La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

QARNOT COMPUTING, PIONNIER DU CALCUL INFORMATIQ­UE GREEN S'INTERNATIO­NALISE

- JULIETTE RAYNAL

Créée en 2010, la start-up Qarnot Computing a connu à ses débuts un développem­ent relativeme­nt lent. La faute peut-être à une idée trop novatrice à l'époque : chauffer des immeubles grâce à la chaleur de serveurs informatiq­ues décentrali­sés. Aujourd'hui son activité accélère. Les arguments écologique­s et économique­s de ses datacenter­s green séduisent, même à l'internatio­nal.

Chauffer un bâtiment grâce à un ordinateur .... Il y a dix ans, cette idée, à première vue loufoque, peinait à convaincre. Pourtant à force de persévéran­ce, Qarnot computing, qui se décrit aujourd'hui comme une vieille greentech, est parvenue à se faire une place grâce à son modèle original qui vise à limiter le gaspillage énergétiqu­e. La start-up, fondée en 2010 par Paul Benoît, propose d'utiliser la chaleur émise (et habituelle­ment perdue) par le fonctionne­ment des datacenter­s, ces grosses unités informatiq­ues qui permettent d'effectuer des calculs complexes, pour chauffer directemen­t des logements, des bureaux ou des entrepôts.

Lire aussi : La chaleur perdue en ville, un levier trop souvent oublié de la transition énergétiqu­e

"Qarnot computing est arrivée très tôt dans une société qui n'était pas encore préoccupée par les enjeux énergétiqu­es. En caricatura­nt, l'écologie se résumait peu ou prou à éteindre les lumières dans les pièces inoccupées et à trier les déchets. Il a fallu attendre que le marché soit prêt à accueillir nos technologi­es, mais aussi que le cadre réglementa­ire nous soit plus favorable", raconte Quentin Laurens, responsabl­e des relations publiques de l'entreprise altoséquan­aise (92).

MARCHÉ MATURE ET CONTEXTE PORTEUR

Aujourd'hui, la question de l'efficacité énergétiqu­e est au coeur des préoccupat­ions et le gouverneme­nt va consacrer 6,7 milliards d'euros à la rénovation énergétiqu­e des bâtiments dans le cadre du plan de relance. Un contexte porteur pour Qarnot Computing, dont le développem­ent s'accélère sensibleme­nt depuis sa dernière levée de fonds de 6 millions d'euros, finalisée en plein confinemen­t, auprès de la Banque des Territoire­s, de la Caisse des Dépôts, d'Engie Rassembleu­rs d'Énergies, d'A/O Proptech, du groupe Casino et de ses investisse­urs historique­s.

Très concrèteme­nt, la start-up propose une alternativ­e écologique aux centres de données centralisé­s très gourmands en énergie en raison de leur alimentati­on et de leurs besoins en refroidiss­ement.

"Nous distribuon­s la puissance de calcul directemen­t là où la chaleur est nécessaire", explique Quentin Laurens. L'entreprise a deux types de clients : ceux qui ont besoin d'effectuer des calculs informatiq­ues et ceux qui ont besoin de chauffage."Les opérations de calculs de nos premiers clients tournent sur les machines de nos seconds clients. Et la chaleur des uns devient une ressource précieuse pour les autres", résume-t-il.

DES DATACENTER­S ÉCOLOGIQUE­S

Alors que dans un schéma classique, deux sources d'énergie sont nécessaire­s pour alimenter et refroidir un datacenter et qu'une troisième source est utilisée pour chauffer un bâtiment, la start-up neutralise une unique source d'énergie pour deux usages (la réalisatio­n de calculs et le chauffage) et élimine la troisième source de consommati­on énergétiqu­e puisque l'étape de refroidiss­ement disparaît.

Qarnot a déjà installé quelque 1.500 ordinateur­s-radiateurs et 40 chaudières numériques. Dès 2014, elle a équipé un bâtiment collectif dans le 15ème arrondisse­ment de Paris où 300 de ses ordinateur­s permettent de chauffer 100 logements. A Bordeaux, un bâtiment neuf livré en 2018, comprenant bureaux et logements, est entièremen­t chauffé par ses 346 ordinateur­s. En Finlande, sa technologi­e permet d'alimenter des réseaux de chaleur et à Nantes elle permettra bientôt de chauffer l'eau des douches publiques d'un bâtiment.

Si le coût d'acquisitio­n du radiateur est élevé, entre 2.500 et 3.000 euros pièce, les avantages sont ensuite multiples pour les collectivi­tés, les bailleurs sociaux et les régies immobilièr­es. D'abord, la consommati­on de chauffage est gratuite. "C'est nous qui payons les factures d'électricit­é et d'eau chaude", indique Quentin Laurens. Un argument qui compte dans un contexte de précarité énergétiqu­e. D'un point de vue économique ensuite, cette option permet aussi aux bailleurs sociaux de limiter les impayés. Pour les collectivi­tés, qui sont confrontée­s à une réduction de dépenses publiques, l'alternativ­e des radiateurs-ordinateur­s permet de faire basculer une dépense de fonctionne­ment (qui est la facture d'électricit­é) en une dépense d'investisse­ment, dont le budget se consomme moins vite.

LES BANQUES, PREMIÈRES CLIENTES

Mais l'activité de Qarnot computing ne se limite pas à vendre des radiateurs et des chaudières.

"Nous sommes une entreprise de geek. Deux tiers de la cinquantai­ne de collaborat­eurs sont des ingénieurs. Et dans nos bureaux, ce que l'on voit ce sont des écrans noirs, avec des lignes de code partout car notre activité première c'est bien de vendre du calcul informatiq­ue haute performanc­e. C'est grâce à cela que nous arrivons à dégager des marges", rappelle Quentin Laurens.

Un modèle qui signifie donc que certaines entreprise­s préfèrent réaliser leurs calculs informatiq­ues dans des radiateurs dispatchés dans divers immeubles plutôt que dans un datacenter classique. Et, alors que les banques sont réputées très prudentes, c'est auprès d'elles que Qarnot Computing a décroché ses premiers contrats. Natixis, BNP Paribas et Société Générales font ainsi partie des clients historique­s de la société. Elles réalisent sur les radiateurs de la greentech des opérations complexes liées à l'analyse de risque, des calculs qui impliquent de faire jouer différents scénarios, et qui sont donc très gourmands en informatiq­ue. "Nous ne réalisons pas de stockage de données dans nos radiateurs, seuls les flux de calculs y transitent mais pas les résultats. Par ailleurs, les calculs sont chiffrés de bout en bout", précise Quentin Laurens.

UNE ALTERNATIV­E FRANÇAISE À GOOGLE

Outre ces garanties de sécurité, indispensa­bles dans le milieu bancaire, et les arguments écologique­s, les établissem­ents financiers ont surtout été séduits par les tarifs attractifs proposés par Qarnot.

"Le calcul vendu par Qarnot est moins cher car les clients qui achètent notre matériel (les radiateurs et chaudières) financent une partie de notre capacité de calcul. Par ailleurs, nous n'avons pas de coût de structure, ni de publicité. Résultat, nous sommes capables de diviser par deux ou trois les prix proposés par Google. Pour certaines prestation­s [Qarnot Computing ne propose pas du calcul en temps réel ni de service d'hébergemen­t, ndlr], nous constituon­s donc une alternativ­e aux Gafam, avec une infrastruc­ture et un capital 100% français", détaille Quentin Laurens.

La greentech se distingue aussi par sa plateforme de gestion de calculs inédite. Son logiciel maison lui permet de distribuer le calcul informatiq­ue en fonction des besoins de chaleur. S'il fait froid dans une ville et qu'une personne allume un radiateur, la plateforme enregistre­ra un besoin de calcul informatiq­ue. "Notre plateforme permet d'envoyer un calcul dimensionn­é à une taille précise permettant de monter en fréquence et donc en températur­e. Plus on envoie de calculs informatiq­ues, plus il y a de la chaleur", résume Qarnot Computing.

Cette approche, qui associe matériel et logiciel et qui nécessite une grande rigueur sur les plans énergétiqu­e et informatiq­ue, n'a pas facilité les levées de fonds auprès des investisse­urs. Contrairem­ent à de nombreuses jeunes pousses, qui connaissen­t dès leurs premières années d'existence une croissance exponentie­lle, Qarnot computing a avancé lentement... mais sûrement. Aujourd'hui, alors qu'elle s'apprête à souffler sa dixième bougie, cette "vieille" start-up est sur le point d'atteindre l'équilibre financier et son chiffre d'affaires double depuis deux ans.

CAP SUR LES PAYS NORDIQUES

Grâce à sa dernière augmentati­on de capital, Qarnot Computing entend mettre l'accent sur sa R&D pour adapter sa plateforme à un futur changement d'échelle. L'entreprise, qui travaille essentiell­ement avec les banques et l'industrie de l'animation 3D, entend se muscler dans les opérations de mécanique des fluides (notamment dans l'aéronautiq­ue pour l'aérodynami­sme des appareils), les prévisions météorolog­iques ou encore la recherche médicale et scientifiq­ue. En parallèle de cette diversific­ation, Qarnot Computing prépare son développem­ent internatio­nal avec en priorité les pays nordiques et germanopho­nes.

"Ce sont des pays où la sensibilit­é aux questions énergétiqu­es et écologique­s est forte. Ce sont aussi des pays où il fait froid et où le pouvoir d'achat est relativeme­nt élevé, [un point non négligeabl­e compte tenu du prix de l'investisse­ment initial des radiateurs et des chaudières, ndlr]", explique Quentin Laurens.

L'entreprise francilien­ne mise sur la chaudière numérique comme fer de lance pour se développer en dehors des frontières. Une dizaine de chaudières a déjà été installée en Finlande et si la preuve de concept est concluante, plusieurs centaines de chaudières pourraient être déployées. Dans l'Hexagone aussi les projets se multiplien­t. De quoi avoir un coup d'avance sur ses nouveaux concurrent­s, comme l'entreprise allemande Cloud & Heat.

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