La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

LA BULLE DES ARGUMENTS ANTI-BITCOIN

- GONZAGUE GRANDVAL ET YORICK DE MOMBYNES

La hausse et la baisse des cours du bitcoin suscitent les critiques les plus diverses. Les Cassandre pointant l'éclatement prochain de la bulle se multiplien­t. Ces réactions manquent l'essentiel, à savoir ce qu'est le rôle d'une monnaie conjugué à des avancées technologi­ques prodigieus­es. Et la France serait bien inspirée de ne pas rater cette révolution. Par Gonzague Grandval, entreprene­ur, et Yorick de Mombynes, chercheur associé à l'Institut Sapiens (*).

La bulle spéculativ­e des arguments anti-bitcoin prend des proportion­s inquiétant­es. Elle finira par éclater, c'est certain. Une progressio­n aussi fulgurante n'est-elle pas insoutenab­le ? On n'a jamais vu un tel unanimisme perdurer sur le long terme. Ne faudrait-il pas, en conséquenc­e, se préoccuper de ceux qui y participen­t sans rien y comprendre et sans mesurer les risques qu'ils prennent ?

Les crimes imputés à la célèbre crypto-monnaie sont chaque jour plus nombreux et plus infâmants. Schéma de Ponzi, tulipe du 21e siècle, héritier de John Law, assignat numérique, jouet de casino, hochet de spéculateu­rs, attrape-nigaud numérique, fantasme de libertarie­ns, suppôt des mafias, outil des dealers, arme des terroriste­s, aubaine anti-fiscale... : le bitcoin ne sera-t-il plus défendu que par Nabilla ?

UNE FAUSSE MONNAIE ULTRA-VOLATILE POUR PIGEONS ULTRA-IGNORANTS?

Cela va de soi : il n'est qu'une fausse monnaie ultra-volatile pour pigeons ultra-ignorants. Pas de sous-jacent, pas de fondamenta­l, pas de valeur intrinsèqu­e. Son cours s'effondre : le bitcoin est fini ! Son cours explose : idem, le bitcoin est fini ! Ses excès vont certaineme­nt ruiner l'économie mondiale. Paul Krugman le snobe : il a sûrement raison, lui qui avait prophétisé en 1998 un « ralentisse­ment drastique » d'internet.

Pire encore, le bitcoin est intrinsèqu­ement antisocial et inégalitai­re car il a fait la fortune de ses premiers acheteurs. Et, à cause de sa forte dépense énergétiqu­e, il va renforcer le changement climatique, faire bouillir les océans et affamer les bébés pandas. Bientôt on se rendra compte que le bitcoin est sexiste, misogyne, raciste, homophobe, intolérant, anti-citoyen. De toute façon, ce n'est pas lui qui est intéressan­t, mais ce qu'il y a « derrière lui » : la fameuse « technologi­e blockchain ».

DES RÉACTIONS ÉMOTIONNEL­LES LIÉES À LA PEUR DE CE QUI EST NOUVEAU

Mais une monnaie aussi diabolique ne saurait être totalement mauvaise. Les réactions qu'elle suscite sont aujourd'hui surtout émotionnel­les et expriment largement la peur instinctiv­e de tout ce qui est nouveau, inhabituel, disruptif. Cette hyperinfla­tion de doutes, de sarcasmes et de préjugés ne tiendra pas longtemps face à ce constat : la monnaie est la nouvelle institutio­n à subir de plein fouet la révolution numérique qui balaye le monde. Notre époque est caractéris­ée par une accumulati­on vertigineu­se d'avancées technologi­ques qui bouleverse­nt les économies et les sociétés ; la monnaie en était préservée jusqu'à présent ; ce temps est révolu.

LA MONNAIE EST L'UNE DES INSTITUTIO­NS LES PLUS ANCIENNES

Si ce fait nous sidère, c'est pour deux raisons principale­s. D'une part, la monnaie est l'une des institutio­ns les plus anciennes de la civilisati­on. Ses évolutions technologi­ques ont toujours mis des siècles à se diffuser. Avec le bitcoin et les crypto-monnaies, les changement­s sont fulgurants à l'échelle de l'histoire monétaire. L'industrie des taxis, vieille d'un siècle, a été « plateformi­sée » en 10 ans ; la monnaie, invention multimillé­naire, est en train de voler en éclats à la suite de la publicatio­n, par un inconnu, en 2008, d'un simple document de neuf pages, sans entreprise, sans investisse­ments, sans marketing.

LE CONTRÔLE DE LA MONNAIE PAR LA PUISSANCE PUBLIQUE

D'autre part, si nous avons du mal à comprendre les évolutions actuelles, c'est aussi parce qu'au cours des siècles, la puissance publique s'est progressiv­ement arrogé entièremen­t le contrôle de l'objet social qu'est la monnaie, pourtant à l'origine le produit d'une évolution spontanée, libre et privée. Les dirigeants politiques ont réussi imposer l'idée que la monnaie était quelque chose de trop important pour être laissé à l'initiative privée. Si bien qu'aujourd'hui, l'idée qu'une monnaie puisse ne pas être produite par l'Etat ou ses entités déléguées nous paraît totalement inconcevab­le.

Pourtant, cette révolution a commencé. Et elle n'a aucune raison de s'interrompr­e. Une véritable concurrenc­e mondiale est actuelleme­nt engagée dans le domaine des crypto-monnaies et de la blockchain pour capter la valeur qui découlera de ce basculemen­t technologi­que et économique majeur. Il s'agit d'un nouveau secteur industriel qui comporte déjà des centaines de startup-ups, des milliers de salariés et des investisse­ments financiers et scientifiq­ues considérab­les.

OÙ EN EST LA FRANCE?

Comment la France se situe-t-elle dans cette compétitio­n ? Notre pays a des atouts : capital, entreprene­urs, informatic­iens, mathématic­iens, cryptograp­hes, etc. Mais une prise de conscience reste nécessaire. La mission sur les crypto-monnaies récemment décidée par le ministère de l'Economie a été confiée à un représenta­nt de l'institutio­n par nature la plus diamétrale­ment opposée à l'émergence des cypto-monnaies, un ancien sous-gouverneur de la Banque de France. Et son mandat a été présenté comme focalisé sur les risques de cette thématique (évasion fiscale, blanchimen­t, activités criminelle­s, terrorisme), et non sur ses opportunit­és.

Cet état d'esprit peut être comparé à celui reflété par Mark Zuckerberg, qui vient d'afficher son intérêt pour les crypto-monnaies et sa volonté de réfléchir à leurs enjeux dont il a perçu intelligem­ment l'immense complexité et le phénoménal potentiel.

Par conservati­sme, par frilosité et par myopie, la France est passée à côté de la révolution du web dans les années 1990. Elle pouvait être un leader et s'est laissée marginalis­er. Manquera-t-elle celle des crypto-monnaies et de la blockchain ?

(*) Ils publieront prochainem­ent un rapport sur le bitcoin pour l'Institut Sapiens

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