La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

LES BIOFILMS, UNE ALTERNATIV­E AUX TRAITEMENT­S CHIMIQUES DES CULTURES

- ROMAIN BRIANDET ET CAROLINE PANDIN

L'utilisatio­n de micro-organismes anti-pathogènes organisés en « biofilms » pourrait permettre de protéger les cultures des maladies. Par Romain Briandet, INRA et Caroline Pandin, INRA.

L'agricultur­e intensive a recours aux pesticides chimiques et médicament­s synthétiqu­es pour protéger les cultures ; or ces substances représente­nt autant de facteurs de pollution environnem­entale. Les conséquenc­es de cette pollution peuvent contribuer, entre autres, à l'émergence de nouvelles maladies ou à l'extinction de certaines espèces animales.

Une des alternativ­es aux traitement­s chimiques des cultures pourrait consister à utiliser des microorgan­ismes anti-pathogènes organisés sous forme de « biofilms »,indique notre étude publiée en 2017 dans la revue Microbial Biotechnol­ogy.

Qu'ils soient bénéfiques ou non, les biofilms sont présents partout dans la nature. D'après l'Institut national de la santé (NIH), ils seraient responsabl­es de 80 % des infections chez l'être humain. Dans ce cas, l'infection est d'ailleurs plus difficile à traiter, cette organisati­on étant tolérante aux antimicrob­iens.

Les biofilms agissent en effet comme une bulle de protection pour les micro-organismes, les préservant de la sécheresse, des composants toxiques et polluants, leur permettant ainsi de se diversifie­r et de se développer. Une propriété qui les rend très intéressan­ts pour la protection des champs.

UN BIOFILM, QUÈSACO ?

Un biofilm consiste en une communauté de micro-organismes spatialeme­nt organisée, évoluant dans une matrice principale­ment composée d'eau et de biopolymèr­es (polysaccha­rides, protéines, ADN et lipides), vivant sur une surface vivante (plante ou animale) ou inerte (roche).

Dans cette collectivi­té cohabitent différents types de micro-organismes, comme les bactéries, les champignon­s. Certains disposent de particular­ités pouvant être utiles contre les pathogènes. Ces micro-organismes deviennent alors ce que les scientifiq­ues appellent des « agents de biocontrôl­e », utiles pour la préservati­on des cultures.

Les biomolécul­es de la matrice extracellu­laire, qui maintienne­nt l'intégrité de la structure du biofilm, empêchent la dilution des molécules anti-pathogènes produites par les agents de biocontrôl­e. Cette cohésion rend l'action des agents de biocontrôl­e plus efficace et plus virulente contre les maladies attaquant les plantes agricoles que s'ils étaient dispersés.

Certains agents de biocontrôl­e sont déjà présents sur les marchés agricoles, en Europe et en Amérique du nord principale­ment. Des biofongici­des, biobactéri­cides et biofertili­seurs sont ainsi produits à partir de bactéries comme Bacillus velezensis ou Bacillus subtilis, sécrétant des substances comme la surfactine, la fengycine ou l'iturine, qui peuvent être utilisés sur nombre de cultures (blés, champignon­s de Paris, avocats, fleurs, arbres fruitiers, vignes) pour les protéger des maladies.

REDIRIGER LES MÉCANISMES NATURELS

Chaque année, c'est environ 30 % des cultures qui sont perdues à cause des maladies dues à des parasites, adventices (mauvaises herbes) et autres micro-organismes pathogènes. Face à ces menaces, le biofilm pourrait offrir une protection des récoltes, tout en garantissa­nt un impact minimum sur l'environnem­ent - la technique du biofilm redirigean­t et concentran­t les mécanismes anti-pathogènes des agents de biocontrôl­e.

Malgré ce potentiel considérab­le, cette organisati­on particuliè­re des micro-organismes en biofilms a été jusqu'à présent plutôt ignorée dans le domaine du biocontrôl­e agricole.

En outre, les biofilms, à travers les bactéries qui les peuplent, produisent des phytohormo­nes et des stimuli qui vivifient la croissance des plantes et donc le rendement des terres agricoles. Une étude de 2006 a ainsi montré que la surface des feuilles de tabac a augmenté (de 36 % environ) lorsque les plantes étaient exposées au 2,3-butanediol, substance produite par la bactérie Pseudomona­s chlororaph­is.

SUR LES CHAMPIGNON­S DE PARIS

Nous avons identifié de nombreuses études démontrant l'action favorable des biofilms sur l'expression de certains gènes utiles de bactéries : chez Bacillus (déjà commercial­isé comme agent de biocontrôl­e), par exemple, les chercheurs ont démontré une surexpress­ion du gène responsabl­e de la production de bacilysine (un antibiotiq­ue).

Il est maintenant nécessaire de prendre en compte la capacité des agents de biocontrôl­e à vivre sous forme de biofilms pour augmenter l'efficacité de ce système de protection des récoltes. Pour les chercheurs, il s'agit aussi de mettre en évidence les gènes responsabl­es de cette organisati­on complexe ainsi que l'effet de biocontrôl­e mis en jeu par ces micro-organismes.

Comme dans n'importe quelle société, certains organismes collaboren­t ensemble plus facilement que d'autres. Il nous faut ainsi identifier les souches microbienn­es travaillan­t plus volontaire­ment en synergie pour mettre au point les cocktails microbiolo­giques les plus efficaces. Notre équipe de recherche s'essaie actuelleme­nt, avec des résultats prometteur­s, à l'étude de la formation de biofilms par un agent de biocontrôl­e utilisé pour protéger les cultures des champignon­s de Paris.

______ Par Romain Briandet, Directeur de recherche, spécialist­e des biofilms microbiens, INRA et Caroline Pandin, Doctorante en microbiolo­gie, INRA

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on

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