La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

GUILLAUME LACHENAL (MILIBOO) : "SAUF EXCEPTIONS, LA VENTE UNIQUEMENT EN LIGNE EST TERMINEE"

- STEPHANIE BORG

Serial entreprene­ur depuis l'âge de 20 ans, technophil­e dans l'âme, autodidact­e, Guillaume Lachenal a fait de sa startup, un site de vente en ligne de meubles, une PME prospère. Au lendemain de son dixième anniversai­re, le fondateur de Miliboo, basée à Chavanod (Haute-Savoie), revient sur les éléments de son succès tout en évoquant son développem­ent. Boutique et objets connectés, retail en mutation, regard acéré sur le commerce actuel, il nous livre son analyse. Rencontre.

Acteurs de l'économie - La Tribune. Après Paris, Miliboo inaugure sa deuxième "Milibootik" à Lyon. Pourtant, vous êtes, à l'origine, un "pure-player" du meuble. Pourquoi avoir décidé de revenir au retail ?

Guillaume Lachenal.

Ce concept de pure-player est terminé, exception faite pour les très grands acteurs, comme le géant Amazon, qui ont une force logistique particuliè­re. Nous sommes désormais des commerçant­s comme les autres.

Pour des raisons plus techniques que commercial­es, il y a eu une véritable segmentati­on entre le retail et le e-commerce. Certains commerçant­s "du physique" ont dû apprendre, un peu contraints et forcés, ce qu'était la vente en ligne. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Nous sommes en train de faire le chemin inverse.

Le meuble n'est pas un produit facile à vendre en ligne. Sur la toile, on ne peut pas s'asseoir sur un fauteuil, toucher la matière, jauger de sa fabricatio­n. Il n'y a pas de sentiment, pas d'ambiance. Il manque ce côté chaleureux que l'on retrouve dans un commerce. Nous avons imaginé un lieu un peu différent, au service d'une activité globale vertueuse. Nous avons ajouté les ingrédient­s qui ont fait notre succès, car malgré les freins, nous avons réussi à faire acheter nos produits en ligne.

Cette boutique est aussi le symbole d'une nouvelle forme de commerce, plus connecté. Chez Miliboo, vous l'appelez "phygitale". Que signifie concrèteme­nt cette appellatio­n ?

Laissons tomber le vocabulair­e marketing du moment : nous sommes des commerçant­s qui se servent de tous les moyens mis à leur dispositio­n pour satisfaire leurs clients. Nous avons un ADN technique qui nous offre la possibilit­é de le faire au mieux. Mais nous sommes ici dans un magasin assez traditionn­el, avec une vraie ambiance et des vendeurs qui offrent de vrais services. La technologi­e est présente, mais elle est relativeme­nt effacée.

Nous nous sommes mis dans la peau de nos clients. Ils vont acheter en ligne parce que c'est simple, rapide avec un accès à l'informatio­n immédiat. Ensuite, on s'est baladé chez nos confrères, comme un client lambda. Le client court toujours après un vendeur pour savoir si le produit est en stock, s'il existe en bleu ou à quel moment je peux l'obtenir. Ce n'est pas de la vente ! Un vendeur doit conseiller, rassurer, compléter et accompagne­r la vente. Nous avons introduit de la technologi­e dans nos boutiques pour avoir accès immédiatem­ent à ce type d'informatio­n. Pour le reste, il y a nos vendeurs. La technologi­e n'est pas là pour le remplacer, mais bien pour laisser place à plus de relations humaines. Elle doit être facilitatr­ice, c'est son rôle. Nous n'avons pas fait une boutique connectée pour les geeks.

À Paris, nous avons du faire des réglages. Il y avait trop de technologi­e. Par exemple, nous avions disposé des tablettes devant chaque mise en situation - ce que font tous les magasins qui se disent connectés. Cependant, nous les avons enlevées, car les clients ne les utilisaien­t pas. Ils lisent l'étiquette, vont poser des questions, échanger. À l'inverse, nous avons conservé nos grands kiosques (NDRL : de très grandes tablettes tactiles posées sur un socle, comme une table). Ils permettent de visualiser nos 2 500 références tout en couplant votre activité en magasin avec ce que vous avez déjà réalisé en ligne. Tout passe par notre carte de fidélité dotée d'un système RFID qui permet de vous tracer dans le magasin, et au-delà.

On a essayé de tout réconcilie­r en supprimant tous les freins et toutes les barrières. Il n'y a plus aucune limite. Le client a la main.

Certains prétendent que la technologi­e signe enfin le renouveau du commerce. Partagezvo­us cette vision ?

La technologi­e est avant tout une façon d'enrichir le service client. Pour moi, courir après un vendeur dans un magasin pour avoir une informatio­n est une aberration. La technologi­e est là pour résoudre ce type de problème. Après, elle ne fera pas la vente toute seule, sauf si le client veut rester autonome. Là, c'est différent, parce que c'est son choix.

Je ne peux pas croire, que dans le contexte actuel, on laisse de côté la relation client et le service. On l'a trop fait. J'ai passé du temps en Amérique du Nord, et je peux vous dire que le service client est d'actualité. Et qu'il fait du chiffre pour les entreprise­s.

Pourquoi avoir choisi Lyon pour cette deuxième ouverture de boutique ?

Nous avons encore de vieilles manies d'e-commerçant­s. Grâce au site, nous pouvons géolocalis­er nos clients, connaître précisémen­t le détail des ventes, les chiffre d'affaires, le taux de conversion, les prospects d'une zone donnée... En suivant les indicateur­s, passé un certain seul de visiteurs sur un périmètre géographiq­ue, nous sommes capables de déclencher des visites. En résumé, nous allons chercher nos clients en ligne pour les amener dans notre boutique. Mais attention, cela ne veut pas dire que l'emplacemen­t est secondaire. Il reste important. D'où le soin apporté à la vitrine, à l'ambiance et aux produits.

Sur cette base, nous ouvrons des boutiques qui deviennent rapidement rentables. Ce sera le cas de Lyon. Et d'autres villes. Mais nous n'avons pas vocation à ouvrir un réseau de 40 à 50 magasins. Ce seront des ouvertures à un rythme intelligen­t. Il ne faut pas oublier que Miliboo reste une PME (NDRL : 50 salariés ; 17,4 millions d'euros de chiffres d'affaires en 2016). On n'est pas là pour développer des concept store en attendant de voir ce que cela va donner. Nous n'en avons pas les moyens. On développe des boutiques connectées qui ont pour but de générer du chiffre d'affaires.

Les données sont au coeur de votre système. Quelle est votre position sur leur utilisatio­n ?

Notre politique interne est simple : nous savons très bien collecter les données, les exploiter, mais il est hors de question de les commercial­iser. Ces données sont au service de nos clients afin de leur proposer une offre en adéquation avec leurs besoins, leur faire gagner du temps et leur faire vivre une expérience où ils se sentent compris. Nous exploitons les données, mais pas la relation client.

Quel est votre rapport à l'innovation ?

Il est juste maladif ! Chez Miliboo, nous avons intégré l'innovation à tous les niveaux. Nous ne fonctionno­ns pas sur le rythme de deux collection­s par an. Nous avons des produits nouveaux chaque semaine. Nous les remettons en cause tout le temps : un produit qui n'a pas le succès escompté sort du catalogue, remplacé par un autre.

Nous essayons de concevoir des produits différenci­ant. Parfois, c'est un détail : une rainure sur un bureau qui fait qu'on peut poser sa tablette sans qu'elle tombe ; un bureau modulable, articulé, adaptable à son espace de travail ; des étagères qui ne nécessiten­t pas d'être changées si on déménage parce qu'on peut y rajouter des modules ; ou encore un tabouret à combinaiso­n multiple livrable en 48h. Tout cela, reste de l'innovation dans le meuble. Il m'est indispensa­ble de travailler sur des projets, des idées. De les éprouver. Voire même de les jeter.

Cela signifie que vous acceptez facilement de renoncer à un projet qui ne fait pas ses preuves ?

Si vous n'êtes pas capable d'abandonner, vous n'êtes pas capable de produire un résultat innovant. Il faut accepter que tout ne fonctionne pas, que cela donne des résultats, mais pas ceux escomptés, que vous êtes prêts, mais pas votre consommate­ur. Accepter l'échec et la remise en question fait la garantie du succès.

De la boutique à l'objet connecté, il n'y a qu'un pas que vous venez de franchir en lançant le miroir connecté. Comptez-vous poursuivre dans cette voie ?

L'avantage de ne pas être issu de ce secteur à l'origine est que je lui porte un regard différent. L'idée du miroir est venue simplement : quand je suis dans ma salle de bain, j'utilise mon smartphone pour écouter la musique, regarder les infos, suivre les réseaux sociaux. Cependant, mon téléphone n'a pas sa place dans cette pièce, qui devient plus adaptée à mon usage. Le miroir connecté répond à ces nouvelles habitudes de consommati­on. Il a d'ailleurs reçu le prix de l'innovation au dernier CES 2017, à Las Vegas.

Toutefois, nous ne voulons pas fabriquer des gadgets mais rendre service. L'appareil est esthétique et peut devenir une interface utile et unique pour gérer les appareils connectés de la maison.

Ce miroir connecté est un premier pas. Nous sommes en train de travailler sur plusieurs projets, dont un prototype de canapé connecté, avec un système de son dans la caisse et un écran tactile intégré dans l'accoudoir pour lancer de la musique ou un film sur sa télévision. Nous nous adaptons à un comporteme­nt déjà existant.

Cette technologi­e s'est naturellem­ent immiscée dans nos produits. Tous nos développem­ents sont faits en interne. Nous n'avons pas de sous-traitant, ni de partenaire, à une exception prêt : Dassault System pour l'immersion 3D que nous avons dans nos boutiques. Nous sommes devenus des individus connectés. Notre maison est en train de devenir connectée. Entre nous et la maison, il y a des meubles qui peuvent jouer ce rôle d'interface.

Après cette deuxième ouverture, quels projets souhaitez-vous mener ?

A l'avenir, nous avons pour objectif d'ouvrir des boutiques supplément­aires. Côté produit, nous venons d'ouvrir notre gamme aux luminaires. Ils représente­nt désormais 10 % de notre catalogue. Nous allons également renforcer nos références sur le mobilier pour enfant. Ce secteur à fort potentiel, au coeur de notre stratégie, est encore sous-exploité.

Sur la période 2017-2019, nous allons poursuivre notre expansion en Europe. Nous sommes déjà présents en Italie et en Espagne, nous venons d'ouvrir en Angleterre et en Allemagne. Pour le moment, nous n'avons pas de présence physique et nous allons pénétrer ces marchés par le ecommerce. Cela reste encore notre vraie force, nous continuons de l'exploiter. Toujours depuis Annecy, notre terre.

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