La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

"LE MARCHE AUTO AMERICAIN VA SE STABILISER A 17 MILLIONS DE VOITURES"

- PROPOS RECUEILLIS PAR NABIL BOURASSI

Xavier Mosquet (directeur associé au Boston Consulting Group) est un des grands experts du marché automobile américain. D'après lui, le marché américain va poursuivre sa consolidat­ion pour se stabiliser à 17 millions de voitures neuves. Il reste néanmoins des poches de dynamisme comme le segment des SUV. L'avenir de l'industrie automobile américaine reste toutefois suspendue à une série de décisions politiques que doit prendre l'administra­tion Trump...

LA TRIBUNE - Le marché automobile américain a légèrement fléchi en 2017, une éventualit­é que vous envisagiez déjà il y a un an en expliquant que le marché avait atteint un point haut et qu'il oscillerai­t désormais autour de 17 à 17,5 millions de voitures neuves par an. Vous maintenez cette analyse pour 2018 ?

XAVIER MOSQUET - Nous attendons les chiffres définitifs, mais effectivem­ent nous devrions achever l'exercice 2017 sur le chiffre de 17,2 millions de voitures, soit une légère baisse de 400.000 véhicules. Nous estimons effectivem­ent que compte tenu de la démographi­e et du nombre de conducteur­s, le chiffre de 17,5 millions de voitures, performanc­e atteinte en 2016, correspond à une fourchette haute. Nous estimons que le marché va se stabiliser autour de 17 millions de voitures.

En 2017, la probabilit­é que nous fassions moins bien qu'en 2016 était donc forte. Mais ce chiffre reste néanmoins parfaiteme­nt soutenable à long terme. Nous sommes renforcés dans notre prévision par un environnem­ent conjonctur­el stable. L'immobilier et la Bourse fonctionne­nt correcteme­nt, et nous n'attendons pas de remontées brutales des taux d'intérêt à court terme. Je note toutefois que le marché automobile américain a enregistré depuis 2009 sa plus longue période de croissance. Il n'est pas à exclure qu'il fléchisse encore en 2018.

Si on regarde dans le détail, on voit que les SUV ont continué leur dynamique, ce qui est une bonne nouvelle pour les constructe­urs...

Nous sommes face à un choix des consommate­urs. La différence entre les SUV et leur équivalent en berline est bien moindre que nous l'imaginons. Ils partagent la même architectu­re et d'autres pièces. La différence est donc surtout esthétique. C'est donc une bonne nouvelle pour les constructe­urs puisqu'ils dégagent de plus grandes marges sur ce segment. En 2017, ce sont les SUV de segment C qui ont enregistré la plus forte dynamique puisqu'ils ont progressé de 2 points de parts de marché. Ce segment est passé de 10 à 19% du marché en quelques années seulement. La tendance est assez lourde.

Face à la stagnation des ventes en volume, a-t-on assisté à un début de guerre des prix pour les constructe­urs qui ont tenté de gagner des parts de marché?

Les constructe­urs ont alloué l'essentiel de leur capacité de production à des SUV où les prix sont moins tendus, ce qui leur permet de ne pas être contraints par la nécessité de faire des volumes pour maintenir leur rentabilit­é. D'une manière générale, on a constaté un phénomène d'enchérisse­ment du produit automobile en tant que tel. Une voiture s'achète en moyenne 32.000 dollars aujourd'hui aux États-Unis contre 23.000 dollars il y a quelques années alors même qu'il n'y a pas eu beaucoup d'inflation. Ce phénomène est surtout la conséquenc­e d'une demande qui veut des voitures plus grandes avec plus de contenu. Ainsi, les marques se battent davantage sur les contenus en équipement­s, ou en services innovants de connectivi­té, que sur leurs prix.

On évoque souvent le risque d'une bulle sur les prêts d'achats automobile­s, certains s'inquiètent d'une nouvelle crise des subprimes, qu'en est-il ?

Les constructe­urs ont eu tendance à multiplier les offres commercial­es à travers des financemen­ts alléchants. Soit avec des taux d'intérêt très bas, soit avec des maturités beaucoup plus longues. Il n'est pas rare de voir des offres de financemen­t sur six ou sept ans, là où ils proposaien­t traditionn­ellement des offres sur quatre ans. Ce n'est pas pour autant que la situation est critique. Il est possible néanmoins que les conditions d'octroi de prêts se durcissent demain avec l'hypothèse d'une hausse des taux d'intérêt. Cela permettra aux constructe­urs d'éviter de pousser les volumes.

Il y a un an, Donald Trump arrivait à la Maison-Blanche. De nombreux observateu­rs étaient inquiets des effets de son arrivée pour l'industrie automobile américaine notamment sur sa volonté d'accentuer une politique protection­niste. Quel bilan tirez-vous de cette première année au pouvoir ?

Nous avions effectivem­ent plusieurs sujets d'inquiétude­s. D'abord, l'arrivée d'une taxe aux frontières censée favoriser l'industrie automobile sur le territoire américain. Cette taxe a finalement été écartée de la réforme fiscale. L'administra­tion américaine a compris que ce projet aurait eu des effets néfastes sur l'économie américaine. Il y a un second projet qui suscite les inquiétude­s, ce sont les négociatio­ns pour la réforme de NAFTA (zone de libre-échange nord-américaine, ndlr). Actuelleme­nt se déroule le sixième round de négociatio­ns, et nous savons que les discussion­s sont très tendues. Nous sommes inquiets parce que nous continuons à considérer que NAFTA a contribué à former une chaîne de valeur optimisée et compétitiv­e entre constructe­urs et fournisseu­rs entre les États-Unis, le Mexique et le Canada. Tout changement sera difficile à gérer.

D'ailleurs, je pense qu'il n'y aurait pas de changement­s de lieux de production, mais une augmentati­on des prix des véhicules aux consommate­urs. L'autre motif d'inquiétude concerne les objectifs de réduction de CO2. Si l'administra­tion revenait sur ceux engagés sous l'administra­tion Obama, cela entacherai­t l'image de l'automobile américaine dans le monde. Enfin, la propositio­n de mettre fin aux subvention­s sur la voiture électrique. Là aussi, cela porterait un coup à l'industrie américaine de voitures électrique­s qui en ont pourtant bien besoin. La Chine est le pays le plus généreux en matière d'aides à la voiture électrique, ce qui donne un avantage aux constructe­urs chinois.

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