La Vie Querçynoise

Des messagers de la foi, les Tournié, sculpteurs à Gourdon au XVIIe siècle

En Quercy, l’art des retables est associé à la famille Tournié, dynastie d’ébénistes. Leur renommée au XVIIe siècle s’étendait jusqu’à Bordeaux et Limoges.

- ANDRÉ DÉCUP

Été 1668. Gourdon, située aux confins du Périgord et du Limousin, est à la rencontre de cinq diocèses. Grâce à la prospérité des tisserands et des drapiers, cette citadelle de déjà 5 000 habitants connaît son apogée. Jean II Tournié a 21 ans. Il travaille le bois avec Raymond son père, Pierre I son frère, son oncle Jean I. Et Pierre II son cousin, encore enfant, s’essaie au burin et la gouge dans la rue du Majou. Son grand- père Guillaume a créé vers 1645 cet atelier de sculpture, ouvrant sur la principale rue des commerces qui grimpe vers le château de la Butte. Cinq personnes travaillen­t en même temps. Le jeune homme Jean est content : il vient de recevoir une mission de l’évêque de Cahors, fabriquer un retable, un écrin digne d’accueillir, près de Gourdon, une statue de la Vierge à l’Enfant du XIVe siècle, pour l’église Notre Dame des Neiges, érigée 20 ans auparavant, sur le chemin du pèlerinage menant de Rocamadour à Compostell­e.

Le nouveau contrat va nécessiter une nouvelle organisati­on des ateliers : il faut diviser le travail entre le charpentie­r qui montera l’armature, le menuisier qui élaborera le meuble et le sculpteur qui se chargera de toute l’ornementat­ion. Balustres, statues, coquilles, feuilles d’acanthe orneront le mobilier réalisé en bois de tilleul et de noyer. Le peintre prendra la suite pour l’exécution des dorures.

Auparavant, le maître d’oeuvre aura dessiné les motifs et les formes et choisi les matières et les couleurs. Il se réservera en dernière main, les morceaux de bravoure : sculptures aux regards perplexes, gestes d’incrédulit­é, mains levées vers le ciel, yeux interrogat­ifs, visages pleins de vivacité ou travaillés comme ceux des paysans du Causse. Pour l’instant, c’est décidé : ce sera Pierre, son frère, qui prendra la direction de l’ouvrage.

Dans cette cité médiévale, tous, membres de la même famille, travaillen­t côte à côte, sous la houlette du maître. Ce regroupeme­nt d’artisans est exceptionn­el pour l’époque. Cette présence constante de profession­nels disponible­s (entourés d’éventuels apprentis ou de compagnons) va permettre aux Tournié de répondre à la rapidité d’exécution et de prendre d’autres commandes plus importante­s et géographiq­uement très éloignées. De Bordeaux jusqu’à Limoges.

À Paris, Louis XIV a 30 ans. Depuis la mort de Mazarin, il y a 7 ans, il déploie son autorité à la suite des grandes révoltes parlementa­ires, protestant­es et rurales. Le monarque impose l’obéissance à tous les ordres et contrôle tous les courants de pensées.

À l’Université de Cahors, Fénelon, 17 ans, étudie depuis quelques mois la rhétorique et la philosophi­e. Le futur précepteur du petit-fils de Louis XIV se distingue déjà, dans la modestie, par ses succès oratoires qu’il développer­a bientôt à l’abbaye de Carennac.

Alain de Solminihac est décédé en 1659, exténué par les charges imposantes d’un des plus vastes diocèses de France qui comprend tout le départemen­t du Lot actuel, mais aussi une partie des départemen­ts du Tarn-et-Garonne, de la Dordogne, allant jusqu’aux frontières de la Gascogne. Soit une population de 500 000 habitants environ ( La France compte à cette époque 20 millions d’habitants) et un important clergé.

Le concile de Trente (1546-1563), promoteur du culte des images

Le Quercy, essentiell­ement rural, se trouve depuis un siècle dans un état de bouleverse­ment complet causé par les guerres de Religion qui ont dévasté la région de 1561 à 1598, par les révoltes populaires des « Croquants », provoquées par les impôts excessifs dans le monde paysan et par les épidémies de peste.

La population, austère, vit dans l’ignorance religieuse, le clergé étant peu apte à rendre les services qu’on attend de lui. Des abus se sont glissés parmi les clercs, délaissant la messe pour se tourner vers les jeux, la chasse ou les fêtes.

Mgr Solminihac, évêque de 1636 à 1659, impulse un mouvement de réformes que son successeur, Nicolas Sévin, précédemme­nt évêque de Sarlat continuera : c’est « une véritable révolution intérieure » que vivent les églises du Quercy. Effaré de voir dans quel état d’abandon se trouvaient les sanctuaire­s, l’évêque de Cahors met en demeure les curés de procéder à l’achat de meubles de culte et spécialeme­nt de « grands meubles de tabernacle­s » afin de « faire connaître aux fidèles souvent illettrés les commandeme­nts de Dieu et les mystères de notre foi ». En réaction, aussi, au dépouillem­ent promu par la Réforme protestant­e.

Pour donner corps à leur prêche, les prêtres demandent aux sculpteurs et peintres de représente­r les personnage­s du Nouveau Testament et de l’histoire de l’Église.

L’accent sera mis sur l’ornement, la beauté des images étant censée exalter la ferveur des fidèles suivant cet art baroque en provenance de Rome. Les épisodes de la Passion du Christ, de la vie de la Vierge sont les scènes les plus fréquemmen­t présentées sur les bas-reliefs ou sur le tableau central. Une place importante est réservée aux saints, notamment au patron de la paroisse, aux quatre évangélist­es, à saint Pierre et saint Paul et aux anges révélateur­s de la parole divine.

Ainsi, logiquemen­t, les clergés respectifs se tournent vers les Tournié. Si les retables restent très souvent marqués du sceau de l’anonymat, grâce aux Archives, vingt-trois oeuvres (retables ou sculptures) leur sont attribuées avec certitude dans le diocèse de Cahors. Dans les églises de Gourdon (Notre Dame des Neiges, Saint-Pierre, Le Majou, Saint-Siméon), mais aussi celles de Salviac, Le Vigan, Thédirac, Montfaucon, Parnac, Montcléra, Sérignac, Prouilhac, Lherm.

Refléter la grandeur divine

Il nous semble important de réévaluer aujourd’hui le rôle de ces maîtres locaux trop souvent considérés comme les façonniers d’un art populaire cheminant vers des formes baroques.

Ce rôle doit être apprécié en fonction du niveau de technicité et de culture artistique de ces sculpteurs. Lesquels possèdent dans leur art, une certaine connaissan­ce théorique grâce aux gravures ou estampes d’autres artistes, grâce aux modèles en plâtre et en argile qui circulent. Sans oublier les études et l’inspiratio­n que ces maîtres puisent dans les livres religieux qu’ils feuillette­nt.

Comme les Duhamel en Limousin, les Tournié ne sont pas seulement des promoteurs besogneux mais des acteurs majeurs du mouvement de la Réforme catholique. Ils appliquent, à la demande des évêques, les préceptes du concile de Trente de réaffirmer les fondements de la foi, en choisissan­t de promouvoir le culte des représenta­tions. Les retables sont les pièces maîtresses de la liturgie catholique. Grâce à ces hommes de l’art, les meubles qui renferment le tabernacle deviennent de véritables livres ouverts à l’attention des fidèles, illustrant par l’image, les personnage­s de l’Évangile et les paraboles de la Bible.

Les sculpteurs Tournié ont été des messagers de la foi chrétienne au coeur des campagnes et des villes du Quercy.

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Le Dieu le Père très humain de l’église de Salviac. Le regard expressif est caractéris­tique de la sculpture des Tournié.

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