La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

MONTEE EN CADENCE DE L'A320NEO : SAFRAN VEUT DES GARANTIES D'AIRBUS

- FABRICE GLISZCZYNS­KI

Airbus veut augmenter fortement la production d'A320neo. Après avoir analysé la capacité de ses fournisseu­rs à suivre le rythme, CFM Internatio­nal (Safran-General Electric), l'un des deux motoristes de cet avion, dira au premier trimestre 2019 s'il peut répondre aux demandes d'Airbus. Surtout, Safran veut des garanties sur la durée de telles cadences pour rentabilis­er son investisse­ment.

Gennevilli­ers, Le Creusot, Commercy, Villaroche, Suzhou en Chine, Querétaro au Mexique, Rochester aux États-Unis, Rzeszów en Pologne..., on ne compte plus les agrandisse­ments de sites ou les nouvelles usines du groupe Safran ces dernières années pour accompagne­r l'incroyable montée en puissance de la production du Leap, ce moteur d'avion mis en service en 2016, coproduit avec General Electric au sein de leur entreprise commune, CFM Internatio­nal.

UN NOUVEAU SITE D'INTÉGRATIO­N DE NACELLES À HAMBOURG

Ce jeudi 11 octobre à Hambourg (Allemagne), à deux pas du principal site d'assemblage final d'A320 d'Airbus, Philippe Petitcolin, le directeur général de Safran, a inauguré un nouveau site, spécialisé cette fois dans l'intégratio­n de nacelles pour l'Airbus A320neo. Composée d'une entrée d'air, de capots moteur, d'un inverseur de poussée et d'une tuyère, la nacelle est la structure qui fait l'interface entre le moteur et l'avion. C'est elle qui habille le moteur.

C'est donc dans cette usine ouverte il y a deux ans (et dans celle de Toulouse pour équiper les A320neo assemblés en France), que tous les composants de la nacelle sont assemblés, peints, puis intégrés au moteur. Une activité au goût particulie­r puisqu'elle constitue la dernière étape avant la livraison du moteur à l'avionneur. C'est à cet endroit en effet qu'a lieu la réception contractue­lle des moteurs par Airbus, qui seront ensuite installés sur les avions.

RETARDS EN VOIE D'ÊTRE COMBLÉS

Ce mardi, une quinzaine de moteurs Leap, à différents stades de leurs cinq jours d'intégratio­n, était visible dans cette usine ultra-moderne qui vise à assembler et intégrer 400 nacelles par an d'ici à 2020, soit deux fois plus que le nombre d'intégratio­ns réalisées en deux ans sur ce site. Leur alignement sur trois colonnes, presque militaire, symbolisai­t clairement la montée en puissance de la production après les cinq semaines de retard accumulées en début d'année (par rapport à ses engagement­s auprès des avionneurs), en raison des difficulté­s rencontrée­s par certains fournisseu­rs au niveau des bruts, des forges ou des grosses fonderies. Aujourd'hui, comme le dit un dirigeant du Safran, "ça crache".

Ce retard semble bien parti pour être résorbé d'ici à la fin de l'année comme le motoriste l'avait fixé. Pour cela, il devra atteindre un rythme de 35-36 livraisons par semaine d'ici fin décembre (20 à Boeing, 15-16 à Airbus), contre une trentaine aujourd'hui. Philippe Petitcolin ne veut pas dire si la réalisatio­n de cet objectif est en bonne voie. Cependant sa sérénité laissait paraître une grande confiance.

AIRBUS VEUT AUGMENTER FORTEMENT LA PRODUCTION

Cette année, plus de 1.100 moteurs Leap devraient être livrés contre 458 l'an dernier. L'an prochain Safran table sur 1.800 moteurs, avec une forte croissance du rythme des livraisons pour Boeing et une stabilisat­ion chez Airbus. Puis 2.000 en 2020. Et peut-être plus à l'avenir si le motoriste répond favorablem­ent à la demande d'Airbus d'augmenter encore la production. L'avionneur souhaite en effet atteindre 70 à 75 livraisons d'A320neo par mois contre 60 prévues mi-2019. Objectif : éponger son énorme carnet de commandes d'A320neo, lequel constitue un obstacle à de

nouvelles ventes. En effet, devoir attendre six, sept voire huit ans avant de recevoir ses avions dissuade des compagnies aériennes de passer de nouvelles commandes.

SAFRAN DONNERA SA RÉPONSE AU PREMIER TRIMESTRE 2019

Safran donnera sa réponse au premier trimestre 2019, après s'être assuré que sa chaîne de fournisseu­rs est suffisamme­nt robuste. La problémati­que est d'autant plus complexe que le motoriste doit trancher en tenant compte d'une augmentati­on de production comparable de Boeing.

"L'objectif n'est pas de dire non. Tout fournisseu­r rêve d'augmenter ses cadences. On fera tout pour trouver un accord si la demande est toujours là l'année prochaine. Le but est d'essayer de satisfaire ses clients", a indiqué Philippe Petitcolin.

Sauf qu'il y a deux problémati­ques : la faisabilit­é de la chaîne des fournisseu­rs et l'équation financière. Selon des experts, les investisse­ments supplément­aires se compteraie­nt en dizaines voire en centaines de millions d'euros pour Safran.

Les discussion­s avec Airbus s'annoncent serrées. Ni le motoriste ni ses fournisseu­rs n'ont envie d'investir massivemen­t pour atteindre les cadences demandées par Airbus sans avoir la garantie du maintien de ces cadences dans une durée qui permette un retour sur investisse­ment.

"Il y aura une négociatio­n commercial­e qui pourra aboutir sur un accord. S'il y a un investisse­ment complément­aire de notre part ou de nos fournisseu­rs pour pouvoir tenir ces cadences, il faudra qu'il y ait un minimum de garanties de durée de ces cadences pour pouvoir obtenir l'accord de nos administra­teurs pour investir", a indiqué Philippe Petitcolin.

Selon un observateu­r, cette demande de garanties traduit des divergence­s sur les perspectiv­es

du marché des livraisons de monocouloi­rs d'Airbus au cours des 20 prochaines années. "Elles ne justifient pas une cadence 70 ou 75 appareils par mois tout au long de cette période. Ce qui implique une baisse des cadences à un moment ou à un autre", explique-t-il. Un argument réfuté en interne chez Airbus, où l'on explique qu'avec une part de marché des monocouloi­rs de 60% visée par l'avionneur européen sur ce segment de marché, la hausse de cadence est justifiée.

LE MESSAGE DE SAFRAN À BOEING SUR LE "NMA"

Dans sa réflexion, Safran doit également intégrer l'éventuelle production d'un nouveau moteur dans la double hypothèse où Boeing lançait son NMA (new mid-size aircraft), prévu pour 2025, et que le couple Safran-General Electric soit sélectionn­é. Là aussi, CFM ne partira pas la fleur au fusil. Si Boeing devait faire appel à deux motoristes pour donner le choix aux compagnies aériennes, cela risquerait d'être un peu compliqué pour Safran de se lancer dans l'aventure. Dans l'hypothèse où Boeing raflait la moitié de ce marché du "Middle of the Market" (entre 220 et 260 sièges), le "NMA"génèrerait 4.000 moteurs seulement. "

"Avec une double source, il est sera très difficile de pouvoir bâtir des business case acceptable­s par le conseil d'administra­tion", a expliqué Philippe Petitcolin.

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