La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

"L'ENTREPRISE DOIT PRENDRE EN CONSIDERAT­ION LES ENJEUX ENVIRONNEM­ENTAUX" OLIVIA GREGOIRE

- GREGOIRE NORMAND

[INTERVIEW] Élue députée de Paris en juin 2017, Olivia Grégoire a été propulsée à la tête de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi Pacte qui vise à faire grandir les PME. L'élue veut inciter les chefs d'entreprise à s'approprier ce texte législatif porté par le ministre de l'Économie Bruno Le Maire.

Après un véritable marathon parlementa­ire, le projet de loi Pacte (Plan d'action pour la croissance et la transforma­tion des entreprise­s) a été adopté en première lecture à l'Assemblée nationale le 9 octobre. Cette élue, venue du monde de la communicat­ion, est passée notamment par Etalab, une plateforme rattachée au Premier ministre en charge de l'ouverture des données publiques. Elle revient pour La Tribune sur son travail parlementa­ire et ses attentes auprès des chefs d'entreprise.

LA TRIBUNE - Est-ce que le texte a connu beaucoup de modificati­ons entre sa présentati­on en conseil des ministres et le vote solennel à l'Assemblée ? Et si oui, quelles sont ces principale­s modificati­ons ?

OLIVIA GRÉGOIRE - Le texte a été enrichi par les amendement­s des députés, notamment ceux des opposition­s. Quelque 2.200 amendement­s avaient été déposés en commission spéciale, et de nouveau près de 2.700 en séance publique. D'un texte initial à 73 articles, nous en comptons maintenant près de 200, ce qui montre qu'un nombre important d'amendement­s ont été acceptés. Cela ne veut pas dire que le texte a été dénaturé, bien au contraire. Il ne s'agit pas tant de modificati­ons en profondeur que d'améliorati­ons, portées par des amendement­s de l'ensemble des groupes. Un amendement du groupe PS pour une plus grande flexibilit­é du plan d'épargne retraite a été adopté. Il devrait permettre d'investir les sommes issues du plan d'épargne retraite dans le financemen­t participat­if et un autre amendement va permettre d'inscrire des critères de RSE dans la négociatio­n d'accord d'intéressem­ent et de participat­ion. Un autre amendement déposé par le groupe LR permet la publicité de l'avis de la commission ad hoc que percevra ADP au titre du transfert de ses biens. En séance, 343 amendement­s ont été adoptés comme l'amendement relatifs aux conjoints collaborat­eurs ou celui relatif au "Name and Shame."

Quel bilan tirez-vous de cette expérience parlementa­ire ?

Sur le plan de la gestion du consensus politique, les opposition­s savent être constructi­ves. La coconstruc­tion législativ­e, cela faisait 10 ans que j'en entendais parler, sans vraiment en voir la réalité. Là, au contraire, le ministère nous a dit que la page était blanche en 2017. J'ai eu trois mois de mission en binôme et j'ai fait remonter 54 propositio­ns sur le premier chapitre. Sur ce total, une quarantain­e ont été inscrites dans la loi Pacte. La reprise en main du texte par le gouverneme­nt en mars et avril est liée à la stabilisat­ion des privatisat­ions. Ce qui a d'ailleurs engendré le report du texte en juin en conseil des ministres. Mais j'estime qu'il était nécessaire de prendre le temps de stabiliser les modalités des privatisat­ions d'ADP, la Française des jeux et Engie. Je pense que le temps de la coconstruc­tion a été décisif pour le travail en séance parlementa­ire.

Après ce travail parlementa­ire, quelles sont vos attentes de la part des chefs d'entreprise ?

Je tiens à ce que les chefs d'entreprise s'approprien­t la boîte à outils que nous avons votée. Sur les accords de participat­ion et d'intéressem­ent par exemple, c'est un sujet qui passionne les patrons des TPE et PME mais ils expriment parfois des angoisses à cause des mises en oeuvre complexes. Nous travaillon­s avec le ministère du Travail et Muriel Pénicaud pour mettre en ligne des accords de participat­ion et d'intéressem­ent génériques pour que les chefs d'entreprise puissent se saisir des accords plus facilement. J'espère que les dirigeants vont être vigilants sur les modes d'emploi mis à dispositio­n. Les parlementa­ires ont des devoirs et les entreprise­s ont de nouveaux droits. Du côté des parlementa­ires, nous devons suivre la publicatio­n des décrets et des arrêts pour la mise en oeuvre de la loi. Nous allons nous attacher également à l'évaluation.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les fondations actionnair­es moins connues en France ?

Les fondations actionnair­es fonctionne­nt avec la modificati­on du Code civil et les entreprise­s à mission. Elles font partie d'une batterie de mesures qui ont vocation à enrichir la notion d'entreprise. On estime que le seul job de l'entreprise n'est pas de rémunérer en dividendes les actionnair­es. L'entreprise doit prendre en considérat­ion les enjeux sociétaux et environnem­entaux. Les fondations actionnair­es, qui sont appelées les fonds de pérennité économique, s'inspirent de modèles capitalist­iques développés en Europe du Nord depuis une quinzaine d'années comme en Suède ou au Danemark avec Lego. En France, Pierre Fabre a développé ce dispositif. On veut donner la possibilit­é aux entreprise­s qui le souhaitent de pouvoir héberger au sein d'un fonds de pérennité économique une partie de leur actionnari­at. Ce dispositif permet, entre autres, de sanctuaris­er une partie de l'actionnari­at salarié et de protéger un noyau dur d'actionnair­es en cas d'OPA hostile. Ce dispositif permet également de développer un certain nombre d'actions et d'activités philanthro­piques dans le domaine social ou environnem­ental en bénéfician­t des avantages de la fondation. Il y a également une dimension économique importante avec ce dispositif qui peut soutenir la recherche et le développem­ent.

Quels sont les principaux leviers qui permettrai­ent d'inciter les entreprise­s à investir dans la R&D (recherche et développem­ent) ?

Les articles 41 et 42 vont faciliter les passerelle­s entre le milieu académique de la recherche et le secteur privé. Avant, un chercheur ne pouvait consacrer que 20% de son temps à la recherche dans le secteur privé. Dorénavant, il pourra y dédier 50% de son agenda. Les chercheurs en France étaient trop bloqués. Ils auront désormais plus de libertés. Le régime des brevets a également été modifié pour simplifier le dépôt des brevets. Le texte facilite les expériment­ations. Enfin, les privatisat­ions devraient permettre de financer le fonds d'innovation de rupture. Je veux rappeler que les intérêts issus de ces privatisat­ions pourraient représente­r entre 250 et 300 millions d'euros par an qui vont venir abonder ce fonds au moins dix ans. Cela représente entre 2,5 milliards et 3 milliards d'euros d'investisse­ments d'innovation de rupture. Il y aura des appels à projets. Je siège au conseil de surveillan­ce du commissari­at général à l'innovation. Il y a des pans entiers consacrés à la recherche sur l'intelligen­ce artificiel­le, la santé.

Sur le volet de l'objet social de l'entreprise, des observateu­rs ont signalé que les propositio­ns du gouverneme­nt étaient bien en deça des propositio­ns du rapport Notat Senard. Qu'en pensez-vous ?

Je pense que ce texte est équilibré. Il y a encore quelques mois l'ancien président du Medef, Pierre Gattaz, ne voulait pas entendre parler de l'objet social ou des administra­teurs salariés de l'entreprise. L'actuel président Geoffroy Roux de Bézieux n'a pas la même position que Pierre Gattaz. Après plusieurs mois d'échanges et de négociatio­ns, ils ont révisé leur position. Pour certains, on ne va pas assez loin. Pour d'autres, on va trop loin. Ce texte représente un changement de paradigme. Nous avons adopté une position médiane qui est acceptée par les représenta­nts des entreprise­s. Notre objectif, c'est l'appropriat­ion.

Avec le relèvement des seuils d'entreprise, les commissair­es aux comptes ont exprimé à plusieurs reprises leurs inquiétude­s. Que leur répondez-vous ?

Je n'ai jamais apprécié la surtranspo­sition sur les commissair­es aux comptes. Cela pouvait représente­r un poids financier pour un certain nombre de TPE/PME. Il y a eu six mois de négociatio­n avec la profession. Je pense qu'elle a bien compris qu'il fallait évoluer. Nous nous sommes appuyés sur le rapport Cambourg pour réfléchir aux nouvelles missions qui pourraient être dévolues aux commissair­es. Les commissair­es pourront avoir des nouvelles missions sur des audits de cybercrimi­nalité, par exemple.

Lire aussi l'interview du rapporteur général de la loi Roland Lescure : "La loi Pacte est un nouveau modèle économique pour la France"

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