La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Qui est Kat Borlongan, la (probable) nouvelle patronne de la Mission French Tech ?

- SYLVAIN ROLLAND

Sauf rebondisse­ment, le secrétaire d’Etat au Numérique, Mounir Mahjoubi, devrait annoncer dans la deuxième quinzaine de mai la nomination de l’entreprene­ure Kat Borlongan en tant que nouvelle directrice de la Mission French Tech. Une vraie surprise, autant pour la Mission French Tech que pour l'écosystème d'innovation français.

Personne ne s'attendait à ce "profil atypique". Y compris, d'après nos informatio­ns, au sein même de la Mission French Tech. Dans la deuxième quinzaine de mai, Mounir Mahjoubi, le secrétaire d'Etat au Numérique, annoncera la nouvelle feuille de route de la Mission French Tech, l'initiative gouverneme­ntale chargée depuis fin 2013 de fédérer les startups tricolores et de promouvoir l'innovation made in France dans le monde. Il confirmera aussi le nom de sa nouvelle directrice, qui devrait être, d'après une informatio­n des Echos confirmée par La Tribune, l'entreprene­ure Kat Borlongan, qui dirige actuelleme­nt l'agence de conseil Five by Five.

LA FRENCH TECH FACE À SON NÉCESSAIRE PIVOT

La jeune trentenair­e devrait succéder à David Monteau, co-fondateur et directeur de la French Tech de juillet 2013 à décembre 2017, qui a fini par succomber aux sirènes de l'entreprene­uriat et a rejoint la startup Skopai. La longue vacance entre le départ de David Monteau et l'arrivée de Kat Borlorgan s'explique par la longueur des procédures administra­tives et par la nécessité, pour le gouverneme­nt, de repenser à la fois les missions, mais aussi la gouvernanc­e de la Mission French Tech.

Et pour cause : depuis quelques mois, les critiques pleuvent sur l'utilité et l'efficacité de la French Tech, un outil sous-financé, gangréné par les querelles d'ordre politique, et considéré en sérieuse « perte de vitesse » par de plus en plus d'entreprene­urs. Si bien que les lobbysFran­ce Digitale et Terra Nova ont réclamé que la French Tech soit « libérée » de l'emprise de l'Etat et « rendue » à son écosystème (entreprene­urs, investisse­urs, chercheurs), pour pouvoir mener des actions mieux financées et de plus grande envergure, ne plus être vue comme un organe public, et mieux répondre aux problémati­ques des startups, notamment l'hyper-croissance et l'internatio­nalisation.

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KAT BORLONGAN, UNE SPÉCIALIST­E DU CONSEIL EN STRATÉGIE

Peu connue dans l'écosystème d'innovation français, Kat Borlorgan est donc une vraie surprise pour diriger la Mission French Tech. Alors que l'écosystème attendait la promotion « d'un des leurs » (comprendre, un profil tech avec une expérience significat­ive dans une startup, familier avec toutes les problémati­ques des jeunes pousses), Kat Borlorgan est certes une entreprene­ure, mais elle évolue dans le domaine du conseil en stratégie.

Sa société, Five by Five, qu'elle a cofondée en 2013, est une agence spécialisé­e dans l'open innovation, ou innovation ouverte. Son credo est d'aider ses clients (grands groupes comme Google, Coca-Cola, Orange, PME et organisati­ons comme la CNIL ou la Caisse des dépôts) à faciliter leur transforma­tion numérique en les aidant à innover, notamment via des partenaria­ts avec des startups, le recours à l'open data et à des API. « Si vous êtes une organisati­on intéressée par le business avec les startups, faites-vous une faveur : lâcher les consultant­s en costume-cravate qui écrivent des rapports derrière leur bureau, et faites un partenaria­t avec Five by Five », s'enthousias­me Fred Mazzella, le fondateur de BlaBlaCar, sur le site de l'entreprise.

Originaire des Philippine­s (elle parle couramment le dialecte tagalog en plus de l'anglais et du français), Kat Borlongan était déjà bien connue de la Mission French Tech. Son précédent directeur, David Monteau, avait choisi de s'allier avec Five by Five pour mener la première enquête sur les relations entre les startups et les grands groupes, publiée en novembre dernier. Il en ressortait un gros « peut mieux faire » adressé aux champions de l'économie française, coupables d'entretenir des relations cosmétique­s avec les jeunes pousses au point de leur consacrer seulement 0,1% de leur budget « achats ».

« Les grands groupes sont des partenaire­s naturels et incarnent des débouchés essentiels pour les startups. Lever les freins actuels est un enjeu essentiel donc il est bon que la French Tech ait un pied dans chaque monde », estime le directeur innovation d'un grand groupe.

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INVESTIE POUR L'OPEN DATA, MAIS

« PAS PROCHE DU MONDE DE L'INNOVATION »

Kat Borlongan n'est donc pas une ancienne startuppeu­se, mais elle fait partie des experts qui gravitent autour des entreprise­s innovantes. Membre du programme d'accélérati­on américain Techstars, elle pilote un programme d'innovation corporate. Elle est également mentor pour le French Tech Ticket, qui aide des entreprene­urs étrangers à s'installer en France. Entre octobre 2014 et septembre 2016, la jeune femme a aussi fait partie d'une équipe d'experts en marketing produit pour Google. Depuis 2015, elle est également « experte sur l'économie » au sein du Conseil économique social et environnem­ental (Cese).

Sa passion et sa connaissan­ce pointue de l'open data l'ont également amenée à diriger le bureau parisien de la fondation Open Data Institute, qui promeut l'ouverture des données publiques aux citoyens et aux entreprise­s, et à conseiller pendant deux ans Etalab, le service de l'Etat en charge de l'ouverture des données publiques. Kat Borlongan dispose donc d'une connaissan­ce de l'administra­tion française qui pourrait lui être utile pour diriger la Mission French Tech, rattachée au ministère de l'Economie mais pilotée par le Secrétaria­t d'Etat au Numérique, qui dépend du Premier ministre.

Malgré ce CV garni, de nombreux entreprene­urs accueillen­t la perspectiv­e de sa nomination avec une certaine circonspec­tion.

« L'ADN de la French Tech est très tech et business : jusqu'à présent, c'était fédérer, faire rayonner et aider les startups à se développer. Kat Borlongan incarne une modificati­on de cet ADN. Son parcours est impression­nant mais elle n'a pas le côté business, elle n'est pas proche du monde de l'innovation français", s'interroge un fin connaisseu­r de la French Tech.

Le signal envoyé -une femme, jeune, issue de la diversité, experte des relations startups/grands groupes, dotée d'une vision éthique de l'innovation- demeure intéressan­t. Reste désormais à connaître sa feuille de route pour savoir comment elle pourra amener la French Tech à négocier le virage de son propre pivot pour conserver sa pertinence face à un écosystème qui se pose de plus en plus la question de son utilité.

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