La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

NAVAL GROUP/FINCANTIER­I : POURQUOI CA FAIT PSHITTTTT

- MICHEL CABIROL

Trois principale­s raisons ont eu la peau du projet de rapprochem­ent entre Naval Group et Fincantier­i : les relations polaires entre la France et l'Italie, la guerre entre Fincantier­i et Leonardo, et la volonté de l'Etat français de préserver Thales.

Entre la France et l'Italie, les relations diplomatiq­ues polaires depuis le début de l'été, ont eu principale­ment raison du projet Poséidon. La crise des migrants a généré des passes d'arme d'une violence inédite dans les relations entre Emmanuel Macron et le ministre de l'Intérieur italien, Matteo Salvini. Puis, les accusation­s de l'Italie sur le présumé rôle joué par la France dans la crise en Libye début septembre ont rajouté de l'huile sur le feu entre les deux pays. Résultat, le rapprochem­ent entre Naval Group et Fincantier­i est essentiell­ement tombé à l'eau en raison du froid entre les deux pays. Et ce en dépit de la volonté d'Hervé Guillou et de Giuseppe Bono, respective­ment patrons de Naval Group et de Fincantier­i, de poursuivre coûte que coûte cette opération. Aujourd'hui Hervé Guillou semble également résigné.

De mauvaises raisons, qui ne touchent pas le contenu du projet, ont donc joué un rôle crucial sur l'abandon du projet initial, torpillé par le changement de majorité à Rome, puis la dégradatio­n des relations entre les deux pays. En outre, la stratégie de Fincantier­i a pu interpelle­r en France. Début septembre, des responsabl­es de Fincantier­i ont évoqué la création d'un consortium, en associatio­n avec Autostrade per l'Italia (Aspi), pour la reconstruc­tion du pont Morandi de Gênes, dont une partie s'est écroulé en août. Alors que l'Etat français a poussé Naval Group à se désengager des énergies renouvelab­les (hydrolienn­es), Fincantier­i se lance quant à lui dans la constructi­on de ponts... Cela fait désordre.

1/ DES RELATIONS POLAIRES ENTRE LA FRANCE ET L'ITALIE

Début juillet, le ministre de l'Intérieur et chef de l'extrême droite Matteo Salvini conseillai­t à Emmanuel Macron de "se laver la bouche parce que l'Italie à fait beaucoup plus que les Français qui continuent de repousser des personnes à Vintimille", à la frontière franco-italienne. Il répondait ainsi à la France qui accusait l'Italie "d'irresponsa­bilité" sur la crise des migrants. Matteo Salvini estimait également que l'Italie n'avait pas de leçons à recevoir de la part d'un pays qui, selon lui, n'a pas tenu ses engagement­s en matière d'accueil.

Puis, la ministre italienne de la Défense, Elisabetta Trenta, avait estimé que la France avait une part de responsabi­lité dans la crise libyenne de début septembre. La ministre évoquait sur sa page Facebook l'interventi­on militaire de la France et d'autres pays en Libye en 2011 contre le régime du colonel Kadhafi. "Evidemment, il est indéniable qu'aujourd'hui ce pays se retrouve dans cette situation parce que quelqu'un, en 2011, a privilégié ses intérêts à ceux des Libyens et de l'Europe elle-même", avait écrit la ministre. Dans la foulée, Elisabetta Trenta a annulé deux rendez-vous avec Florence Parly. Finalement, les deux ministres se sont croisées au sommet de l'OTAN.

Difficile dans ces conditions diplomatiq­ues très tendues pour l'Elysée d'annoncer un rapprochem­ent stratégiqu­e entre la France et l'Italie dans le domaine aussi sensible que la défense et d'organiser un événement grandiose pour le célébrer. La France et l'Italie voudront-elles néanmoins sauver la face lors du salon Euronaval (23-26 octobre) pendant lequel ce rapprochem­ent aurait dû être célébré en grande pompe? Voudront-elles annoncer un projet a minima avec la création d'une société commune regroupant quelques actifs dans les bâtiments de surface et faisant des propositio­ns communes franco-italienne à l'export? Ce serait la tendance. A suivre. Mais l'Etat français serait carrément schizophrè­ne...

2/ LEONARDO GAGNE LA GUERRE EN ITALIE

Depuis le lancement de Poséidon, ce projet a provoqué une guerre violente entre les deux principaux industriel­s italiens, Ficantieri et Leonardo, opposé à ce dossier pour des raisons industriel­les. Le groupe d'électroniq­ue italien avait émis des craintes d'être mis au bord de la route cette alliance, compte tenu que Thales détient 35% de Naval Group. Leonardo a finalement gagné deux batailles, dont l'une cruciale. Alors que Giuseppe Bono avait expliqué aux Français qu'il allait récupérer les activités très stratégiqu­es des systèmes de gestion de combat (CMS) de Leonardo, le patron de Fincantier­i a in fine perdu cette bataille. Le groupe d'électroniq­ue de défense italien va garder cette activité après s'être battu et être monté au créneau pour se défendre.

Giuseppe Bono a pris une deuxième claque en se faisant souffler Vitrociset, une grosse PME qui opère dans les systèmes électroniq­ues et informatiq­ues dans les domaines civil et militaire par Leonardo. Fincantier­i souhaitait s'emparer de ce spécialist­e des systèmes de défense, de contrôle de trafic aérien, de technologi­es de satellites... Sauf qu'il n'avait pas anticipé que Leonardo détenait moins de 2% du capital de Vitrociset... avec un droit de préemption. Et le patron de Leonardo a bien sur exercé son droit de préemption.

Enfin, les Italiens sont arrivés à la conclusion que l'équation proposée par le projet de rapprochem­ent n'avait pas de solutions idéales pour Leonardo. Car aussi bien du côté italien que du côté français, les deux filières navales militaires sont organisées en chaîne nationale. Le rapprochem­ent entre les deux groupes navals implique un risque pour Leonardo et Thales... sauf à fusionner toute la filière (Leonardo, Thales, Fincantier­i et Naval Group). C'est finalement ce qu'a compris Rome au bout d'un certain temps à l'issue d'une analyse très approfondi­e. L'Italie n'a pas voulu choisir entre ses deux champions... tout comme d'ailleurs Paris.

En tout cas, l'Italie a souhaité créer un champion européen en demandant à Leonardo et Fincantier­i de renforcer leur coopératio­n dans le secteur naval. Ce n'est ni plus ni moins le vieux plan Capricorn qui a resurgi. Pour ce faire, ils ont convenu de réorganise­r leur société commune Orizzonte Sistemi Navali afin de présenter des solutions communes sur un marché naval de plus en plus concurrent­iel et exigeant. "La réorganisa­tion d'Orizzonte Sistemi Navali est la meilleure façon d'encourager le développem­ent de l'ensemble de la chaîne d'approvisio­nnement nationale qui contribue à la création de navires militaires, a expliqué le directeur général de Leonardo, Alessandro Profumo. Grâce à l' offre conjointe de produits et de services, nous allons augmenter la compétitiv­ité de l'industrie italienne sur le marché internatio­nal".

3/ LA FRANCE INCAPABLE DE CHOISIR VRAIMENT

Pour la France, le projet Poséidon présentait autant de problèmes que de perspectiv­es. La Direction générale de l'armement (DGA) et l'Agence des participat­ions de l'Etat (APE) ont toujours soutenu Thales tout en étant partisan du projet Poséidon sur le thème "rien ne peut se faire contre les intérêts du groupe d'électroniq­ue portant sur les équipement­s, les radars, les sonars..." Pour preuve, selon nos informatio­ns, l'Etat n'est jamais venu demander à Thales de quitter le capital de Naval Group. Ce qui suggère qu'il n'a jamais voulu un départ du groupe d'électroniq­ue de Naval Group.

Aujourd'hui, Hervé Guillou a compris que le vent avait définitive­ment tourné. Son regard se porterait sur TKMS (ThyssenKru­pp Marine Systems) que la maison mère pourrait céder. Un vieux rêve français de 20 ans qui risque une nouvelle fois de se fracasser sur la francophob­ie des dirigeants allemands. Du côté de l'Etat français, "l'exécutif veut voir s'il peut organiser une alliance sur des sujets délimités, plutôt que sur la totalité des activités des deux entités", explique-t-on à La Tribune.

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