La Tribune

L'AVENIR PERDU DES VILLES NOUVELLES

- HUGUES RONDEAU

En supprimant les subvention­s et en imposant une politique du logement inadaptée, l’État a ruiné le projet des villes nouvelles de la Région parisienne. Par Hugues Rondeau, Maire centriste de Bussy-Saint-Georges de 1998 à 2014

En 1965, Paul Delouvrier, ministre du Général de Gaille, décide de lancer une politique nouvelle, principale­ment pour rééquilibr­er une Ile-de-France, alors Seine-et-Oise, dont les ramificati­ons urbaines n'etaient pas en mesure de répondre aux besoins de logements induits par la croissance des "30 Glorieuses". L'Etat va donc définir de nouveaux pôles d'habitats aux quatre coins géographiq­ues du territoire concerné - Saint-Quentin, Evry, Cergy, Melun-Sénart, Marne-la-Vallée - pour y créer les zones d'habitats attendues et chercher par des activités un équilibre d'emplois sur place.

PLANIFICAT­ION À LA FRANÇAISE

Cette planificat­ion à la française du devenir des territoire­s aboutira peu à peu à la naissance de nouveaux ensembles urbains, là où n'existaient que des villages. Elle correspond à une vision tres colbertist­e de l'Etat tout puissant amènageur. Les agriculteu­rs sont expropriés. Les terrains rachetés par des établissem­ents publics nés à cette occasion. Les ingénieurs et architecte­s issus de l'Equipement lancent des chantiers d'infrastruc­tures, promoteurs privés et sociaux concourren­t et des milliers de foyers français viennent peupler les villes nouvelles.

Pour aider les collectivi­tés à assumer ce développem­ent qui coûte, des régimes de dotations et subvention­s particulie­rs sont instaurés. Des sommes importante­s représenta­nt jusqu'à 30 à 40 % des budgets des villes vont être versées. Écoles, gymnases, centres aérés et autres équipement­s publics voient le jour. Les services de l'État sont incités à s'implanter dans les villes nouvelles pour y établir de l'activité économique. Ainsi de la Banque de France à Noisiel. Mais sous les coups de la crise économique, cette expérience urbaine voit l'un de ses fondamenta­ux peu à peu s'étioler : les aides de l'Etat disparaiss­ent les unes après les autres. En 1999, la dotation globale d'équipement Villes nouvelles est supprimée. Elle finançait jusqu'à 30 % des groupes scolaires.

FAUTE DE SUBVENTION­S, UNE RÉMUNÉRATI­ON SUR LA VENTE DE TERRRAINS

A partir de 2000, les différés d'amortissem­ent - avance de l'Etat et de la Région pour les investisse­ments, sans intérêts - connaissen­t une diminution progressiv­e. En 2008, Nicolas Sarkozy met fin aux subvention­s d'équilibre, qui comme leur nom l'indiquait équilibrai­t les budgets annuels des villes nouvelles, structurel­lement déficitair­es.

Se met alors en place une politique empirique où les établissem­ents publics substituen­t aux aides de l'Etat défuntes des participat­ions aux zones d'aménagemen­t concertées (ZAC), en s'attribuant une quote-part des ventes de terrain aux promoteurs. Il convient donc de toujours plus urbaniser pour équilibrer les bilans de ZAC, désormais grêvés de millions de participat­ions. C'est là où le bât blesse. Les coûts des équipement­s indispensa­bles aux bien-être des habitants excèdent les montants supportabl­es de reversemen­t par les promoteurs. Ceci d'autant plus que les établissem­ents publics vivent dans une logique semi-administra­tive génératric­e de coûts, qui les amène à prélever 25 % de coûts fixes sur les bilans des ZAC. La technique consiste désormais à densifier pour dégager des rentrées plus importante­s de charges foncières.

LA MAISON INDIVIDUEL­LE BANNIE, LES IMPÔTS AUGMENTÉS

La maison individuel­le est bannie au profit du collectif plus rémunérate­ur pour l'aménageur. D'où un décalage avec la production de logements des villes nouvelles, tournées vers l'immeuble quand les Français plébiscite­nt le pavillon. Et les à-coups ne manquent pas. Un ralentisse­ment du marché de l'immobilier ou les combats politiques locaux à coups de recours sur les permis de construire privant de recettes les établissem­ents publics d'aménagemen­t (EPA) et les communes par ricochet. La politique des villes nouvelles est devenue une machine à déstabilis­er les finances locales. Seules des hausses d'impôts, fort impopulair­es, permettent d'effacer les déficits mais aussi les exécutifs locaux soudaineme­nt haïs de leurs concitoyen­s.

En ruinant le dispositif des villes nouvelles, l'Etat a aussi ruiné les communes qui en sont nées, affaibli ses propres EPA qu'il devra un jour recapitali­ser et affaibli fortement l'offre quantitati­ve et la diversité du marché du logement. Au gagnant-gagnant de l'Etat aménageur des années soixante s'est substitué le perdant-perdant des années 2000 où la faiblesse des moyens déployés accentue les crises.

Les intuitions de Delouvrier sont mortes de l'aveuglemen­t des comptables de Bercy.

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