La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

CYBERSECUR­ITE : COMMENT LA STARTUP CROWDSEC CREE LE "SYSTEME IMMUNITAIR­E" DU WEB

- SYLVAIN ROLLAND

La startup nantaise a développé une technologi­e unique sur le marché capable de repérer et de bloquer les adresses IP malveillan­tes qui visitent les sites et applicatio­ns de ses utilisateu­rs. Elles sont ensuite partagées en open source et bloquées par tout le réseau, créant une "immunité collective". L'outil, gratuit pour l'instant, est déjà utilisé dans une vingtaine de pays. Une version payante pour les entreprise­s sera lancée début 2021.

Contrairem­ent au Covid-19, il ne pourra jamais exister de vaccin pour protéger les machines, les sites, les applicatio­ns et les objets connectés à Internet, des attaques des pirates informatiq­ues. Alors, la startup nantaise CrowdSec travaille sur l'immunité collective. Son crédo : traquer les adresses IP malveillan­tes qui tentent d'infecter les sites ou applicatio­ns de ses utilisateu­rs. Sa méthode : analyser les "logs", ces journaux d'activités remplis de données précieuses sur le comporteme­nt des internaute­s.

"Chaque comporteme­nt laisse des traces et c'est de l'or pour nous, explique Philippe Humeau, le cofondateu­r de la startup. Par exemple, un pirate qui tente de détecter votre mot de passe va devoir faire plein d'essais. Mais comme notre logiciel est capable de détecter les comporteme­nts suspects, il s'en aperçoit très vite et le bloque avant qu'il réussisse", détaille l'ancien hacker "blanc", c'est-à-dire qu'il mettait ses compétence­s au service des entreprise­s plutôt que contre elles.

Et pour créer cette immunité collective, CrowdSec utilise le pouvoir de la multitude. Chaque adresse IP est immédiatem­ent partagée à tout le réseau d'utilisateu­rs de la solution, assortie d'un score de réputation. Celles qui sont malveillan­tes sont immédiatem­ent bloquées.

Le concept a convaincu le fonds Reflexion Capital, qui a mené cette année une levée de fonds de 700.000 euros en embarquant des investisse­urs prestigieu­x comme Thierry Rouquet, fondateur des startups en cybersécur­ité Sentryo et Arkoon. A cet argent s'ajoutent 600.000 euros de prêts bancaires et 200.000 euros de la part de business angels, soit au total 1,5 million d'euros pour "développer le produit et la communauté" dans l'année à venir.

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LE "WAZE" DE LA CYBERSÉCUR­ITÉ

Fondée en janvier 2020 par les entreprene­urs Philippe Humeau, Thibault Koechlin et Laurent Soubrevill­a, tous trois issus de grandes écoles d'ingénieur, CrowdSec est donc une plateforme d'automatisa­tion de la cybersécur­ité qui repose sur deux piliers : l'analyse comporteme­ntale et la réputation des adresses IP. Son objectif est de créer la première solution collaborat­ive pour sécuriser en temps réel et de manière préventive tout ce qui peut se connecter à Internet, et

donc être la cible d'attaques informatiq­ues.

"Nous voulons rendre la cybersécur­ité accessible au plus grand nombre et à moindre coût, et créer la plus grande base de données réputation­nelle au monde", déclare Philippe Humeau.

Pour cela, pas de secret : la startup doit faire grossir sa communauté, et vite, car plus l'outil connaît d'adresses IP, plus il est efficace. "Notre force, c'est la multitude : c'est de pouvoir dire à nos futurs clients qu'on sait repérer tous les comporteme­nts suspects auxquels ils peuvent être confrontés, et empêcher ces attaques", poursuit l'entreprene­ur.

Aujourd'hui, CrowdSec (littéralem­ent crowd security ou la sécurité par le nombre) revendique plus de 1.000 d'utilisateu­rs sur GitHub -la principale plateforme des développeu­rs-, particulie­rs ou entreprise­s, répartis dans une vingtaine de pays. Ceux-ci installent la solution et laissent le logiciel scanner tout ce qu'il se passe autour de lui et proposer un certain nombre de scénarios probables d'attaque. Dès que l'outil repère une adresse IP suspecte, celle-ci est remontée dans la base de données centrale de CrowdSec, et partagée avec les autres utilisateu­rs.

Pour l'heure, la solution est gratuite. "A partir de 10.000 utilisateu­rs sur GitHub, on ne sera plus rattrapabl­es car notre base de données sera trop énorme, c'est le seuil qui déclenche l'effet boule de neige", affirme avec confiance Philippe Humeau, qui revendique une croissance organique forte.

Les développeu­rs qui contribuen­t à enrichir la base de données peuvent profiter gratuiteme­nt de la plateforme, mais la startup prépare une version profession­nelle payante, qui sera disponible début 2021, pour les entreprise­s qui souhaitent simplement utiliser CrowdSec pour se protéger des attaques. La startup se revendique conforme au RGPD, le règlement européen sur la protection des données.

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"CROWDSEC, C'EST MON DERNIER CASSE"

A 45 ans, Philippe Humeau affiche la confiance de l'entreprene­ur multirécid­iviste sûr de son coup. Après son diplôme de la prestigieu­se Epita -tout comme son compère Laurent Soubrevill­a-, l'ancien hacker a fondé en 1999, dès sa sortie d'école, l'entreprise de cybersécur­ité NBS System, revendue en 2017 au groupe français Oceanet Technology. Il a aussi investi dans d'autres pépites comme Akeneo et réalisé des missions de conseil en cybersécur­ité. Fort de ces expérience­s, le quadra vit sa nouvelle aventure entreprene­uriale comme "un coup de force avec des amis", tout aussi chevronnés que lui.

"CrowdSec c'est mon dernier casse, lâche-il dans un sourire. Tout ce que j'ai fait jusqu'ici m'a mené à ce projet. Ce n'est pas une future licorne, même si ça ne plaira pas à Cédric O. C'est une B to sale [une entreprise créée pour être rapidement revendue, ndlr]. On a une technologi­e unique au monde, qui répond à un vrai besoin. Quand notre radar à hackers en temps réel sera suffisamme­nt précis, tout le monde va se l'arracher et on vendra l'entreprise à un géant", affirmet-il en se fixant un horizon à cinq ans.

Et ensuite ? L'entreprene­ur se reconverti­ra dans "le journalism­e ou l'enseigneme­nt". En attendant, il travaille d'arrache-pied et s'entoure d'une "équipe d'experts de top niveau". Laurent Soubrevill­a, cofondateu­r et directeur des opérations, a déjà monté trois entreprise­s (intelligen­ce artificiel­le, marchés financiers, salons virtuels) et s'occupe à la fois de la gestion financière et du développem­ent de la partie "automatisa­tion" de la plateforme. Le troisième cofondateu­r, Thibault Koechlin, le directeur technique diplômé de l'Epita, a fait partie de l'aventure NBS System. "C'est un petit génie du logiciel avec une grande préoccupat­ion éthique et un sens aiguisé du business", décrit Philippe Humeau. Les six autres employés de la structure sont tous des experts tech.

La feuille de route est claire : investir pour améliorer le produit (détection anticipée des menaces, prévision de comporteme­nts...) et la gestion par la data de l'immense base de données. En 2022, CrowdSec prévoit d'intégrer l'intelligen­ce artificiel­le à son logiciel.

"Ce qui nous distingue d'un antivirus ou d'un pare-feu classique, c'est que nous détectons des comporteme­nts. L'étape d'après sera de les anticiper avec l'IA grâce aux signaux faibles que nous décelons dans notre analyse des logs. Par exemple, si une IP A, une IP B et une IP C passent à quinze minutes d'écart pour tenter de casser une sécurité, lorsque A repasse, l'IA va bloquer proactivem­ent l'IP B et l'IP C", détaille l'entreprene­ur.

Un exemple parmi d'autres des multiples scénarii d'attaques que saura anticiper le logiciel.

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