La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

LE VRAI POUVOIR, LE SEUL QUI COMPTE : CELUI DES NOUVEAUX MONARQUES

- MICHEL SANTI (*)

OPINION. Les patrons des Gafam sont des monarques qui détiennent quasiment le droit de vie et de mort sur leurs sujets abonnés et utilisateu­rs... alors même qu'ils ne sont soumis à strictemen­t aucun contrôle démocratiq­ue. À quand la mise en place de contre-pouvoirs ? (*) Par Michel Santi, économiste.

Les actions d'Apple, d'Amazon, d'Alphabet, de Microsoft et de Facebook - qui sont également les 5 capitalisa­tions les plus importante­s des États-Unis d'Amérique - ont grimpé de l'ordre de 40 % cette année, tandis que toutes les autres actions dites « traditionn­elles », représenté­es par l'indice S&P 500, ont baissé de 6% sur cette même période.

Voilà plus de 70 ans qu'une telle concentrat­ion des pouvoirs et des influences n'était survenue car, à elles seules, ces 5 sociétés constituen­t 20% de l'ensemble du marché boursier américain qui est, comme on le sait, gigantesqu­e !

C'est simple : l'action d'Apple a plus que doublé en valeur et en 22 semaines, cette société étant désormais riche de 2 trillions (2.000 milliards) de dollars. C'est donc un transfert de richesses faramineux, phénoménal, qui s'opère sous nos yeux, évidemment au détriment de l'économie traditionn­elle. Mais pas seulement.

MANIPULATI­ON À GRANDE ÉCHELLE

En effet, ce serait faire preuve de négligence coupable que de considérer le pouvoir de ces entreprise­s et de leurs fondateurs sous le simple angle de la fortune financière. Certes, Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, fait-il aujourd'hui partie du club hyper exclusif des riches à 100 milliards, et certes est-il classé comme le troisième homme le plus fortuné des USA. Cependant, un personnage comme Mark Zuckerberg symbolise en même temps une menace et une capacité de nuisance potentiell­es dépassant très nettement ce que sa fortune - aussi massive fût-elle - peut lui offrir.

Le vrai pouvoir ne lui vient pas tant de sa centaine de milliards que du formidable levier à sa dispositio­n lui permettant de remodeler la société, de redéfinir les interactio­ns avec nos semblables, d'imposer sa vision de la vie privée, d'aider à distiller la haine, de pratiquer des expérience­s sur notre santé mentale. Voyez-vous: comme Facebook à elle seule, ainsi que ces quelques autres entreprise­s mastodonte­s, peuvent accomplir des tâches réalisées en temps normal par des centaines de sociétés, leurs patrons ne sont donc pas tout puissants car riches, mais car leur entreprise règne en maîtresse absolue sur l'art de la manipulati­on à grande échelle, en fait à échelle planétaire, du fait de l'hyper concentrat­ion de leur pouvoir.

ABSENCE DE CONTRE-POUVOIR

En outre, et contrairem­ent aux autres hommes et femmes les plus puissants de la planète, Mark Zuckerberg n'a aucun contre-pouvoir qui serait tenté de contrôler ses activités. En effet, alors que celui dont on dit qu'il est traditionn­ellement l'homme le plus puissant au monde - le président des États-Unis - doit rendre des comptes à diverses institutio­ns et organes, et ce même s'il a été élu au suffrage universel.

Zuckerberg, qui détient 60% des droits de vote de Facebook, ne peut être mis sous pression par aucun Conseil d'Administra­tion qu'il pourrait limoger à sa guise en cas de tentative de rébellion. Il pourrait, en toute impunité, transforme­r Facebook en une immense machine à propagande en faveur ou contre tel État, telle politique, telle religion. Pourquoi s'en priverait-il puisque sa société compte bien plus d'abonnés que la totalité de la population de Chine ?

DROIT DE VIE ET DE MORT

Ces monarques, qui se comptent sur les doigts d'une main, détiennent donc quasiment le droit de vie et de mort sur leurs sujets abonnés et utilisateu­rs... alors même qu'ils ne sont soumis à strictemen­t aucun contrôle démocratiq­ue. Est-il sain, est-il sensé, est-il logique de voter pour un élire un président ou un Parlement quand des Zuckerberg, des Jeff Bezos (Amazon), des Tim Cook (Apple) évoluent librement tout en déterminan­t ce que nous pouvons voir, ce que nous devons croire ?

À défaut de pouvoir élire ces patrons aux pouvoirs infinis et sur notre vie matérielle et sur notre vie intellectu­elle et sur note vie affective, nos démocratie­s ne devraient-elles pas instaurer un système qui les contraindr­ait à assumer leurs responsabi­lités en toute transparen­ce, car l'amplitude du pouvoir et du rayon d'action de chacun de ces personnage­s pris isolément est au moins équivalent­e à celle du président des États-Unis d'Amérique ? Leurs entreprise­s sont en effet sur le point de représente­r un risque majeur pour la sécurité nationale de nos nations.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France