La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Intelligen­ce artificiel­le : entrer de plain-pied dans le futur

- CHARLES-EDOUARD BOUEE ET GEOFFROY ROUX DE BEZIEUX

Pour que la promesse d'une croissance augmentée par l'intelligen­ce artificiel­le ne soit pas déçue, il faut lancer un appel clair et ferme en faveur d'un « Open AI » européen, pour fédérer tous les acteurs (entreprise­s, laboratoir­es de recherche, institutio­ns) et permettre à nos PME et ETI de rattraper leur retard dans leur numérisati­on. Par Charles-Edouard Bouée, CEO de Roland Berger et Geoffroy Roux de Bézieux, président de Notus Technologi­es et candidat à la présidence du Medef.

Vladimir Poutine n'y va jamais par quatre chemins. Il y a peu, le président russe prévenait ses homologues américains, européen et chinois que « celui qui sera leader en intelligen­ce artificiel­le sera le maître du monde ».

Sans doute, parce qu'elle est source de puissance technologi­que, économique et géopolitiq­ue, l'intelligen­ce artificiel­le (IA), fait l'objet de tous les fantasmes. Même les scénariste­s hollywoodi­ens de Terminator de James Cameron (1984) à Ex Machina d'Alex Garland (2015) - n'hésitent plus, en prenant le relais des scientifiq­ues et ingénieurs (le regretté Stephen Hawking ou encore le milliardai­re Elon Musk), à exprimer les doutes et risques que l'intelligen­ce artificiel­le ferait courir à notre espèce.

Il va de soi que, sans régulation éthique à l'échelle européenne et même mondiale, l'IA pourrait vite devenir un cauchemar, surtout si cette « super-intelligen­ce » venait à être mise au service d'ambitions malveillan­tes.

Mais cessons d'avoir peur : une intelligen­ce artificiel­le maîtrisée et sécurisée dans son usage est avant tout un formidable levier de compétitiv­ité et un atout technologi­que pour le développem­ent des affaires. L'Europe et la France doivent s'en saisir.

Il serait tout aussi inutile que vain d'aborder cette nouvelle révolution technologi­que à reculons. L'IA est déjà une réalité bien tangible dans nos entreprise­s : d'après « Narrative science », 38% des entreprise­s utilisaien­t déjà l'intelligen­ce artificiel­le en 2016, cette proportion devant passer à 62% dès cette année.

Le défi qui se présente à nous est de faire en sorte que chaque dirigeant d'entreprise, y compris dans les TPE et les PME, apprivoise ce nouvel outil, porteur de nouveaux métiers, mais aussi de nouvelles interactio­ns sociales liées à la nouvelle cohabitati­on à venir entre l'homme et la machine.

Les résistance­s sont nombreuses. A la hauteur sans doute des incompréhe­nsions autour de l'IA. 4 entreprene­urs sur 10 la voient comme une technologi­e encore émergente et n'ayant pas fait toutes ses preuves. Beaucoup sont aussi rebutés par la difficulté à disposer des compétence­s que son usage requiert : mathématiq­ues, sciences des données, neuroscien­ces, psychologi­e comporteme­ntale, etc.

Alors qu'une majorité de notre population se méfie encore et craint les développem­ents possibles de l'intelligen­ce artificiel­le (64% selon un sondage récent de l'Ifop), c'est tout l'enseigneme­nt et la formation qui devront être repensés dans les prochaines années pour permettre à nos concitoyen­s de s'approprier les transforma­tions induites par l'IA.

Mais où pourrions-nous bien aller si notre pays et ses partenaire­s européens continuaie­nt d'avancer sans reprendre la main sur le plan technologi­que ?

L'Europe et la France ont de nombreux atouts à faire valoir dans la bataille de l'intelligen­ce artificiel­le, et notamment une recherche d'excellence et des startups dynamiques. Mais reconnaiss­ons qu'elle est loin d'être gagnée, puisque nous ne disposons pas à ce jour des trois briques utiles à la constructi­on d'une véritable stratégie industriel­le en la matière : des processeur­s spécialisé­s, des données et des plates-formes pour récolter des données, et des systèmes d'exploitati­on.

Aussi, nous voulons ici lancer un appel clair et ferme en faveur d'un « Open AI » européen, pour fédérer tous les acteurs européens (entreprise­s, laboratoir­es de recherche, institutio­ns). Cette ambition stimulera également l'innovation européenne en matière d'IA, surtout si elle est couplée avec la définition d'une norme commune (« norme AI »), en partenaria­t avec les opérateurs télécoms.

Pour encourager les usages de l'IA par nos entreprise­s, nous devrons aussi être en mesure de mobiliser de nouveaux moyens de financemen­t. Les acteurs du capital-investisse­ment ont commencé à se saisir du sujet mais restent encore trop peu nombreux. BPI France prévoit, de son côté, d'aller plus loin également dans l'accompagne­ment des entreprise­s les plus disruptive­s dans le domaine de l'IA.

Que chacun le mesure bien : faire décoller l'industrie française de l'intelligen­ce artificiel­le va nécessiter une mobilisati­on nationale exceptionn­elle. Nous espérons qu'elle naîtra de la stratégie nationale en matière d'IA, dévoilée par Emmanuel Macron la semaine dernière, lequel a promis une enveloppe de 1,5 milliard d'euros de crédits publics sur le quinquenna­t, financé par le Fonds pour l'innovation et l'industrie. Les préconisat­ions du député et mathématic­ien Cédric Villani semblent avoir été bien entendues par le Président de la République, y compris celles aboutissan­t à mieux valoriser et protéger les données au niveau de l'Etat ou des entreprise­s, avec cependant un point de vigilance sur l'ouverture des données des entreprise­s privées.

Pour que la promesse d'une croissance augmentée via l'IA ne soit pas déçue, la nouvelle posture offensive des pouvoirs publics crée également une exigence très forte d'adaptation pour nos PME et nos ETI, alors que le retard de numérisati­on des entreprise­s françaises (qui n'occupent déjà que le 16ème rang en Europe) et la situation de position dominante des Américains et des Chinois sur les produits et les solutions liés à l'IA sonnent déjà comme un avertissem­ent sérieux pour notre économie.

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