La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)
COMMENT LA FRANCE A PERDU LA GUERRE DES COU? TS EN EUROPE
La Tribune publie chaque jour des extraits issus des analyses diffusées sur Xerfi Canal. Aujourd'hui, comment la France a perdu la guerre des cou?ts en Europe
La trajectoire de la production manufacturière entre 2000 et 2016 donne un bon aperçu des stratégies et des performances économiques des quatre grands pays de la zone euro. Le diagnostic a le mérite d'être clair : seule l'Allemagne progresse. Partout ailleurs, c'est la chute : en France, en Espagne, en Italie, alors que tous ces pays ont vécu la même flambée des matières premières et du pétrole, l'euro fort et le contrecoup de récession.
AUX SOURCES DE LA COMPÉTITIVITÉ ALLEMANDE
Pour comprendre ces écarts, on peut représenter l'économie de ces pays à travers un compte de résultat simplifié : en partant du chiffre d'affaires, en passant par la valeur ajoutée (c'est à dire en les ôtant les achats à l'étranger de matières premières ou de composants ainsi que les autres consommations intermédiaires, surtout des services), pour terminer, une fois les frais de personnels retirés, par la marge industrielle.
Le chiffre d'affaires est la combinaison des volumes vendus et des prix, dont le niveau traduit la capacité des entreprises à valoriser la qualité de leurs produits, l'innovation, le design, ou à se créer des rentes de monopole. Or, il y a les entreprises allemandes, capables de faire payer leur montée en gamme et leur positionnement, et les autres.
Pour comprendre les sources de la compétitivité allemande, il faut ensuite détailler le compte de résultat. D'abord, l'industrie allemande a beaucoup « outsourcé » vers les pays d'Europe centrale, devenus son hinterland productif pour les phases de production à moindre valeur ajoutée. En revanche, l'assemblage et les maillons de fabrication décisifs sont en Allemagne. Cela alourdit la ligne « achats réalisés à l'étranger ». En faisant usiner des modules dans les pays d'Europe de l'Est, les industriels allemands bénéficient d'une main d'oeuvre bon marché, les salaires dans les PECO représentant moins du tiers de ceux de l'Allemagne. Cela permet donc de faire des économies considérables en frais de personnel.
LE PRIX DES SERVICES, AVANTAGE INDIRECT POUR L'INDUSTRIE
Une autre partie importante se joue également au niveau des consommations intermédiaires. Dans son rapport sur l'industrie manufacturière, McKinsey estime que pour 1 euro de production de biens manufacturés, il y a 0,19 euro de services marchands. Le prix des services peut donc donner un avantage coût indirect à l'industrie. Pour le mesurer, il suffit de prendre l'écart relatif entre le coût d'une heure de travail dans les services et dans l'industrie.
Le coût horaire relatif des services par rapport à l'industrie est ainsi très faible en Allemagne, et à un degré moindre en Espagne. Les services sont donc un soutien à l'industrie. A l'inverse, en France et en Italie, l'écart est quasi-nul.
L'ESPAGNE SE RATTRAPE, LA FRANCE ET L'ITALIE DISTANCÉES
Capacité à vendre cher ses produits, à tirer parti de la faiblesse relative du prix des services incorporés, à mettre à profit « l'outsourcing » chez les PECO : l'équation coût des produits allemands s'est améliorée. Les marges aussi, donnant toute latitude aux industriels pour renforcer leur positionnement de gamme pourtant déjà initialement plus élevé que leurs concurrents. L'Allemagne est ainsi entrée dans un processus d'auto-renforcement, et pour paraphraser le chancelier Schmidt, les marges d'aujourd'hui sont les montées en gamme de demain et les performances d'après-demain.
L'Espagne, elle, a joué un tout autre jeu après la grande crise, en misant sur son atout : la faiblesse de son coût horaire, très inférieur dans l'industrie à tous ses concurrents, notamment par rapport à la France et à l'Italie pour des gammes de produits assez proches. Bilan : 1 euro de frais de personnel générait 1,67 euros de valeur ajoutée en Espagne en 2008, soit un peu plus qu'en France mais beaucoup moins qu'en Italie. Huit ans plus tard, l'Espagne se détache et distance nettement ses deux plus proches concurrents, et depuis 2014, c'est l'industrie espagnole qui comble le plus rapidement son retard.
La France et Italie, elles, sont distancées. Deux puissances industrielles qui n'ont pas su combiner coût et montée en gamme.
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Issu de la révolution numérique, le big data devrait chambouler des pans entiers de l’économie. S’il peut annoncer un nouvel âge d’or pour le marketing, il pourrait aussi représenter une menace. Par Eric Martel, Université Paris Sud – Université Paris-Saclay
L'arrivée du big data, couplé à l'intelligence artificielle, ne signe-t-elle pas l'arrivée d'un nouvel âge d'or pour le marketing ? Il y aurait là le signe précurseur de l'arrivée d'un marketing prédictif qui, comme dans Minority Report, serait en mesure d'anticiper les désirs d'achat des consommateurs.
Lorsqu'en 2011, Amazon a déposé un brevet concernant un algorithme prédictif, apte à anticiper les décisions d'achat des consommateurs, de nombreux professionnels du marketing se sont enthousiasmés. Mais cette réussite n'était plus celle de la fonction marketing, mais d'ingénieurs en intelligence artificielle, agissants selon des cadres théoriques nouveaux.
Avec l'émergence du big data, les professionnels du marketing doivent recruter de nouveaux profils et sont conscients que cela aura des incidences sur leur propre positionnement au sein de l'entreprise. Mais ils sont loin d'apprécier les conséquences de l'arrivée de cette technologie.
L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE « FAIBLE » ET « FORTE »
Pour comprendre le big data, il faut s'imaginer en train de « chercher une épingle dans une meule de foin multidimensionnelle sans savoir à quoi ressemble l'épingle, ni si la meule de foin en contient une ». Le big data cherche à découvrir des modèles à caractère prédictif au sein de données brutes à faible densité d'information. Dans cet océan de données, seuls des algorithmes s'autoparamétrant en fonction d'objectifs préalablement fixés peuvent retrouver ces précieuses informations. C'est là que l'intelligence artificielle rentre en jeu.
L'intelligence artificielle est le résultat (même si elle souhaite s'en démarquer) d'une nouvelle science : la cybernétique. Cette dernière se veut transdisciplinaire, basée sur un modèle relationnel en rupture avec la science moderne.
La cybernétique se donne pour modèle le cerveau humain, et, pour objectif final, de créer des machines intelligentes douées de conscience. Si elle a dû renoncer à d'aussi hautes ambitions depuis, les recherches autour de « l'intelligence artificielle forte » continuent àlui donner une identité spécifique.
Ce projet lui permet de puiser dans un grand nombre de disciplines, qui vont de la philosophie à la biologie. Lorsque nous utilisons dans notre vie quotidienne, Google Maps, Amazon ou Facebook, cet objectif final nous est généralement invisible et cela pour une raison simple : nous avons en fait affaire à « l'intelligence artificielle faible », qui vise à mettre en place des mécanismes et stratégies automatisées, basées sur des principes de logique et de calcul idéalisés.
Certains auteurs ne veulent considérer que cet aspect « pragmatique » de l'intelligence artificielle, mais ne nous trompons pas, « l'intelligence artificielle forte » et « l'intelligence artificielle faible » ne sont que les deux faces d'une même monnaie. C'est d'ailleurs ce qu'a bien compris Elon Musk, lorsqu'il s'est opposé à Mark Zuckerberg à ce sujet.
L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET SON FONCTIONNEMENT
Pour l'intelligence artificielle, le cerveau est avant tout une unité de traitement de l'information : il la reçoit, la traite, et adapte son comportement en fonction de celle-ci et en émet en retour. Ce processus fonctionne en continu dans le cadre d'une boucle de rétroaction.
Un système vivant est également mû par une intentionnalité, un objectif, celui de rester en vie. Plus que par la façon dont ils fonctionnent, qui reste souvent mystérieuse pour leurs propres concepteurs, les algorithmes relevant de l'intelligence artificielle se définissent d'abord par l'objectif qui leur est assigné.
En fonction des postulats précédents, l'intelligence artificielle raisonne en termes de causalité circulaire : le principe même de boucles de rétroaction rend difficile la distinction entre l'effet et la cause d'un phénomène.
Le modèle traditionnel (basé sur l'observation, l'analyse, la compréhension, la décision et l'action) a donc été abandonné afin de se rapprocher du vivant, qui effectue ces différentes tâches de façon simultanée. Ainsi, plutôt qu'établir des hypothèses, les algorithmes basés sur l'intelligence artificielle vont essentiellement rechercher des corrélations dans les masses de données, sur lesquelles ils vont agir afin de les tester.
QUAND LE MARKETING EST COUPLÉ À L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Discipline reposant sur la science moderne, le marketing s'intéresse à des consommateurs dont il cherche à comprendre et déchiffrer le comportement. A contrario, l'intelligence artificielle, elle, y voit des unités de traitement de l'information agissant en temps réel ; le fait qu'elles soient humaines ou automatiques n'a aucune importance.
Dans le cas du marketing couplé à l'intelligence artificielle, il n'est pas important de comprendre le comportement du consommateur, mais plutôt de donner les moyens au système intelligent d'identifier lui-même la boucle de rétroaction permettant d'atteindre l'objectif voulu : vendre. Pour cela, le système essaie d'identifier des corrélations, puis les teste.
C'est ce que font les algorithmes de Facebook, qui expérimentent en permanence de nouvelles sélections dans le fil d'informations, et en analysent les résultats en temps réel. De la même façon, l'intelligence artificielle d'Uber teste en temps réel (au dixième de seconde près) de nouvelles combinaisons de prix, et s'ajuste en fonction du retour reçu.
Watson, un programme informatique d'intelligence artificielle conçu par IBM. Clockready/Wikimedia, CC BY-SA
C'est là un aspect essentiel de ces systèmes : leur temps n'est plus celui de l'homme, mais celui de la machine qui traite les informations en millisecondes. Ces algorithmes démontrent leur puissance chez Uber, Facebook, ou Google, où ils rendent inutiles de nombreuses études sur leurs clients.
Cette efficacité a d'ailleurs poussé le journaliste Chris Anderson à se demander si les méthodes scientifiques traditionnelles n'étaient pas, de fait, devenues obsolètes. Dans un modèle où l'actionnabilité importe plus que l'explication causale, les spécialistes du marketing se retrouvent bien esseulés.
Ces derniers n'auraient plus pour but que d'aider à concevoir et piloter les campagnes de communication, en fonction d'informations reçues, ce qui est déjà en grande partie le cas chez Uber, Google et Facebook.
VERS UNE SUPRÉMATIE DES INGÉNIEURS ?
Cette menace est d'autant plus vraie que les compétences requises pour la maîtrise de l'intelligence artificielle restent étrangères et peu accessibles aux professionnels du marketing. Le contraire est loin d'être vrai : le projet de créer des machines douées de conscience a amené les spécialistes de l'intelligence artificielle à adopter une approche résolument transdisciplinaire.
Appréhender et digérer cette discipline rationnelle qu'est le marketing leur sera plus aisé que se familiariser avec des concepts philosophiques tels que la compréhension, la conscience ou la pensée.
Cela sera d'autant plus vrai que l'essor des objets connectés va permettre d'amener l'intelligence artificielle à des domaines de la vie quotidienne qui lui étaient jusqu'à présent fermés, comme les machines à laver.
Déjà, dans certaines grandes entreprises industrielles, des ingénieurs spécialisés dans la réalisation de systèmes intelligents basés sur l'Internet des objets ont reçu une formation marketing simplifiée... afin de concevoir eux même des propositions de valeur.
Le big data semble bien annoncer l'émergence de ce qu'Éric Sadin appelle le « post-marketing ». Celui-ci aurait pour but de réduire « l'écart séparant l'offre de sa réception »et donc, de marginaliser progressivement ces intermédiaires que sont les professionnels du marketing.
Par Eric Martel, Docteur en Sciences de Gestion, Université Paris Sud - Université Paris-Saclay La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation