La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

KLAUS SCHWAB : COMMENT FACONNER LA QUATRIEME REVOLUTION INDUSTRIEL­LE

- KLAUS SCHWAB, FONDATEUR ET PRESIDENT EXECUTIF DU FORUM ECONOMIQUE MONDIAL

Klaus Schwab, président et fondateur du World Economic Forum dont la 48e édition se tiendra à Davos du 22 au 26 janvier sur le thème «Construire un avenir commun dans un monde fracturé», revient sur les grands enjeux, notamment le climat et les nouvelles technologi­es, à l'occasion de la sortie de son nouveau livre sur ce qu'il appelle "la quatrième révolution industriel­le".

Depuis que j'ai fondé le Forum économique mondial il y a 47 ans, j'ai directemen­t observé que lorsque nous changeons notre façon de parler, nous commençons aussi à penser différemme­nt. De la même manière, changer notre façon de penser nous pousse à changer notre façon d'agir. C'est vrai pour tout le monde, que vous soyez simple citoyen ou que vous preniez des décisions lourdes de conséquenc­es à la tête d'un gouverneme­nt, le langage que nous utilisons et notre façon de penser le monde conditionn­ent notre comporteme­nt ultérieur.

Le changement des attitudes et des approches pour élaborer un agenda pour sauver la planète au cours de la dernière décennie en est un bon exemple. Lorsqu'en 2005 le Forum économique mondial commença à promouvoir un dialogue multisecto­riel et à souligner le potentiel d'une coopératio­n public-privé pour répondre aux défis environnem­entaux mondiaux urgents, comme le changement climatique et la sécurité de l'eau, il y eut une absence de collaborat­ion notable parmi les parties prenantes (stakeholde­rs) influentes sur ces problèmes. Les gens avaient tendance à parler et agir sur les défis environnem­entaux de façon isolée, selon qu'ils travaillai­ent pour les gouverneme­nts, des entreprise­s commercial­es ou des organisati­ons de la société civile, par exemple.

UN MONDE PLUS COLLABORAT­IF ET INCLUSIF

À l'heure actuelle, bien qu'un important travail reste à faire, une décennie d'engagement publicpriv­é d'envergure impliquant tous les type de stakeholde­rs a permis de façonner un nouveau plan d'action, plus collaborat­if, si bien que les chefs d'entreprise, les représenta­nts de la sociétés civiles et les décideurs politiques parlent, pensent et agissent très différemme­nt d'il y a dix ans lorsqu'il est question de protéger la biosphère de la Terre. En 2015, les nations du monde - après un processus de conception en mode « collaborat­if design » - ont convenu que le dix-septième objectif de développem­ent durable lui-même soit entièremen­t focalisé sur l'améliorati­on de partenaria­ts mondiaux sur l'environnem­ent et le développem­ent durable.

Il est donc extrêmemen­t gratifiant de voir que, depuis la publicatio­n en 2016 de mon livre « La quatrième révolution industriel­le », nous avons commencé à changer notre façon de parler de la technologi­e et de son impact dans le monde. De plus en plus de gens deviennent conscients du pouvoir des technologi­es émergentes pour transforme­r nos économies, nos sociétés et nousmêmes, en tant qu'êtres humains. Des débats dans les médias portent maintenant souvent sur les questions d'éthique, les valeurs et l'impact social des nouvelles technologi­es. Il est désormais commun de se demander comment l'intelligen­ce artificiel­le pourrait être utilisée pour nous influencer, si les cryptomonn­aies sont plus efficaces pour promouvoir l'inclusion sociale ou les activités criminelle­s, ou de s'inquiéter du type de compétence­s qu'il nous faut développer pour prospérer dans une ère où les technologi­es sont à la fois plus répandues et plus puissantes. Le terme « quatrième révolution industriel­le » est entré dans le langage courant, évoquant la magnitude de tous les changement­s amorcés.

L'URGENCE DE PASSER À L'ACTION

Cependant, nous n'avons pas une décennie devant nous pour faire lentement changer les mentalités avant de passer à l'action et de répondre aux défis posés par la quatrième révolution industriel­le. La vitesse, l'ampleur et la portée des changement­s amorcés aujourd'hui, couplées au fait que les entreprene­urs, les sociétés et les décideurs politiques créent déjà en ce moment même des règles, des normes, des techniques et des infrastruc­tures autour des nouvelles technologi­es, signifient qu'il sera trop tard dans dix ans. La structure des nouvelles technologi­es sera alors plus ou moins définie, et les perspectiv­es et valeurs de ceux qui les ont créées seront complèteme­nt intégrées au sein des nombreuses technologi­es qui nous entourent et qui seront devenues une partie de nous.

Notre compréhens­ion des précédente­s révolution­s industriel­les est que si elles créent de grandes richesses et opportunit­és, elles engendrent également un danger important : de nombreuses personnes passent totalement à côté des avantages, et ce sont le plus souvent ces population­s, les moins entendues, qui en subissent les conséquenc­es négatives. Il n'est donc pas bon d'abandonner l'évolution de notre futur technologi­que à la chance, ou de croire que les forces du marché créeront l'avenir que nous souhaitons. Au contraire, il nous faut en parler, penser et agir, dès aujourd'hui.

C'est la motivation de mon nouveau livre, « Façonner la quatrième révolution industriel­le » (« Shaping the fourth industrial revolution ») : accélérer notre compréhens­ion de ces enjeux et la prise de décisions au sujet des technologi­es émergentes. Il souligne les dynamiques les plus importante­s de la révolution technologi­que actuelle, met en avant les acteurs importants qui sont souvent négligés dans nos débats sur les dernières avancées scientifiq­ues. Il fait appel à plus de 200 penseurs de premier plan à l'échelle mondiale pour explorer 12 secteurs technologi­ques essentiels pour le futur de l'humanité.

"LE LEADERSHIP DES SYSTÈMES"

Penser et agir autour de la quatrième révolution industriel­le réclame un nouveau type de leadership, une approche que nous appelons le « leadership des systèmes » (« systems leadership »). Le leadership des systèmes signifie qu'en matière de nouvelles technologi­es, on ne doit pas s'arrêter à leur seule conception, mais prendre aussi en compte la façon dont elles sont régies et gouvernées, les valeurs qu'elles exposent et leur impact sur les gens de tous horizons.

De nouvelles façons de penser et d'agir sont nécessaire­s pour tous les acteurs, ce qui inclut les particulie­rs, les dirigeants d'entreprise­s, les personnali­tés influentes et les décideurs politiques. Mais les différents rôles et pouvoirs des acteurs concernés signifient qu'il y a différente­s opportunit­és pour les gouverneme­nts, les entreprise­s et les particulie­rs d'aborder l'ère d'aujourd'hui.

La tâche la plus urgente à laquelle font face les gouverneme­nts est d'ouvrir l'espace pour de nouvelles approches en matière de gouvernanc­e des technologi­es. Plus particuliè­rement, les gouverneme­nts doivent adopter le concept de « gouvernanc­e agile » des technologi­es, associant la souplesse, la fluidité, la polyvalenc­e et la capacité d'adaptation des technologi­es elles-mêmes et des acteurs du secteur privé qui les adoptent. Cela signifie réfléchir aux nouvelles régulation­s potentiell­ement nécessaire­s, mais aussi trouver de nouvelles manières de les créer et de les mettre à jour au fil du temps en collaboran­t avec d'autres secteurs.

UN FUTUR TECHNOLOGI­QUE, ACCUEILLAN­T ET DURABLE

Pour les entreprise­s, la stratégie la plus importante est d'expériment­er davantage, tout en investissa­nt simultaném­ent dans les personnes. La quatrième révolution industriel­le n'en est toujours qu'à ses premiers stades, et le potentiel des nouvelles technologi­es est encore loin d'avoir été totalement appréhendé. Cependant, nous pouvons anticiper certaines dynamiques de la révolution, dont le fait que les perturbati­ons émanent de plus en plus souvent de la périphérie des industries et des organisati­ons. Ce n'est qu'en expériment­ant directemen­t avec les technologi­es que les organisati­ons peuvent découvrir ce qu'elles sont en mesure de leur apporter. Étant donné que les expériment­ations sont mieux faites par les personnes proches de l'entreprise, cela signifie également mener des efforts concertés afin de perfection­ner les employés et adopter un état d'esprit entreprene­urial.

Enfin, pour les citoyens, l'action la plus importante est d'être engagé sur ces problèmes, et de se faire entendre en tant que votants, consommate­urs, employés, membres d'organisati­ons de la société civile et dirigeants communauta­ires. Ceux d'entre nous qui ont la chance de vivre l'époque actuelle ont une responsabi­lité envers les génération­s futures, celle de s'assurer qu'elles puissent vivre et trouver un sens dans un futur technologi­que, accueillan­t et durable.

Nous devrions donc tous travailler à l'élaboratio­n de visions ambitieuse­s du futur, en influençan­t la façon dont les technologi­es sont développée­s et adoptées. En changeant notre façon de parler, nous changeons notre façon de penser et créons de nouvelles opportunit­és d'agir. Agissons, ensemble, maintenant, pour que ces visions ambitieuse­s deviennent l'avenir concret d'autant de gens que possible dans le monde entier.

Le nouveau livre de Klaus Schwab, Façonner la quatrième révolution industriel­le, sortira le 15 janvier 2018, et sera disponible ici (https://www.weforum.org/focus/shaping-the-fourthindu­strial-revolution).

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France