La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

INCLUSION DES JEUNES LGBT EN ENTREPRISE : LES GRANDS GROUPES ET LES STARTUPS EN DEFICIT D'IMAGE

- JEROME CRISTIANI

En France, les jeunes lesbiennes, gays, bi, transgenre­s... affirment à 80% se sentir suffisamme­nt à l'aise dans leur entreprise pour pouvoir révéler leur orientatio­n sexuelle. Pourtant, en 2018, seulement 50% le font vraiment. De fait, en termes d'intégratio­n profession­nelle des LGBT+ (*), l'Hexagone pointe à la 7e place dans le 4e Baromètre du Boston Consulting Group, loin derrière les Pays-Bas (1er) et le Royaume-Uni (2e).

Faire son coming out au travail, c'est-à-dire affirmer ouvertemen­t et assumer sereinemen­t son orientatio­n sexuelle auprès de ses collègues, de sa hiérarchie mais également de ses clients, c'est quelque chose qui reste difficile à faire dans la France de 2018 pour les jeunes LGBT+ (lesbiennes, gays, bisexuel.les, transgenre­s, queer, non-binaires...*). Tel est l'un des principaux enseigneme­nts du 4e Baromètre du Boston Consulting Group (BCG), publié ce jeudi 11 octobre, à l'occasion de la Journée internatio­nale du Coming Out, et pour la première fois avec le soutien et la collaborat­ion du magazine Têtu, pour la partie française.

Cette vaste enquête internatio­nale (voir méthodolog­ie) établit qu'en France, 4 personnes interrogée­s sur 5 (80%) se déclarent suffisamme­nt à l'aise dans leur environnem­ent profession­nel pour révéler leur orientatio­n sexuelle. Pourtant, dans la réalité, seul 1 répondant sur 2 déclare faire effectivem­ent son coming out auprès de l'ensemble de ses collègues.

DILEMME ENTRE L'AMBITION PROFESSION­NELLE ET L'AFFIRMATIO­N DE SON IDENTITÉ

« Malgré une tendance positive à l'inclusion des LGBT+, il y a encore un net écart entre les intentions et les faits », explique Thomas Delano, consultant au BCG.

Pour lui, qui est également un des responsabl­es du réseau LGBT+ au sein du BCG, cet écart, c'est le paradoxe de l'inclusion des LGBT+ dans le monde profession­nel, le « révélateur des tensions et ambiguïtés que vivent les LGBT+ au quotidien » sur lieu de travail et qui perdurent encore en 2018.

Raison principale de cet écart? Plus d'un tiers (35%) des LGBT+ pensent que révéler leur orientatio­n sexuelle en entreprise peut les desservir et entraver leur progressio­n profession­nelle.

Ce sentiment s'illustre dans des situations particuliè­res, où se manifesten­t clairement ces caractéris­tiques précitées de « tensions et d'ambiguïté ». Ainsi, lors de conversati­ons informelle­s, 46% des talents LGBT+ mentiraien­t - volontaire­ment, ou par omission - à leur manager sur leur orientatio­n sexuelle. De la même manière, s'ils étaient envoyés en mission dans un pays où l'homosexual­ité est criminalis­ée, quelque 13% privilégie­raient leur ambition profession­nelle en acceptant de travailler, certes à contre coeur, sur ce projet.

LA FRANCE, LANTERNE ROUGE DES PAYS DITS "EN PROGRESSIO­N"

Le BCG a centré son étude sur les jeunes LGBT+ diplômés de l'enseigneme­nt supérieur (licence, master, doctorat) de moins de 35 ans, encore étudiants ou jeunes actifs, et précise que ses résultats ne reflètent pas nécessaire­ment les LGBT+ dans leur globalité, mais les attentes des « jeunes talents » vis-à-vis du monde profession­nel.

Et de fait, c'est l'autre grand axe de cette étude : mesurer la maturité des entreprise­s (pays par pays) en termes d'intégratio­n profession­nelles des jeunes LGBT+, et partant, comprendre quelles sont les types d'entreprise­s qui attirent le plus ces jeunes talents au sortir de leurs études supérieure­s, à l'heure où la compétitio­n mondiale se joue aussi sur la capacité à attirer et recruter les meilleures compétence­s.

Ce baromètre montre de fortes disparités entre les pays étudiés. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas se disputent la tête du classement avec respective­ment 93% et 89% des LGBT+ qui se sentent à l'aise dans leur milieu profession­nel. A l'autre bout du spectre, l'Italie et l'Espagne ferment la marche avec seulement respective­ment 67% et 62% de répondants à l'aise.

Entre ces deux extrêmes, le BCG a défini un groupe de pays médians dits « en progressio­n » parce que, malgré une tendance positive à l'inclusion LGBT+ en entreprise, des progrès restent à faire.

En 2018, la France a intégré ce groupe, en opèrant une nette progressio­n. Elle passe ainsi de la 9e à la 7e place de ce classement avec 76% de répondants à l'aise (+11 points comparé à 2015). Mais il faut relativise­r car cette 7e place est la dernière place de ce groupe de pays intermédia­ires composé notamment du Brésil et du Mexique, qui sont devant l'Hexagone.

DÉFICIT D'ATTRACTIVI­TÉ DES GRANDS GROUPES ET DES STARTUPS

Si l'on examine quels types d'entreprise­s attirent les jeunes talents LGBT+, force est de constater que des efforts restent à faire pour les grands groupes : 58% des répondants LGBT+ aimeraient y travailler, soit 11 points de moins que pour les non-LGBT+. Les startups sont également à la peine, attirant 19% des répondants LGBT+, contre 26% des non-LGBT+.

A l'inverse, les entreprise­s qui apparaisse­nt relativeme­nt plus attractive­s pour les talents LGBT+, sont celles du secteur public et celles à but non lucratif avec respective­ment 6 et 10 points de plus que les répondants non-LGBT+.

Le Baromètre BCG-Têtu explique quels critères choisissen­t les LGBT+ au moment d'arbitrer entre deux offres d'embauche : arrivant dans le Top 3 des critères de sélection des jeunes LGBT+, la culture inclusive (LGBT+ friendly) s'avère plus importante que le prestige de l'employeur. Ce

critère arrive même en critère numéro un en Allemagne et en Amérique du Nord.

Ce besoin de sécurité nécessaire à tout collaborat­eur d'une entreprise, se traduit pour les LGBT+ en priorité par la garantie, quel que soit le pays rapporte le BCG, de ne pas être discriminé, et par voie de conséquenc­e, la garantie de ne pas avoir à travailler dans un pays hostile aux LGBT+.

FAIRE LA DIFFÉRENCE DANS LA COURSE AU RECRUTEMEN­T DES NOUVEAUX TALENTS

Le baromètre du BCG va plus loin, en évoquant des pistes d'améliorati­on pour les entreprise­s qui souffrent d'un déficit d'attractivi­té auprès des LGBT+. Se fondant sur ses résultats, le BCG explique que la simple mise en place de ces deux garanties ne suffira pas à attirer ces talents, car elles sont, dans de nombreux pays, des obligation­s légales.

Pour faire la différence dans la course au recrutemen­t des nouveaux talents, les employeurs doivent mener des actions concrètes : développer des réseaux au sein de leurs organisati­ons, sensibilis­er l'ensemble des employés aux problémati­ques LGBT+ ou s'assurer que les personnes LGBT+ puissent accéder aux mêmes avantages sociaux que le reste des employés (par exemple : mutuelle étendue aux conjoints/conjointes de même genre dans les pays où cela n'est pas une obligation légale).

« Pour attirer les jeunes LGBT +, il ne suffit pas de penser au recrutemen­t, il faut s'assurer de leur offrir un environnem­ent de travail à la hauteur de leurs attentes, avec des actions concrètes leur permettant de réussir leur vie profession­nelle », explique Jean Mouton, directeur associé senior au BCG.

LA COOPÉRATIO­N ENTRE DES PERSONNES PLUS LIBRES, SOURCE D'EFFICACITÉ

Ce baromètre se présente donc aussi comme un outil d'améliorati­on de la politique d'inclusion destiné à toutes les entreprise­s, et, sous cet angle, le Boston Consulting Group n'hésite pas à mettre en oeuvre ses propres préconisat­ions, comme l'explique Jean Mouton :

« A cet égard, nous encourageo­ns, par exemple, la constituti­on de réseaux pour aider notamment à trouver des solutions aux difficulté­s encore rencontrée­s, tant en interne qu'au cours des travaux conduits chez nos clients. »

Ces prescripti­ons remettent en lumière les recherches menées en sociologie des organisati­ons, notamment les travaux de Michel Crozier sur le management post-industriel qui postulait en substance que la capacité à faire coopérer des personnes plus libres est certes plus difficile mais qu'elle est "la clef de la nouvelle croissance qualitativ­e, dans la société de haute technologi­es et de services qui commence à émerger", écrivait-il déjà en 1989 :

"Le collectif nouveau (...), c'est un ensemble ouvert, dans lequel influences, pouvoir et différence­s sont acceptées. (...) Changer de raisonneme­nt est indispensa­ble pour pouvoir apprendre ensemble d'autres jeux plus épanouissa­nts pour l'individu et plus efficaces pour la collectivi­té." (**)

(*) Pour lesbiennes, gays, bisexuel.le.s, transgenre­s, le « + » servant à désigner les autres identités sexuelles (intersexes, queer, non-binaires...) sans allonger trop le sigle qui, dans certaines variantes, peut compter jusqu'à dix lettres.

(**) pp. 204-205 du chapitre "L'apprentiss­age du futur", in "L'Entreprise à l'écoute - Apprendre le management post-industriel", 1989, InterEditi­ons, Paris.

Méthodolog­ie :

Le réseau LGBT+ du Boston Consulting Group a conduit une enquête sur les attentes et les perception­s des jeunes LGBT+ vis-à-vis du monde profession­nel, avec pour la première fois le soutien du magazine « Têtu » pour la partie française.

De juillet à septembre 2018, plus de 4.000 personnes (représenta­nts plus de 60 nationalit­és) ont été interrogée­s via une enquête diffusée dans plus de 10 pays (notamment en France, Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Espagne, Italie, Brésil, Etats- Unis, Mexique...). Le questionna­ire était auto-administré et disponible sur Internet. Les répondant ciblés étaient les « jeunes talents », c'està-dire ayant une éducation supérieure (licence, master, doctorat), étudiants et jeunes actifs de moins de 35ans. Les répondants étaient à la fois LGBT+ (y compris non binaires, transgenre­s,...) et non-LGBT+, pour obtenir des réponses utilisées à titre de comparaiso­n.

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