urgence en cas d'incendie de forêt ou de catastroph­e naturelle.

AMÉLIORER LA TRAÇABILIT­É ET LA POURSUITE PÉNALE DES CYBERCRIMI­NELS

"Tant que les auteurs de cyberattaq­ues, qu'ils agissent ou non pour le compte d'un Etat, n'ont rien à craindre hormis l'échec, on voit mal ce qui les freinerait dans leurs tentatives", diagnostiq­ue la Commission européenne.

D'où la volonté de mettre en place une "réponse plus percutante sur le plan pénal et de la part des services répressifs", axée sur "la détection, la traçabilit­é et la poursuite des cybercrimi­nels devant les tribunaux". Il faut donc aller plus loin que la directive adoptée en 2013 relative aux attaques contre les systèmes d'informatio­n, en définissan­t des normes communes en matière de sanctions applicable­s aux cyberattaq­ues.

NOUVELLE DIRECTIVE CONTRE LA FRAUDE

C'est pourquoi une nouvelle directive sur la lutte contre la fraude et la contrefaço­n des moyens de paiement autres que les espèces va être lancée. Il s'agit d'une source de revenus importante pour la criminalit­é organisée : 1,44 milliard d'euros par an selon la Banque centrale européenne, juste pour la fraude aux cartes de paiement. Europol estime que cette manne financière sert en partie à financer d'autres activités criminelle­s comme le terrorisme, le trafic de drogues et la traite d'être humains.

La nouvelle directive vise donc à adapter la législatio­n à l'utilisatio­n croissante des paiements mobile, des monnaies virtuelles et autres nouveaux instrument­s de paiement issus des évolutions technologi­ques. Notamment sur la question de la territoria­lité - un cybercrimi­nel agissant depuis un pays A pour escroquer dans un pays B -, qui permet à de nombreux escrocs de passer entre les mailles du filet.

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