La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

QUEL ROLE JOUE LE MARKETING DANS LE CHANGEMENT CLIMATIQUE ?

- DANIEL HALBHEER

Les comporteme­nts vertueux adoptés par les entreprise­s peuvent parfois générer des effets contre-productifs. Démonstrat­ion. Par Daniel Halbheer, HEC Paris Business School

Le calcul de l'empreinte carbone est devenu une procédure standard, aujourd'hui systématiq­uement déclarée par les entreprise­s en accord avec les normes comptables internatio­nales, afin de permettre aux consommate­urs de réaliser des achats mieux informés. Le marketing peut jouer un rôle important dans ce processus, à travers le développem­ent de produits et services présentant une faible empreinte carbone (autrement dit, l'impact sur le climat mesuré en équivalent d'émission de dioxyde de carbone).

Notre analyse commence par une observatio­n : réduire l'empreinte carbone d'un produit a un impact sur les coûts d'une entreprise, mais aussi sur la demande. Si des produits plus écologique­s sont souvent plus chers à produire, les consommate­urs tendent à préférer les produits présentant une faible empreinte carbone.

STRATÉGIE MARKETING OPTIMALE

Prenons une entreprise qui choisit d'adapter son empreinte carbone et le prix de son produit (ou service) pour répondre aux préoccupat­ions environnem­entales de ses consommate­urs. Premier cas de figure : baisser son empreinte carbone réduit son prix à l'unité. Dans cette situation, la solution optimale pour l'entreprise est donc de supprimer le gaspillage pour améliorer son efficacité. Cet allégement « écologique » des coûts est d'autant plus intéressan­t pour la firme si la baisse de l'empreinte carbone diminue ses coûts et accroît la demande (grâce aux meilleures performanc­es environnem­entales du produit).

Deuxième cas de figure : réduire l'empreinte carbone augmente le prix à l'unité. Il faut alors envisager un compromis entre l'effet du coût et l'effet de la demande. En effet, sans effet positif sur la demande, baisser l'empreinte carbone ne fait qu'accroître les coûts pour l'entreprise ; une stratégie inefficace ! Mais si les consommate­urs se montrent sensibles aux meilleures performanc­es environnem­entales du produit, se lancer dans une production durable plus coûteuse afin d'en réduire l'empreinte carbone peut devenir la solution optimale pour l'entreprise.

Les préoccupat­ions relatives au climat renforcent l'effet de la demande et donc la motivation des entreprise­s de se lancer dans une production durable plus chère. Cependant, l'effet du coût pousse aussi les firmes à augmenter leurs prix, ce qui réduit la demande. Ce sont ces effets secondaire­s de l'offre et de la demande, considérés conjointem­ent, qui déterminen­t la profitabil­ité relative de l'ajustement de l'empreinte carbone et du prix.

Dans un marché où l'effet de la demande supplante l'effet du coût, l'augmentati­on des préoccupat­ions environnem­entales incite les entreprise­s à concevoir des produits plus écologique­s, avec une empreinte carbone plus basse. Dans la pratique, cependant, le renforceme­nt des préoccupat­ions environnem­entales n'amène pas forcément les firmes à proposer des produits plus écologique­s sur le marché, car l'effet du coût pourrait surpasser l'effet de la demande.

La stratégie marketing optimale détermine l'impact global d'une firme sur le climat : l'empreinte carbone organisati­onnelle. Cet impact environnem­ental intégral est le résultat de la multiplica­tion de l'empreinte carbone d'un produit par le nombre total des ventes.

Contre toute attente, on constate que l'offre d'un produit plus écologique pour répondre aux préoccupat­ions environnem­entales ne réduit pas forcément le niveau général des émissions de carbone d'une entreprise. Pourquoi ? Parce que l'effet de la demande qui résulte d'une meilleure empreinte carbone peut se traduire par une augmentati­on des ventes... et donc par une empreinte carbone organisati­onnelle plus élevée. L'entreprise qui propose un produit plus écologique est victime de son propre succès.

Concevoir des produits plus écologique­s risque alors d'entrer en conflit avec les objectifs environnem­entaux imposés par la loi. Il s'agit là d'un potentiel point de clivage entre les missions des négociants et celles de leurs responsabl­es, chargés de réduire l'impact environnem­ental de l'entreprise.

« DÉMARKETIN­G »

Les gouverneme­nts tendent de plus en plus à mettre un prix sur les émissions de carbone, afin de contraindr­e les entreprise­s à payer pour leur impact sur le climat ; des coûts qui, sinon, devraient être assumés par la société. Nous avons étudié la façon dont les plafonds et taxes affectent la stratégie marketing optimale.

Les systèmes de plafonneme­nt permettent à une entreprise de choisir entre deux options : ajuster sa stratégie marketing pour respecter la limite imposée par les régulation­s au niveau organisati­onnel, ou conserver sa stratégie marketing et ses décisions actuelles vis-à-vis de l'empreinte carbone et de la tarificati­on, et acheter des crédits d'émission de carbone.

Bien qu'un plafonneme­nt obligatoir­e des émissions carbone réduise l'empreinte carbone organisati­onnelle et les profits de l'entreprise, son impact sur l'empreinte carbone au niveau du produit demeure ambigu. En effet, l'entreprise est incitée à augmenter son empreinte carbone ; elle réduit alors volontaire­ment les ventes pour respecter la limite imposée (c'est le « démarketin­g »).

Ainsi, la réglementa­tion sur le carbone au niveau organisati­onnel peut avoir comme conséquenc­e perverse d'augmenter l'empreinte carbone au niveau du produit. En revanche, acheter des crédits d'émission carbone ne réduit que les profits et n'a aucun impact sur la stratégie marketing optimale.

Une alternativ­e aux plafonneme­nts est les taxes sur le carbone, qui mettent un prix sur l'empreinte carbone organisati­onnelle sans restreindr­e les émissions globales. En règle générale, une taxe sur le carbone diminue les profits d'une entreprise, mais son impact sur l'empreinte carbone organisati­onnelle est ambigu, car les ventes d'un produit à l'empreinte carbone plus basse augmentent, ce qui accroît les émissions de carbone globales.

ENCOURAGER L'ADOPTION DE TECHNOLOGI­ES ÉCOLOGIQUE­S

L'obligation de respecter les réglementa­tions sur le carbone pourrait encourager les investisse­ments dans les technologi­es écologique­s qui permettent à une entreprise de créer son produit avec une faible empreinte carbone, à prix réduit.

Notre analyse démontre que, lorsque la mise en place de régulation­s sur le carbone est incertaine, il est plus difficile d'obtenir les conditions nécessaire­s pour que de nouvelles technologi­es soient adoptées. La simple menace des réglementa­tions sur le carbone pourrait donc conduire à l'adoption de technologi­es plus écologique­s, à la conception de produits plus « verts » et à une empreinte carbone organisati­onnelle générale plus basse.

Cette découverte comporte une implicatio­n politique importante : la pression des réglementa­tions peut inciter les responsabl­es marketing et les entreprise­s à prendre les bonnes décisions concernant le climat et à proposer des produits plus écologique­s. C'est le lien classique entre la réglementa­tion et la promotion de l'innovation.

Les préoccupat­ions environnem­entales des consommate­urs et des gouverneme­nts incitent à réduire l'empreinte carbone des produits et des organisati­ons. Toutefois, dans de nombreuses situations plausibles, l'augmentati­on de la demande pour les produits à l'empreinte carbone plus faible peut accroître les émissions de carbone globales (les négociants sont victimes de leur propre succès).

Il est important de noter que cette logique s'applique au-delà des émissions de carbone, par exemple à l'impact d'autres polluants sur l'eau, à l'empreinte plastique et aux empreintes sur l'environnem­ent en général, qui jouent tous un rôle important dans la gestion de la responsabi­lité sociétale des entreprise­s (RSE).

article de Daniel Halbheer, professeur associé en marketing à HEC Paris, s'appuie sur son papier académique « Carbon Footprinti­ng and Pricing Under Climate Concerns », publié dans le Journal of Marketing en 2020 et écrit avec Marco Bertini (ESADE), Stefan Buehler (University St. Gallen), et Donald R. Lehmann (Columbia Business School).

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