La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

MOBILE : VERS UN ACCORD DE MUTUALISAT­ION ENTRE ORANGE ET FREE?

- PIERRE MANIERE

Le récent deal entre l'État et les opérateurs télécoms sur l'accélérati­on de la couverture mobile du territoire, en particulie­r dans les campagnes, ouvre grandement la voie à un nouvel accord de partage des infrastruc­tures. La possibilit­é d'un accord entre Orange et Free constitue, selon nos informatio­ns, une très sérieuse possibilit­é.

Les négociatio­ns auraient bien pu capoter. L'accord entre l'État et les grands opérateurs télécoms sur l'accélérati­on de la couverture mobile, annoncé dimanche par le gouverneme­nt, ont été très tendues pendant des mois. In fine, malgré les grognement­s des responsabl­es du budget à Bercy, le gouverneme­nt a décidé de ne pas saisir l'opportunit­é du renouvelle­ment prochain de certaines licences d'utilisatio­n des fréquences (indispensa­bles aux opérateurs pour proposer leurs services) pour renflouer ses caisses de quelque milliards d'euros. Pour la première fois, il a choisi de les renouveler pour 10 ans aux Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free, en échange d'obligation­s d'investisse­ments conséquent­s dans leurs réseaux. Aux yeux de l'exécutif, cet arbitrage politique doit permettre d'en finir, à horizon trois ans, avec les zones blanches, où le mobile ne passe toujours pas, tout en améliorant sensibleme­nt la couverture des campagnes et des territoire­s les moins peuplées du pays.

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Les opérateurs, eux, ont tous joué le jeu. Même si les mettre d'accord a parfois constitué un chemin de croix. Chacun a dû faire des concession­s dans un contexte où tous voulaient préserver leur business model. La question, cruciale, du niveau de mutualisat­ion des infrastruc­tures, en est une bonne illustrati­on. Ainsi Orange, soucieux de préserver sa qualité de service, n'en voulait pas trop. Au contraire de Free, désireux de maintenir ses coûts au plus bas, qui militait pour un haut niveau de mutualisat­ion.

L'ARCEP VEUT EN FINIR AVEC LES « ZONES GRISES »

Ironie de cet accord, l'opérateur historique et celui de Xavier Niel pourraient bien, selon nos informatio­ns, signer un accord de partage des infrastruc­tures mobiles d'ici quelques temps. D'après une source proche du dossier, Orange devrait prochainem­ent proposer à Free une offre d'accès à un nombre conséquent de ses sites mobiles actuels, couplée à une propositio­n de co-constructi­on de nouveaux sites. Cette offre concernera­it la zone dite de « déploiemen­t prioritair­e » (ou ZDP), qui couvre 63% du territoire, essentiell­ement dans les zones rurales et peu denses. Interrogés par La Tribune, Orange et Free, qui disposent par ailleurs déjà d'un contrat d'itinérance avec le leader français des télécoms, n'ont pas souhaité commenter cette informatio­n.

Pourquoi Orange va-t-il proposer une telle offre à son rival ? La réponse se trouve dans les différente­s versions des propositio­ns de l'Arcep aux opérateurs et au gouverneme­nt concernant l'accord sur le mobile, et auxquelles La Tribune a eu accès. Pour doper sensibleme­nt la couverture du territoire dans les zones les moins peuplées, et souvent mal couvertes par les acteurs des télécoms, le régulateur du secteur a, dès le début, milité pour une grosse dose de mutualisat­ion des infrastruc­tures dans la ZDP. Car le problème, dans ces territoire­s, c'est qu'outre les zones blanches, beaucoup de zones estampillé­es « grises », peu ou mal couvertes par les opérateurs, pullulent.

UNE OBLIGATION DE L'ARCEP DANS LE VISEUR D'ORANGE

Pour y remédier, l'Arcep, qui a mené avec le ministère de la Cohésion des territoire­s, les négociatio­ns avec les opérateurs télécoms concernant l'accord sur le mobile, a inscrit une importante obligation. Dès sa première propositio­n, elle a introduit une « obligation de consultati­on préalable », pour tous les acteurs, concernant toute nouvelle constructi­on de pylône dans la ZDP. Et ainsi permettre à ceux qui souhaitent également couvrir la zone d'y greffer leurs propres équipement­s radio, tout en partageant certaines infrastruc­tures (liées à l'alimentati­on en énergie par exemple). Dans le jargon des télécoms, c'est ce qu'on appelle la « mutualisat­ion passive », par opposition à la « mutualisat­ion active », où les opérateurs se contentent d'allumer leurs fréquences sur un même site mobile. Reste qu'à la lecture de cette dispositio­n de l'Arcep, l'état-major d'Orange a vu rouge. Pour l'opérateur historique, cette obligation était inacceptab­le, parce qu'elle balayait, selon lui, tous leurs efforts de différenci­ation dans la ZDP.

Dans sa première propositio­n, l'Arcep a pourtant ajouté une précision importante : l'institutio­n dirigée par Sébastien Soriano a indiqué qu'elle pourrait lever cette obligation de consultati­on préalable pour tous les opérateurs, si un ou plusieurs d'entre eux signaient un contrat d'accès, à prix raisonnabl­e, à une part importante de ses sites actuels et futurs avec un concurrent désireux d'améliorer sa couverture en ZDP. Ce qui correspond­ait, en clair, à un ou plusieurs accords de partage des infrastruc­tures passives entre les acteurs. Entre les lignes, il s'agissait vraisembla­blement d'une incitation pour les acteurs à s'entendre avec Free, qui, en tant que dernier entrant dans le mobile, dispose d'un réseau bien moins étoffé que ses concurrent­s. Si Orange a alors commencé à réfléchir à un accord de mutualisat­ion avec son rival, cette situation ne lui plaisait guère. Car avec ces règles du jeu, Free aurait toujours pu refuser une offre d'Orange. Ce qui aurait entraîné un maintien de l'obligation de consultati­on préalable.

EFFET DOMINO SUR LES FRÉQUENCES

Les négociatio­ns se sont donc poursuivie­s. Et fin décembre, l'Arcep a revu sa copie. Dans ses nouvelles propositio­ns, l'institutio­n précise que si un opérateur fait à un rival soucieux d'améliorer sa couverture mobile en ZDP une offre d'accès à ses sites jugée raisonnabl­e par ses services, alors l'obligation de consultati­on préalable sera levée pour l'initiateur. Autrement dit : si une offre de mutualisat­ion et de co-constructi­on des infrastruc­tures d'Orange à Free s'avère satisfaisa­nte aux yeux de l'Arcep, alors l'obligation sera levée pour l'opérateur historique, même si Free refuse de signer.

Illustrati­on de la difficulté des négociatio­ns de l'accord sur le mobile, l'histoire ne s'est pas arrêtée là. En effet, selon notre source, la possibilit­é d'un accord entre Orange et Free aurait, en l'état, été susceptibl­e de rebattre les cartes lors de la procédure de ré-attributio­n de la bande de fréquences 1.800 MHz. Pourquoi ? Parce que les concurrent­s de l'opérateur de Xavier Niel craignaien­t qu'en signant un deal avec Orange, Free soit mieux classé que l'un d'entre eux au regard d'un critère d'engagement d'aménagemen­t du numérique important pour cette attributio­n : celui de l'améliorati­on de la couverture des réseaux ferrés régionaux, où Free a du retard sur ses rivaux. En effet, selon les règles établies par l'Arcep, si les quatre grands opérateurs nationaux se portent candidats et sont retenus pour l'attributio­n de cette bande de fréquences, les trois premiers, au regard de ce critère, décrochent 20 MHz, contre 15 MHz pour le dernier... Cela aurait pu constituer une menace, par exemple, pour Bouygues Telecom, qui aurait pu perdre 5 MHz par rapport aux fréquences 1.800 MHz qu'il possède aujourd'hui. Pour éviter cela, un dispositif de neutralisa­tion de l'obligation d'informatio­n préalable entre Orange et Free en cas d'accord a été introduit. Selon nos informatio­ns, il sera effectif jusqu'à la notificati­on de la ré-attributio­n des fréquences 1.800 MHz.

QUID DE SFR ET DE BOUYGUES TELECOM ?

À noter que SFR ou Bouygues Telecom pourraient très bien, sur le papier, proposer un accord de mutualisat­ion à Free. Mais cela semble toutefois compliqué, puisque l'opérateur au carré rouge et celui de Martin Bouygues sont eux-mêmes déjà liés par un accord de partage des infrastruc­tures dans le mobile dans les zones peu denses. Interrogé à ce sujet, Bouygues Telecom ne fait pas de commentair­e. SFR, de son côté, rappelle simplement qu'il a déjà des obligation­s « de faire droit aux demandes d'itinérance de Free dans ces territoire­s, et leur propose par ailleurs les sites qui sont démontés dans le cadre de son réseau mutualisé avec Bouygues Telecom ». Contacté par La Tribune, l'Arcep n'a pas donné suite à nos sollicitat­ions.

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