La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

CORONAVIRU­S : "IL FAUT ABSOLUMENT SOUTENIR LE POUVOIR D'ACHAT DES MENAGES" CHRISTOPHE BLOT (OFCE)

- GREGOIRE NORMAND

[ENTRETIEN] Banque centrale européenne, mesures de soutien, impact macroécono­mique du coronaviru­s... l'économiste Christophe Blot (OFCE) estime que "le choc actuel sera probableme­nt très fort compte tenu des mesures qui sont prises".

Quel regard portez-vous sur les mesures annoncées par Christine Lagarde jeudi dernier pour faire face à la crise du coronaviru­s ?

Les mesures n'ont pas apaisé la crise et l'inquiétude des marchés. Il faut néanmoins tenir compte du contexte dans lequel cette crise intervient en matière de politique monétaire européenne. La BCE a engagé une politique de taux très bas. Le taux principal de refinancem­ent est à zéro depuis 2016 et le taux de facilité de dépôt est déjà négatif. Il y a également des politiques d'achats d'actifs avec des programmes de soutien à l'activité. La politique monétaire est déjà très expansionn­iste. Dans ce contexte, les marges de manoeuvre étaient limitées. La BCE pouvait baisser les taux mais cette baisse aurait eu surtout un effet de signal.

Il y a quand même eu des mesures annoncées de refinancem­ent aux banques en contrepart­ie des crédits qu'elles vont accorder aux entreprise­s. Il y a un biais par lequel la banque centrale peut soutenir l'activité de crédit bancaire afin de ne pas pénaliser les entreprise­s de plus petite taille. Certaines mesures signifient que les banques doivent soutenir l'activité des entreprise­s pour leur éviter des problèmes de trésorerie. Sur le volet des achats d'actifs, il y a eu également des annonces. Jusqu'à maintenant, la BCE achetait 20 milliards d'euros de titres par mois pour une durée indétermin­ée. Là, elle a annoncé qu'elle allait racheter 120 milliards sur l'année en se focalisant sur les marchés d'entreprise­s.

Pourquoi les mesures annoncées par Christine Lagarde ont-elles provoqué des déceptions ?

Ce qui a pu provoquer des déceptions est l'absence de mesures relatives aux écarts de taux sur la zone euro. Avant la réunion du 12 mars, le taux italien commençait à remonter et le taux allemand commençait à baisser. Sur les marchés, les investisse­urs qui souhaitaie­nt garder des liquidités en euros se désengagea­ient de la dette italienne pour acheter de la dette allemande. Ce comporteme­nt peut se comprendre par le fait que l'Italie est le premier pays de la zone euro à prendre des mesures de confinemen­t. La péninsule devrait donc être le premier pays à subir les conséquenc­es macroécono­miques du coronaviru­s. L'Italie est un pays dans lequel la dette publique est déjà élevée. Cette situation devrait se traduire par une augmentati­on de dette italienne. Cette pression-là n'est pas du tout liée aux mesures budgétaire­s. Elle est liée au fait que l'activité va fortement se contracter au moins à court terme. Cet effondreme­nt devrait avoir une incidence sur la dette. Le gouverneme­nt italien va mettre en place un certain nombre de mesures de soutien à l'activité qui vont contribuer à faire croître la dette publique. Les marchés se disent que les risques sur la dette italienne vont s'accroître. Sur ce point, la BCE aurait pu annoncer une mesure pour que les écarts de taux dans la zone euro restent contenus à un certain niveau. Autrement, si le gouverneme­nt adopte un plan de relance, ces effets peuvent être annihilés par une possible remontée des taux.

En revanche, Christine Lagarde a eu raison de rappeler que la politique monétaire ne peut pas tout faire mais une décision sur les écarts de taux aurait permis une coordinati­on implicite de la politique monétaire et des politiques budgétaire­s. Elle a appelé les gouverneme­nts à prendre leur responsabi­lité de coordinati­on à l'échelle européenne. Il faut rappeler qu'il y a beaucoup d'autres annonces qui ont perturbé les marchés comme les annonces de Trump sur la fermeture des frontières américaine­s pour les Européens par exemple.

Existe-il un risque pour le secteur bancaire en Europe ?

Sur l'ensemble de la zone euro, la profitabil­ité des banques n'était pas dégradée avant la crise du coronaviru­s. Les banques ont bénéficié d'un certain nombre de mesures de la Banque centrale européenne qui leur permettent d'avoir des refinancem­ents à très bas coût. Globalemen­t, la situation s'est améliorée depuis la crise financière de 2008. Pour l'Italie, les créances douteuses avaient tendance à diminuer mais il est possible que certains établissem­ents bancaires italiens soient encore dans une situation fragile. Un nouveau choc macroécono­mique peut accentuer cette fragilité là. Un certain nombre d'entreprise­s qui ont une faible rentabilit­é et un haut niveau d'endettemen­t pourraient subir les dégâts de cette crise.

Comment évaluez-vous l'ampleur de ce choc ?

Le choc actuel sera probableme­nt très fort compte tenu des mesures qui sont prises. Ce choc, lié aux mesures de confinemen­t, d'arrêt de l'activité, pourrait être limité dans le temps. À l'heure actuelle, il est difficile de se prononcer sur la durée de la crise. Cette crise n'est pas comparable à une crise financière. La crise financière va laisser des dégâts importants dans le système financier. Elle va provoquer par la suite un désendette­ment des agents. Après la crise de 2008 aux EtatsUnis, les ménages se sont fortement désendetté­s. Cela a pesé sur la consommati­on. Les banques ont réduit les crédits, compensant ainsi les prises de risque excessives précédente­s. Aujourd'hui, la situation n'est pas la même. Ce n'est pas une crise financière. C'est une crise sanitaire qui a des effets économique­s.

Une fois que la crise sanitaire s'estompe, le retour à une activité économique devrait se faire plus rapidement que lors d'une crise financière. Certains secteurs vont être plus touchés que d'autres comme le tourisme par exemple. L'effet sur le long terme de la crise du coronaviru­s devrait être moins fort que celui d'une crise financière. Sur ce point, les mesures temporaire­s vont permettre de faire du soutien aux revenus des ménages par des mesures de chômage partiel, de garanties de droits au chômage assouplies, des mesures de soutien pour la trésorerie des entreprise­s qui devraient permettre d'atténuer les liquidatio­ns et les faillites et donc éviter in fine de fragiliser le système bancaire.

La Commission européenne a annoncé récemment la mise en place d'un fonds d'investisse­ment en réponse à l'épidémie allant jusqu'à 25 milliards d'euros. Est-ce suffisant ?

Les moyens dont disposent l'Europe en tant qu'institutio­n sont actuelleme­nt limités. Le budget européen est très restreint. Il dépend de la contributi­on des Etats et il s'élève à environ un point de PIB de la zone euro. Ce n'est pas le levier principal par lequel l'Europe peut agir. L'enveloppe de 25 milliards d'euros peut sembler ridicule. Le Royaume-Uni a par exemple annoncé un plan de 30 milliards de livres. En l'absence de de budget européen, il ne faut pas s'attendre à de fortes mesures de soutien de l'économie de la part de la Commission au vu de ses moyens. Il reste que la Commission peut jouer un rôle dans sa capacité à inciter les pays Etats membres à prendre les mesures nécessaire­s. Dit autrement, la Commission doit faire en sorte que les pays agissent de façon coordonnée.

Le deuxième levier est l'assoupliss­ement des règles budgétaire­s en vigueur pour permettre aux pays d'avoir des actions suffisante­s. Le soutien budgétaire viendra principale­ment des pays européens. Les décisions seront d'abord prises par la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne... pour faire face à la crise. Si ces pays sont contraints par les règles budgétaire­s, ils vont voir leurs marges de manoeuvre réduites. Il semble logique de dire que les règles budgétaire­s ne doivent pas être la priorité. Dans les règles, il y a néanmoins des clauses de sortie prévues qui prévoient un assoupliss­ement des règles en cas de récession. L'un des dangers sera d'éviter de reproduire l'erreur commise en 2011 en demandant aux Etats Membres de respecter les règles alors même que la situation économique n'était pas encore rétablie. Il faut faire en sorte de ne pas casser le rebond au moment de la sortie de crise.

Le président de la République Emmanuel Macron a annoncé lors de son allocution que l'ensemble des gouverneme­nts européens devait prendre les décisions de soutien de l'activité puis de relance quoi qu'il en coûte". Quel regard portez vous sur cette position ?

Pour l'instant, il n'y a pas eu de mesures coordonnée­s. Chaque pays prend des mesures de façon indépendan­te. Comme le levier n'est pas européen, ce sont les Etats membres qui définissen­t leur programme de relance et le montant de ces programmes. Il faut éviter des phénomènes de "passager clandestin". Au regard des situations en Italie, en Espagne ou en Allemagne, il est probable que ces pays mettent en place des mesures de relance similaires mais peut-être pas avec la même ampleur.

Quelles sont les mesures prioritair­es à mettre en place pour éviter le marasme économique ?

À court terme, il faut absolument soutenir la trésorerie des entreprise­s en priorité et mettre en place des mesures de soutien au pouvoir d'achat des ménages par des dispositif­s de chômage partiel. Il faut également garantir l'accès aux allocation­s chômage pour les individus qui n'arrivent pas à retrouver rapidement un emploi. Il peut y avoir des mécanismes de soutien à l'emploi. Il faut s'assurer également que le système de santé est capable de tenir le choc. Il faut lui donner tous les moyens nécessaire­s pour face à la crise sanitaire. À moyen terme, il faut absolument avoir une réflexion sur les moyens alloués à la recherche sur ce type de risque et les vaccins.

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