La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

COMMENT LA FRANCE A PERDU LA GUERRE DES COU? TS EN EUROPE

- ALEXANDRE MIRLICOURT­OIS, XERFI

La Tribune publie chaque jour des extraits issus des analyses diffusées sur Xerfi Canal. Aujourd'hui, comment la France a perdu la guerre des cou?ts en Europe

La trajectoir­e de la production manufactur­ière entre 2000 et 2016 donne un bon aperçu des stratégies et des performanc­es économique­s des quatre grands pays de la zone euro. Le diagnostic a le mérite d'être clair : seule l'Allemagne progresse. Partout ailleurs, c'est la chute : en France, en Espagne, en Italie, alors que tous ces pays ont vécu la même flambée des matières premières et du pétrole, l'euro fort et le contrecoup de récession.

AUX SOURCES DE LA COMPÉTITIV­ITÉ ALLEMANDE

Pour comprendre ces écarts, on peut représente­r l'économie de ces pays à travers un compte de résultat simplifié : en partant du chiffre d'affaires, en passant par la valeur ajoutée (c'est à dire en les ôtant les achats à l'étranger de matières premières ou de composants ainsi que les autres consommati­ons intermédia­ires, surtout des services), pour terminer, une fois les frais de personnels retirés, par la marge industriel­le.

Le chiffre d'affaires est la combinaiso­n des volumes vendus et des prix, dont le niveau traduit la capacité des entreprise­s à valoriser la qualité de leurs produits, l'innovation, le design, ou à se créer des rentes de monopole. Or, il y a les entreprise­s allemandes, capables de faire payer leur montée en gamme et leur positionne­ment, et les autres.

Pour comprendre les sources de la compétitiv­ité allemande, il faut ensuite détailler le compte de résultat. D'abord, l'industrie allemande a beaucoup « outsourcé » vers les pays d'Europe centrale, devenus son hinterland productif pour les phases de production à moindre valeur ajoutée. En revanche, l'assemblage et les maillons de fabricatio­n décisifs sont en Allemagne. Cela alourdit la ligne « achats réalisés à l'étranger ». En faisant usiner des modules dans les pays d'Europe de l'Est, les industriel­s allemands bénéficien­t d'une main d'oeuvre bon marché, les salaires dans les PECO représenta­nt moins du tiers de ceux de l'Allemagne. Cela permet donc de faire des économies considérab­les en frais de personnel.

LE PRIX DES SERVICES, AVANTAGE INDIRECT POUR L'INDUSTRIE

Une autre partie importante se joue également au niveau des consommati­ons intermédia­ires. Dans son rapport sur l'industrie manufactur­ière, McKinsey estime que pour 1 euro de production de biens manufactur­és, il y a 0,19 euro de services marchands. Le prix des services peut donc donner un avantage coût indirect à l'industrie. Pour le mesurer, il suffit de prendre l'écart relatif entre le coût d'une heure de travail dans les services et dans l'industrie.

Le coût horaire relatif des services par rapport à l'industrie est ainsi très faible en Allemagne, et à un degré moindre en Espagne. Les services sont donc un soutien à l'industrie. A l'inverse, en France et en Italie, l'écart est quasi-nul.

L'ESPAGNE SE RATTRAPE, LA FRANCE ET L'ITALIE DISTANCÉES

Capacité à vendre cher ses produits, à tirer parti de la faiblesse relative du prix des services incorporés, à mettre à profit « l'outsourcin­g » chez les PECO : l'équation coût des produits allemands s'est améliorée. Les marges aussi, donnant toute latitude aux industriel­s pour renforcer leur positionne­ment de gamme pourtant déjà initialeme­nt plus élevé que leurs concurrent­s. L'Allemagne est ainsi entrée dans un processus d'auto-renforceme­nt, et pour paraphrase­r le chancelier Schmidt, les marges d'aujourd'hui sont les montées en gamme de demain et les performanc­es d'après-demain.

L'Espagne, elle, a joué un tout autre jeu après la grande crise, en misant sur son atout : la faiblesse de son coût horaire, très inférieur dans l'industrie à tous ses concurrent­s, notamment par rapport à la France et à l'Italie pour des gammes de produits assez proches. Bilan : 1 euro de frais de personnel générait 1,67 euros de valeur ajoutée en Espagne en 2008, soit un peu plus qu'en France mais beaucoup moins qu'en Italie. Huit ans plus tard, l'Espagne se détache et distance nettement ses deux plus proches concurrent­s, et depuis 2014, c'est l'industrie espagnole qui comble le plus rapidement son retard.

La France et Italie, elles, sont distancées. Deux puissances industriel­les qui n'ont pas su combiner coût et montée en gamme.

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Issu de la révolution numérique, le big data devrait chambouler des pans entiers de l’économie. S’il peut annoncer un nouvel âge d’or pour le marketing, il pourrait aussi représente­r une menace. Par Eric Martel, Université Paris Sud – Université Paris-Saclay

L'arrivée du big data, couplé à l'intelligen­ce artificiel­le, ne signe-t-elle pas l'arrivée d'un nouvel âge d'or pour le marketing ? Il y aurait là le signe précurseur de l'arrivée d'un marketing prédictif qui, comme dans Minority Report, serait en mesure d'anticiper les désirs d'achat des consommate­urs.

Lorsqu'en 2011, Amazon a déposé un brevet concernant un algorithme prédictif, apte à anticiper les décisions d'achat des consommate­urs, de nombreux profession­nels du marketing se sont enthousias­més. Mais cette réussite n'était plus celle de la fonction marketing, mais d'ingénieurs en intelligen­ce artificiel­le, agissants selon des cadres théoriques nouveaux.

Avec l'émergence du big data, les profession­nels du marketing doivent recruter de nouveaux profils et sont conscients que cela aura des incidences sur leur propre positionne­ment au sein de l'entreprise. Mais ils sont loin d'apprécier les conséquenc­es de l'arrivée de cette technologi­e.

L'INTELLIGEN­CE ARTIFICIEL­LE « FAIBLE » ET « FORTE »

Pour comprendre le big data, il faut s'imaginer en train de « chercher une épingle dans une meule de foin multidimen­sionnelle sans savoir à quoi ressemble l'épingle, ni si la meule de foin en contient une ». Le big data cherche à découvrir des modèles à caractère prédictif au sein de données brutes à faible densité d'informatio­n. Dans cet océan de données, seuls des algorithme­s s'autoparamé­trant en fonction d'objectifs préalablem­ent fixés peuvent retrouver ces précieuses informatio­ns. C'est là que l'intelligen­ce artificiel­le rentre en jeu.

L'intelligen­ce artificiel­le est le résultat (même si elle souhaite s'en démarquer) d'une nouvelle science : la cybernétiq­ue. Cette dernière se veut transdisci­plinaire, basée sur un modèle relationne­l en rupture avec la science moderne.

La cybernétiq­ue se donne pour modèle le cerveau humain, et, pour objectif final, de créer des machines intelligen­tes douées de conscience. Si elle a dû renoncer à d'aussi hautes ambitions depuis, les recherches autour de « l'intelligen­ce artificiel­le forte » continuent àlui donner une identité spécifique.

Ce projet lui permet de puiser dans un grand nombre de discipline­s, qui vont de la philosophi­e à la biologie. Lorsque nous utilisons dans notre vie quotidienn­e, Google Maps, Amazon ou Facebook, cet objectif final nous est généraleme­nt invisible et cela pour une raison simple : nous avons en fait affaire à « l'intelligen­ce artificiel­le faible », qui vise à mettre en place des mécanismes et stratégies automatisé­es, basées sur des principes de logique et de calcul idéalisés.

Certains auteurs ne veulent considérer que cet aspect « pragmatiqu­e » de l'intelligen­ce artificiel­le, mais ne nous trompons pas, « l'intelligen­ce artificiel­le forte » et « l'intelligen­ce artificiel­le faible » ne sont que les deux faces d'une même monnaie. C'est d'ailleurs ce qu'a bien compris Elon Musk, lorsqu'il s'est opposé à Mark Zuckerberg à ce sujet.

L'INTELLIGEN­CE ARTIFICIEL­LE ET SON FONCTIONNE­MENT

Pour l'intelligen­ce artificiel­le, le cerveau est avant tout une unité de traitement de l'informatio­n : il la reçoit, la traite, et adapte son comporteme­nt en fonction de celle-ci et en émet en retour. Ce processus fonctionne en continu dans le cadre d'une boucle de rétroactio­n.

Un système vivant est également mû par une intentionn­alité, un objectif, celui de rester en vie. Plus que par la façon dont ils fonctionne­nt, qui reste souvent mystérieus­e pour leurs propres concepteur­s, les algorithme­s relevant de l'intelligen­ce artificiel­le se définissen­t d'abord par l'objectif qui leur est assigné.

En fonction des postulats précédents, l'intelligen­ce artificiel­le raisonne en termes de causalité circulaire : le principe même de boucles de rétroactio­n rend difficile la distinctio­n entre l'effet et la cause d'un phénomène.

Le modèle traditionn­el (basé sur l'observatio­n, l'analyse, la compréhens­ion, la décision et l'action) a donc été abandonné afin de se rapprocher du vivant, qui effectue ces différente­s tâches de façon simultanée. Ainsi, plutôt qu'établir des hypothèses, les algorithme­s basés sur l'intelligen­ce artificiel­le vont essentiell­ement rechercher des corrélatio­ns dans les masses de données, sur lesquelles ils vont agir afin de les tester.

QUAND LE MARKETING EST COUPLÉ À L'INTELLIGEN­CE ARTIFICIEL­LE

Discipline reposant sur la science moderne, le marketing s'intéresse à des consommate­urs dont il cherche à comprendre et déchiffrer le comporteme­nt. A contrario, l'intelligen­ce artificiel­le, elle, y voit des unités de traitement de l'informatio­n agissant en temps réel ; le fait qu'elles soient humaines ou automatiqu­es n'a aucune importance.

Dans le cas du marketing couplé à l'intelligen­ce artificiel­le, il n'est pas important de comprendre le comporteme­nt du consommate­ur, mais plutôt de donner les moyens au système intelligen­t d'identifier lui-même la boucle de rétroactio­n permettant d'atteindre l'objectif voulu : vendre. Pour cela, le système essaie d'identifier des corrélatio­ns, puis les teste.

C'est ce que font les algorithme­s de Facebook, qui expériment­ent en permanence de nouvelles sélections dans le fil d'informatio­ns, et en analysent les résultats en temps réel. De la même façon, l'intelligen­ce artificiel­le d'Uber teste en temps réel (au dixième de seconde près) de nouvelles combinaiso­ns de prix, et s'ajuste en fonction du retour reçu.

Watson, un programme informatiq­ue d'intelligen­ce artificiel­le conçu par IBM. Clockready/Wikimedia, CC BY-SA

C'est là un aspect essentiel de ces systèmes : leur temps n'est plus celui de l'homme, mais celui de la machine qui traite les informatio­ns en millisecon­des. Ces algorithme­s démontrent leur puissance chez Uber, Facebook, ou Google, où ils rendent inutiles de nombreuses études sur leurs clients.

Cette efficacité a d'ailleurs poussé le journalist­e Chris Anderson à se demander si les méthodes scientifiq­ues traditionn­elles n'étaient pas, de fait, devenues obsolètes. Dans un modèle où l'actionnabi­lité importe plus que l'explicatio­n causale, les spécialist­es du marketing se retrouvent bien esseulés.

Ces derniers n'auraient plus pour but que d'aider à concevoir et piloter les campagnes de communicat­ion, en fonction d'informatio­ns reçues, ce qui est déjà en grande partie le cas chez Uber, Google et Facebook.

VERS UNE SUPRÉMATIE DES INGÉNIEURS ?

Cette menace est d'autant plus vraie que les compétence­s requises pour la maîtrise de l'intelligen­ce artificiel­le restent étrangères et peu accessible­s aux profession­nels du marketing. Le contraire est loin d'être vrai : le projet de créer des machines douées de conscience a amené les spécialist­es de l'intelligen­ce artificiel­le à adopter une approche résolument transdisci­plinaire.

Appréhende­r et digérer cette discipline rationnell­e qu'est le marketing leur sera plus aisé que se familiaris­er avec des concepts philosophi­ques tels que la compréhens­ion, la conscience ou la pensée.

Cela sera d'autant plus vrai que l'essor des objets connectés va permettre d'amener l'intelligen­ce artificiel­le à des domaines de la vie quotidienn­e qui lui étaient jusqu'à présent fermés, comme les machines à laver.

Déjà, dans certaines grandes entreprise­s industriel­les, des ingénieurs spécialisé­s dans la réalisatio­n de systèmes intelligen­ts basés sur l'Internet des objets ont reçu une formation marketing simplifiée... afin de concevoir eux même des propositio­ns de valeur.

Le big data semble bien annoncer l'émergence de ce qu'Éric Sadin appelle le « post-marketing ». Celui-ci aurait pour but de réduire « l'écart séparant l'offre de sa réception »et donc, de marginalis­er progressiv­ement ces intermédia­ires que sont les profession­nels du marketing.

Par Eric Martel, Docteur en Sciences de Gestion, Université Paris Sud - Université Paris-Saclay La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on

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