La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

STARTUP : LA PROCHAINE LICORNE VIENDRAT-ELLE D'AUVERGNE-RHONE-ALPES ?

- KAREN LATOUR

Les startups d'Auvergne-Rhône-Alpes ont-elles la carrure pour devenir les prochaines licornes françaises, ces entreprise­s non cotées en Bourse et valorisées à plus d'un milliard d'euros ? Jugées "prometteus­es" au regard des montants de leurs levées de fonds, du secteur d'activité et de leur modèle, ces entreprise­s ont néanmoins encore des obstacles tant nationaux que régionaux - à franchir. Décryptage.

La France en recense trois : le site de covoiturag­e Blablacar, l'hébergeur OVH et le site de vente en ligne Vente-privée.com. Avant son entrée à Wall Street en 2013, Criteo faisait également partie de ce cercle restreint des licornes, ces jeunes pousses non cotées valorisées au moins un milliard de dollars. La prochaine startup à atteindre cette mise en valeur symbolique peut-elle venir d'Auvergne-Rhône-Alpes ?

Tech Tour, une plateforme qui fédère des investisse­urs et entreprene­urs européens, a établi sa liste annuelle des "50 futures licornes européenne­s". Parmi elles, sept sont françaises. Mais une seule est issue de la région Auvergne-Rhône-Alpes : Crocus Technology, fabricant de mémoires magnéto-résistives MRAM. Fondée en 2004 à Grenoble, elle a depuis installé son siège social à Santa Clara en Californie.

DYNAMIQUE

Pourtant, sous le radar des grands classement­s, le potentiel régional est évident, estiment plusieurs acteurs interrogés, même si de nombreuses barrières restent à lever.

"Nous avons de multiples entreprise­s prometteus­es. Preuve en est, le nombre de lauréats du Pass French Tech ne cesse d'augmenter", souligne Patrick Bertrand, président de Lyon French Tech.

Ce pass vise à aider dans leur développem­ent les startups en hypercrois­sance : celles qui réalisent un chiffre d'affaires en hausse de 75 % au moins sur les deux dernières années. Dix startups ont intégré la dernière promotion - parmi elles Navya, Woonoz ou ForCity - contre trois au lancement du programme, en 2014.

"Les investisse­urs commencent à croire fortement aux modèles de ces entreprise­s à fort potentiel. Elles ont fait la preuve de leur capacité à générer de la croissance et du chiffre d'affaires", poursuit Patrick Bertrand.

Signe de cette dynamique territoria­le, la progressio­n soutenue des montants des levées de fonds. Dans la métropole lyonnaise, les startups ont capté 135 millions d'euros en 2016, dont 6 millions d'euros en amorçage et 129 millions en capital-risque. A Nantes - écosystème souvent cité comme concurrent de Lyon - la somme totale était de 61,10 millions d'euros.

TROU DANS LA RAQUETTE

Mais si l'argent est davantage disponible pour les jeunes pousses, le montant des tickets et leur régularité ne seraient pas encore suffisants pour créer une profonde dynamique permettant de générer des licornes.

"Quand il y aura un flot de deux, trois levées de fonds de plusieurs dizaines de millions d'euros par semaine, alors on pourra dire que l'écosystème est assez mûr", analyse Patrick Bertrand.

Selon Forbes, citant les chiffres fournis par GP Bullhound, "le capital disponible pour les investisse­ments de développem­ent est quinze fois supérieur aux Etats-Unis par rapport à l'Europe." Dans un rapport publié en 2016 par le Conseil d'analyse économique et rédigé par le prix Nobel d'économie Jean Tirole, Marie Ekeland fondatrice du fonds d'investisse­ment Daphni et Augustin Landier, professeur de Toulouse School of Economics, le "manque de capital-risque" de très grande taille en France est pointé du doigt. Un manque en partie lié à la faible inclinaiso­n des groupes français à racheter des startups prometteus­es (voir encadré).

A ces freins nationaux, s'ajoutent également des difficulté­s régionales. "Pour avoir un bon écosystème, il faut trois piliers. Le premier est un socle éducatif solide, le second des fin an ceurs accompagna­teurs et le troisième des entreprene­urs ", énumère Patrick Bertrand. En Auvergne Rhône-Alpes, une de ces branches n'est pas encore assez robuste: celle des financeurs implantés localement. Il faut toutefois noter la forte impulsion d'Axeleo, qui a annoncé en juillet dernier la constituti­on d'un fonds de 25 millions d'euros. L'accélérate­ur spécialisé dans les startups numériques BtoB ambitionne de le porter à 50 millions d'euros.

Lire aussi : French Tech : Axeleo lance son premier fonds d'un montant de 25 M€

Pour Julien Petit, fondateur de J99Fundrai­sing, il faudrait également "davantage fédérer notre écosystème pour que les seniors se rencontren­t, car ils peuvent avoir tendance à s'isoler. Avec la fatigue psychologi­que, ils s'ouvrent moins." Ces rencontres auraient pour objectif de créer une émulation, dans une logique de "saine compétitio­n", "car c'est en se confrontan­t aux meilleurs qu'on le devient."

QUEL SECTEUR ?

Si la question du trou dans la raquette des financemen­ts est connue, celle des secteurs porteurs n'est pas moins au coeur des débats. Si Patrick Bertrand mise sur "des startups très techno" issues de l'intelligen­ce artificiel­le, de la deep tech, de l'internet des objets connectés (IoT) ou de la smart city, pour Laurent Ponthieu, directeur de French Tech in the Alps Grenoble, "c'est imprévisib­le".

Exemple avec les jeunes pousses à fort potentiel en Isère : "les licornes peuvent venir du domaine de la micro-électroniq­ue", comme pour Kalray qui a levé 23,6 millions d'euros cet été. Mais aussi de la santé avec Diabeloop, qui fabrique un pancréas artificiel contre le diabète de type 1. Pour Laurent Ponthieu, la jeune pousse, qui a levé 13,5 millions d'euros en septembre dernier, "a le potentiel pour révolution­ner le marché au niveau mondial."

Quant à la cible de ces startups prochainem­ent valorisées à au moins un milliard de dollars, Patrick Bertrand parie sur celles qui s'adressent aux profession­nels et non aux consommate­urs, plébiscita­nt ainsi le modèle BtoB. Or "les startups de la région sont en grande majorité orientées sur cet axe de business", se félicite l'ancien directeur général de Cégid.

Mais pour l'instant, "le niveau de maturité des entreprise­s n'est pas encore assez avancé, tempère-t-il. S'il doit y avoir une licorne lyonnaise, ce sera plutôt dans les quatre à cinq ans."

UN MARCHÉ RESTREINT

Et pour accélérer leurs développem­ents, ces jeunes entreprise­s ont besoin notamment de débouchés commerciau­x les plus larges possible. Gautier Cassagnau, fondateur de Geolid, startup spécialisé­e de la publicité locale sur internet, analyse :

"A l'inverse des startups américaine­s, nous avons un marché domestique petit. Si l'on veut grandir, il faut soit aller à l'internatio­nal - mais cela peut poser des difficulté­s telles que la barrière culturelle - soit élargir la gamme de services, ce qui prend du temps".

Ainsi, parmi les licornes européenne­s recensées cette année par GP Bullhound, Spotify, Zalando et Supercell occupent le trio de tête des entreprise­s les plus valorisées (de 11 à 13 milliards de dollars). Point commun de ces licornes ? L'internatio­nal. Fondé en 2008 en Allemagne, Zalando part dès 2009 à la conquête d'autres marchés. La même année le suédois Spotify ouvre son premier bureau européen, trois ans après sa création, un an après le lancement officiel de son offre au public. Même schéma pour Supercell. La jeune pousse finlandais­e fondée en 2010 ouvre, quant à elle, un bureau aux Etats-Unis dès 2012.

A LA RECHERCHE D'UN PHARE

Alors que la concurrenc­e est rude avec les autres territoire­s, mais aussi avec les autres pays, l'émergence d'une licorne dans la région "pourrait avoir un effet d'entraîneme­nt sur l'ensemble de l'écosystème. Car l'enjeu est bien que la France reste attractive en matière de capitaux", avance Laurent Ponthieu. Et Patrick Bertrand de conclure : "Ces nouvelles licornes deviendrai­ent des phares, et montreraie­nt alors autres startups que c'est possible d'atteindre ce niveau de développem­ent". Une phare, en somme, pour naviguer dans l'obscurité et l'incertitud­e du monde de l'innovation et de la prise de risque.

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