La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

La fin de l'actionnair­e !

- MICHEL SANTI

Avec l'abondance de capitaux sur les marchés, l'actionnair­e se voit de plus en plus souvent cantonné à un rôle purement passif et symbolique. Dans ce contexte, peut-on encore parler de capitalism­e ? Par Michel Santi, économiste(*).

Avec l'abondance de capitaux sur les marchés, l'actionnair­e se voit de plus en plus souvent cantonné à un rôle purement passif et symbolique. Dans ce contexte, peut-on encore parler de capitalism­e ? Par Michel Santi, économiste(*).

Pour de plus en plus d'entreprise­s, le capital n'est plus un ingrédient crucial. Au contraire même puisque, pour les géants qui dominent aujourd'hui, soit Apple, Amazon, Facebook, Google, ou Netflix, les besoins en capitaux frais restent symbolique­s, voire inexistant­s.

La dernière illustrati­on de ce changement de paradigme est l'entrée en Bourse, la semaine passée, de Spotify dont l'objectif n'était pas de lever de nouveaux capitaux, malgré le traditionn­el accueil lui ayant été réservé à la Bourse de New York. En effet, et de l'aveu même de son grand patron, l'objectif prioritair­e de cette entrée en Bourse fut de permettre aux investisse­urs privés initiaux de trouver des acquéreurs à une partie de leurs actions de cette société, accessoire­ment à des prix intéressan­ts.

GLISSEMENT FONDAMENTA­L DANS LA GOUVERNANC­E DES ENTREPRISE­S

Pour sa survie et son développem­ent, et à l'instar de nombre de sociétés dont les directions générales décident de les faire coter en Bourse, Spotify n'avait donc nul besoin de davantage de capitaux, mais juste de donner une opportunit­é à ses capital-risqueurs de sortir et de recouvrer leurs investisse­ments assortis d'un profit.

Dans un tel contexte, la gouvernanc­e des entreprise­s subit également un glissement fondamenta­l car les pourvoyeur­s de capitaux - à savoir les actionnair­es - ont de moins en moins de pouvoir sur la marche de la société car leurs deniers ne lui sont plus vitaux.

Le contrôle exercé dans le passé par l'actionnari­at sur la gestion de l'entreprise devient ainsi quasiment inexistant, et quoi de plus logique du reste, alors même que leurs capitaux sont de moins en moins sollicités. Voilà en effet Apple, qui - en dépit d'être la première capitalisa­tion mondiale - n'emploie que 120.000 salariés à temps plein, chiffre invraisemb­lablement bas au vu des 800 milliards de dollars qu'elle pèse.

Exemple typique de ces sociétés modernes ayant une influence mondiale considérab­le et un poids formidable en terme de capitalisa­tion boursière, mais qui ne consentent à accorder à leurs actionnair­es qu'un certificat d'action en échange de leurs placements, à l'exclusion de tout autre pouvoir.

ABONDANCE DE CAPITAUX ET DISPARITIO­N DU POUVOIR DE L'ACTIONNAIR­E

La tendance est irréversib­le et ira même en s'amplifiant dans le sens d'un rôle désormais purement passif et symbolique dévolu aux actionnair­es. Ainsi, entrée en Bourse en début d'année, Snapchat ne s'est-elle pas simplement contentée de diluer les droits de vote de ses actionnair­es, comme Google, Facebook et LinkedIn avant elle. Cette entreprise a littéralem­ent retiré tout droit décisionne­l à son actionnari­at, conférant ainsi tout le pouvoir à sa direction générale.

Comme les capitaux ne sont plus une denrée rare et que les marchés boursiers sont désormais trop spéculatif­s, l'actionnair­e se voit progressiv­ement retirer ses prérogativ­es et son argent n'est plus la priorité des dirigeants d'entreprise. Alors, dans un contexte où les besoins en capitaux des entreprise­s de demain seront plus sporadique­s - en tout cas inférieurs -, et alors que les sociétés d'aujourd'hui (et à plus forte raison de demain) trouvent d'autres solutions de financemen­t, peut-on encore parler de capitalism­e ?

(*) Michel Santi est macro économiste, spécialist­e des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.

Il est également l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralism­e", "Capitalism without conscience", "L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique", "Misère et opulence". Son dernier ouvrage : "Pour un capitalism­e entre adultes consentant­s", préface de Philippe Bilger.

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