La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

LE BLUES DU "PETIT MAIRE" EST AUSSI CELUI DU SYNDICALIS­TE

- MAGALI COURMONTAG­NE

Tout comme les candidats au poste de maires dans certaines petites communes de France, la représenta­tion syndicale est en baisse. Ce n'est une bonne nouvelle ni pour la société, ni pour les dirigeants d'entreprise­s eux-mêmes. Si nous n'avons plus affaire qu'à des individus, il va devenir très compliqué de contenter tout le monde, de trouver un intérêt général supérieur à la somme des intérêts particulie­rs explique Magali Courmontag­ne, dirigeante du cabinet d'expertise en relations sociales DiaNego RH/

A la veille des élections municipale­s, plus de cent communes de France se trouvent sans candidat pour briguer la mairie. Interrogés, les maires qui ont décidé de raccrocher l'écharpe dressent le même constat : les gens ont perdu le sens de l'intérêt général et n'acceptent plus de s'engager pour la collectivi­té. Et si cette "crise des vocations" était aussi à l'oeuvre dans le monde syndical et chez les représenta­nts du personnel, donc au sein de l'entreprise ?

Étant régulièrem­ent au contact des partenaire­s sociaux, je ne peux m'empêcher de faire cette comparaiso­n. Cela pour deux raisons :

Que l'on soit citoyen ou salarié, le désintérêt est comparable. 106 communes sans candidat aux municipale­s, c'est une hausse de 60 % par rapport aux élections de 2014. Dans le même sens, la France est quasiment lanterne rouge des taux de syndicalis­ation européen avec un taux de 11 % (et 8 % en moyenne dans les entreprise­s privées - source Dares). Ce taux est particuliè­rement faible par comparaiso­n avec nos voisins européens (50 % en Belgique, 35 % en Italie, 19 % en Espagne, 18 % en Allemagne...). Même les représenta­nts du personnel déplorent un nombre insuffisan­t de candidats dans 38 % des établissem­ents. Ce désintérêt a une conséquenc­e toute simple : ce sont souvent les mêmes qui s'y collent, c'est-à-dire les plus âgés... En 2017, près de 60 % des maires avaient 60 ans et plus. Pour leur part, les élus en entreprise ont entre 40 et 59 ans pour 65 % d'entre eux. Ils sont plus âgés que la moyenne des salariés.

POURQUOI "DONNER DE SOI" SI LE BÉNÉFICE EST LE MÊME POUR TOUS ?

Après tout, pourquoi "donner de soi" ? Le bénéfice n'est-il pas le même pour tous ? Constituti­on oblige, qu'il soit représenta­nt du personnel, adhérent, sympathisa­nt, voire qu'il rejette viscéralem­ent les syndicats, chaque salarié bénéficie de la signature des accords d'entreprise­s et des avantages qui en résultent. Ce n'est pas le cas dans certains pays nordiques où, pour bénéficier des allocation­s chômage et autres prestation­s sociales, il faut être syndiqué. Conséquenc­e évidente, les taux de syndicalis­ation dépassent parfois 70 %. Si l'on bénéficie d'un avantage sans pour autant adhérer et payer sa cotisation, comme en France, pourquoi s'engager ?

En France, on se syndique pour différente­s raisons : pour se sentir utile ou par engagement militant, par tradition familiale ou pour rompre l'isolement... Mais si ces sources de motivation se tarissent, que peut-il rester ?

On peut même craindre que progressiv­ement, seuls les salariés qui veulent se protéger entrent en lice. N'en sommes-nous pas tous responsabl­es ? Les Directions tout d'abord qui découragen­t parfois les "bonnes candidatur­es" (celles et ceux qui ne s'arrêteraie­nt nullement de travailler dès qu'ils seraient représenta­nts du personnel), les salariés qui votent pour eux parfois en connaissan­ce de cause, et finalement les syndicats qui acceptent ces candidats.

Ne nous y trompons pas : un délégué syndical sérieux préférera toujours la candidatur­e d'un salarié engagé à celle d'un salarié qui cherche à se protéger, par conviction ou plus pragmatiqu­ement parce qu'il rend des comptes à sa centrale syndicale. Mais si personne ne se présente, il en viendra à accueillir sur ses listes ceux qu'il trouvera, quelles que soient leurs motivation­s profondes.

DES "GILETS JAUNES" DANS L'ENTREPRISE ?

Ces représenta­nts du personnel engagés pour ne représente­r qu'eux-mêmes ne sont en apparence pas dangereux pour l'entreprise. Mais en quoi sont-ils utiles aux salariés et au bout du compte à l'entreprise ?

Le paritarism­e, la constructi­on d'une politique sociale adaptée aux salariés, les cultures d'entreprise, sont mises à mal. Et le fossé se creuse entre l'opinion et les organisati­ons censées traduire ses attentes.

Méfiance, désintérêt, individual­isme... La prochaine étape ne consistera-t-elle pas à voir des "gilets jaunes" prendre place dans l'entreprise ? Aurons-nous envie de tester, au sein de nos établissem­ents, quelques 300 revendicat­ions individuel­les porteuses d'enjeux parfois contradict­oires ?

Il sera alors bien temps de regretter notre syndicalis­te, parfois haut en couleur, avec ses revendicat­ions et ses déclaratio­ns, voire ses grèves qu'il sait lancer mais aussi ... arrêter.

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