Le procureur demande une justice exemplaire
Les audiences solennelles d’ouverture de l’année judiciaire donnent lieu à la présentation de l’activité de l’année passée. Elles concernent le Conseil de Prud’hommes, le tribunal de commerce et le tribunal de grande instance. Et plus encore…
D’une année à l’autre, tel un rituel, les audiences solennelles se succèdent, en donnant un éclairage sur le volume de l’activité de l’institution judiciaire. Il s’agit également d’une sorte de photographie de l’état de santé du département, que viennent écouter les chefs de Cour d’Agen et les personnalités, au premier rang desquelles le préfet, les élus, les responsables des forces de l’ordre…
Cette année, l’intervention de Frédéric Almendros, Procureur de la République de Cahors, n’est pas passée inaperçue. Le patron du Parquet a partagé sa réflexion sur l’évolution de son métier à l’aune des mutations que connaît la société. Franc et direct !
Pour une justice « humaine »
Tout autant que les autres pans de la société, la justice s’inscrit dans la marche forcée du passage au numérique. « La transformation numérique c’est le coeur du réacteur » souligne Frédéric Almendros, évoquant la dématérialisation des documents, les échanges électroniques, la numérisation, les procès menés au moyen de la visioconférence… Derrière ce constat, le Procureur met en évidence le risque encouru d’une déshumanisation de la justice. D’où ses réquisitions en faveur d’une justice répondant aux deux principes fondamentaux de tout système judiciaire : l’indépendance et l’impartialité.
Le Procureur se rapporte, pour s’en réjouir, au discours du président de la République Emmanuel Macron devant la Cour de cassation le lundi 15 janvier 2018, au cours duquel il évoquait le Parquet à la française : « Je crois donc profondément que le Parquet doit être, par ses fonctions même, rattaché au garde des sceaux mais que notre travail est d’assurer plus clairement, plus fermement, son indépendance » .
Il livre alors son analyse de la fonction de Procureur de la République, certes dans le cadre de l’institution judiciaire, mais plus largement encore dans le fonctionnement général de la société. « Parce que précisément ce ne sont pas encore les machines mais les individus qui décident » se réjouit-il.
Quel est le rôle du Procureur ?
Mais au juste, qui sont donc ces Procureurs que tout le monde veut rendre indépendants et que tout le monde veut, ou croit, soumis au pouvoir politique ? « Ce métier c’est celui de la régulation sociale » indique-t-il tel un credo. Le représentant des intérêts de la société le souligne haut et fort : « Le procureur de la République est le régulateur des urgences sociales comme le médecin urgentiste est le régulateur des urgences vitales » .
Mais un Procureur en France, c’est quoi, c’est qui ? Frédéric Almendros insiste sur « l’indépendance » qui s’attache à la fonction. « L’indépendance de la Justice, renchérit- il, c’est l’éthique chevillée au courage » . Et le magistrat de consacrer sa fonction au-delà des influences de tous ordres qui pourraient l’ébranler. Frédéric Almendros se pose en chantre d’une justice de la transparence. La seule règle qui vaille est celleci, poursuit-il : « On peut nous obliger à poursuivre mais on ne peut pas nous l’interdire. Règle saine qui évite simplement le favoritisme et qui aujourd’hui laisse à penser que nous sommes aux ordres. » Au-delà des mots il y a la quête de l’idéal de démocratie vers lequel aspire le Procureur. Il insiste à cet égard sur la dimension de la liberté qui anime la fonction : « Nous sommes, nous parquetiers, les premiers gardiens des libertés » . À cet égard, il martèle l’un des fondamentaux des règles de droit : « une procédure, ça doit d’abord respecter la procédure ».
Quel est le courage du Parquet ?
Frédéric Almendros met en avant la vertu du courage dans l’application du droit. Il précise : « Le vrai courage du Parquet : poursuivre aussi sûrement un personnage public qu’un justiciable de l’ombre, l’un de ses proches comme un parfait inconnu. Peut- être même avec moins de sollicitude, ce qui serait déjà une entorse à l’éthique » . Il prend quelques exemples concrets, pour faire toucher du doigt les réalités. « Ne faut-il pas du courage pour décider le 23 décembre qu’on ne va pas incarcérer quelqu’un qui pourtant le mérite puisqu’il a été condamné et qu’il n’y a pas d’aménagement de peine, en reportant la mise à exécution à janvier pour qu’il passe les fêtes en famille ? Ne faut-il pas tout autant de courage pour le faire quand même incarcérer, parce que les faits étaient graves et qu’il était sous le coup d’un mandat, alors que dans votre bureau il ou elle supplie de lui laisser passer Noël avec ses enfants ? »
Quel sens donner à la peine ?
Autre aspect de la justice et non des moindres… celui de la peine prononcée à l’encontre du justiciable. Le Procureur Almendros se montre direct : « Je reste, moi, convaincu après vingt ans de fonctions, que la peine doit retrouver son sens : faire de la peine » . Il insiste : « Prononcer de l’emprisonnement ferme pour celui qui a prouvé qu’il ne veut pas respecter la loi. Arrêter de prononcer un sursis avec mise à l’épreuve après la 39e condamnation ! » . Il va plus
loin en souhaitant « un milieu carcéral qui ne donne pas
envie d’y revenir » . Dans le respect de la dignité des détenus, il demande la rigueur, l’isolement carcéral, l’obligation de travailler gratuitement pour la société en réparation du fait commis, le fait de mériter ses remises de peines, le fait d’être sanctionné sévèrement en cas d’agression au personnel pénitentiaire, futce par des menaces.
À travers ces quelques éléments majeurs dans l’approche de l’exercice de l’application du droit, Frédéric Almendros a tenu à défendre une justice qui soit à la fois humaine, juste, libre, indépendante, ferme : en un mot, une justice qui soit « exemplaire » ! Que pourrait-on attendre de mieux ?