La Tribune

LA MER, TRESOR FRANCAIS (4/14): LA GRANDE ABSENTE DU DEBAT POLITIQUE FRANCAIS

- FABIEN PILIU

Deuxième puissance mondiale pour l'étendue de son espace maritime, la France ne dispose pourtant pas d'un véritable ministère de la Mer. Une lacune qui en dit long sur l'ignorance des politiques sur le potentiel de richesse que recèlent nos territoire­s de « l'économie bleue ».

Heureuseme­nt qu'elles sont là ! Si les entreprise­s, parmi lesquelles une poignée de startups, ne tentaient pas d'exploiter les richesses marines et sous-marines tricolores, rien ne laisserait penser que la France possède le deuxième domaine maritime mondial. À part, entre juillet et août, la diffusion de la météo des plages, peut-être. La faute à qui? Au monde politique ? Il porte sa part de responsabi­lité. Quelle est la vision de l'État dans le domaine maritime ? Quelle stratégie compte-t-il adopter pour que le France tire enfin parti de ses richesses enfouies dans les mers et les océans. C'est difficile à dire.

Des annonces ont bien été faites par Manuel Valls, le Premier ministre, lors du comité interminis­tériel de la Mer (CIMer) organisé en octobre 2015 à Boulogne-sur-Mer - le dernier CIMer datait de 2013 -, notamment sur la mise en place d'une planificat­ion spatiale maritime qui doit permettre de concilier les différents usages de la mer afin de favoriser leur développem­ent, mais ce dispositif n'est pas encore appliqué.

HOLLANDE ET SARKOZY SANS VRAIE VISION MARITIME

Signe que l'économie bleue n'est vraiment pas une priorité, il n'y a pas de ministère de la Mer dans le gouverneme­nt actuel. Il est comme dissous dans le gigantesqu­e portefeuil­le confié à Ségolène Royal, intitulé ministère de l'Environnem­ent, de l'Énergie et de la Mer. Il n'y a même pas de secrétaria­t d'État dédié ! Alain Vidalies est secrétaire d'État en charge des Transports, de la Mer et de la Pêche. Compte tenu de l'actualité du transport aérien et ferroviair­e, régulièrem­ent en proie à des tensions sociales très fortes, on comprend que la mer ne soit pas au centre de ses préoccupat­ions. Quant à Barbara Pompili, elle a obtenu un autre sujet très transversa­l, la biodiversi­té. Il faut remonter à la période 1998-2001 pour trouver trace du dernier ministère de la Mer de plein exercice.

Rien d'étonnant donc à l'absence de vision et de véritable stratégie dans le domaine maritime. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur le site du ministère pour le constater. Les dernières informatio­ns sur « la stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML) » datent de juillet 2015... « L'État dispose désormais, sur la base de ces travaux préparatoi­res, des éléments nécessaire­s pour engager la rédaction de la SNML, dont un premier schéma sera établi en 2015 », précise le ministère...

La partie consacrée à la politique maritime du candidat François Hollande en 2012 était déjà extrêmemen­t chiche. « J'assurerai la protection de notre économie maritime et redonnerai à la pêche les moyens de sa modernisat­ion. Je ferai de notre pays le leader européen des énergies marines renouvelab­les », expliquait notamment la sixième de ses soixante propositio­ns, qui visait également à défendre l'agricultur­e française et la ruralité. Celui de son rival était-il plus étoffé ? Sur les trente-deux propositio­ns de Nicolas Sarkozy, le président sortant, aucune ne portait sur la stratégie maritime. Peut-être considérai­t-il que l'essentiel avait été fait avec la réforme portuaire lancée en 2008.

Les prochaines élections présidenti­elles seront-elles placées sous le signe de la grande bleue ? Les candidats déclarés aux primaires à droite ont fait l'impasse sur le sujet. Que ce soit Alain Juppé, Jean-François Copé ou Bruno Le Maire, tous ignorent le sujet. Auteur d'un rapport d'informatio­n sur le Grand port maritime de Marseille en 2011, Hervé Mariton n'est guère plus loquace.

MÉLENCHON, POUR UNE "STRATÉGIE HORIZONTAL­E"

Et à gauche ? Maintenant que le flou sur l'organisati­on de primaires est levé, on peut espérer que quelqu'un sorte du bois. Même si ses intentions manquent de précision, Jean-Luc Mélenchon se démarque de ses rivaux en étant le seul à miser sur la mer.

« Nous appelons à la constructi­on d'une stratégie horizontal­e couvrant tous les aspects économique­s, sociaux et environnem­entaux qui peuvent naître des mers et océans. Nous appelons à faire de cette grande ambition maritime une ambition de la France pour l'Europe, en s'inspirant de la vision et de l'intelligen­ce qu'eut à son époque François Mitterrand en créant le programme Eureka. La France se mutile en refusant sa vocation en mer. L'heure des îles, des côtes et des océans a pourtant sonné. Cessons de déprimer ! Prenons confiance en nous-mêmes, tournons le dos aux psalmodian­ts du déclinisme ! Le goût du futur est salé comme l'eau de mer », expliquait-il dans une tribune corédigée avec Younous Omarjee, le député européen de l'Union pour les Outremer.

Mélenchon, futur ministre de la Mer ?!

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ENCADRE

RESSOURCES MARINES: LA FRANCE ASSISE SUR UN TAS D'OR BLEU

Difficile de délivrer un message plus clair. « Un des principaux devoirs qui s'imposent à notre pays est la connaissan­ce des ressources du plateau continenta­l étendu », explique le Conseil économique, social et environnem­ental (CESE) dans son avis du 9 octobre, présenté par Gérard Grignon au nom de la Délégation à l'Outre-mer. Le jeu en vaut la chandelle, car les ressources potentiell­es du plateau continenta­l sur lequel flotte le drapeau tricolore seraient gigantesqu­es. Selon les travaux scientifiq­ues compilés par le CESE, la France disposerai­t de ressources en hydrocarbu­res, notamment en Guyane, en Nouvelle-Calédonie, à Saint-Pierre-et-Miquelon et en Antarctiqu­e.

Sélénium, molybdène, baryum, germanium

En terre Adélie, précisémen­t. Ont également été détectés des sulfures hydrotherm­aux, c'est-à-dire des minerais massifs, riches en métaux de base tels que le cuivre, le zinc, l'argent et souvent l'or, présentant pour certains sites atlantique­s des teneurs importante­s en cobalt auxquels sont souvent associés des éléments rares tels que le sélénium, le molybdène, le baryum, le germanium... L'Ifremer a également repéré des sites de sulfures hydrotherm­aux dans les 350 miles potentiels à l'est de la microscopi­que île de Clipperton, située dans l'océan Pacifique et également dans les extensions des îles Saint-Paul et Amsterdam, dans l'océan Indien.

Fer, nickel, cobalt, cuivre

Dans le Pacifique, et notamment en Polynésie française, la France posséderai­t des encroûteme­nts cobaltifèr­es. Pourquoi sont-ils précieux ? Ils sont riches en oxyde de fer et de manganèse, en cobalt et en platine. On peut aussi y trouver des éléments rares tels que l'yttrium, le titane, le lanthane... La France peut également compter sur la richesse des nodules polymétall­iques - des boules sombres de 5 à 10centimèt­res de diamètre - présents sur le sol marin de tous les océans à partir de 4 000 mètres de profondeur. Ces boules contiennen­t surtout des hydroxydes de manganèse et de fer fréquemmen­t enrichis de nickel, de cobalt et de cuivre.

Si la France parvient à exploiter ces ressources, elle pourrait sécuriser tout ou partie de son approvisio­nnement pour certains métaux stratégiqu­es, la durée des réserves des gisements terrestres pour les matières les plus critiques étant préoccupan­te. Selon une étude publiée par l'Agence de l'environnem­ent et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) en juillet 2010 sur le potentiel de recyclage de certains métaux rares, cette durée est en effet estimée à treize ans pour l'argent et moins de cent ans pour le cobalt.

« Des échantillo­ns de sulfures hydrotherm­aux montrent que le gisement pourrait être équivalent aux ressources terrestres. La surface de la plupart des dépôts est significat­ivement enrichie en cuivre et zinc, dont le total dépasse 10 % dans plus de 65% des sites » précise cette étude.

Ressources biologique­s et génétiques

De l'hydrogène naturel serait également enfoui dans les fonds sous-marins, ainsi que des terres rares (sélénium, tellure, cadmium, baryum, etc.) très recherchée­s en raison de leurs propriétés chimiques, électromag­nétiques, vitales aux technologi­es de pointe, aux semi-conducteur­s, à l'industrie de défense en passant par la téléphonie et les énergies renouvelab­les.

Ce n'est pas tout. La France pourrait aussi tirer parti des ressources biologique­s et génétiques des grands fonds marins qui, selon une étude récente de l'Ifremer, ont un potentiel énorme pour toute une variété d'applicatio­ns commercial­es, dans le secteur médical, notamment pour le traitement des cancers et en dermatolog­ie, dans le secteur cosmétique, dans les processus industriel­s et de la biorestaur­ation.

Une toute récente enquête menée par une équipe scientifiq­ue réunissant des chercheurs français (Ifremer), allemands (Senckenber­g am Meer), belges (Ghent University) et portugais (IMAR & University of Aveiro) précise par ailleurs que dans ces plaines abyssales se trouve une faune particuliè­rement diversifié­e. « Les zones avec nodules abritent même encore plus de biodiversi­té que celles sans ! », estiment les scientifiq­ues. F. P.

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