Le «chapô» du marronnier
Par marronnier, on désigne, en argot journalistique, un sujet qui revient de façon cyclique, au fil des saisons, comme la feuillaison des arbres. Sempiternellement, parce que cela concerne des thèmes imposés par l’actualité récurrente, on consacre de nombreux articles et chroniques au défilé du 14-Juillet, aux fêtes de Noël, au baccalauréat, à la rentrée scolaire, au Tour de France, au Festival de Cannes, au beaujolais nouveau...
Si l’actualité «n’a pas de talent», on peut entamer le traitement de ces marronniers avec quelque avance, mais cela doit rester raisonnable. On ne va pas énumérer en janvier les régimes amaigrissants qui donneront une belle silhouette, sur la plage, aux juillettistes et aux aoûtiens ; il serait insolite et prématuré de présenter dès avril aux fans de ski les matériels nouveaux ; parler aux mélomanes, en décembre, des festivals de musique qui… devraient se dérouler de fin juin à fin septembre serait plus que téméraire et risqué – et, bien évidemment, les lecteurs auraient tout le temps… d’oublier ces informations !
Une autre catégorie de marronniers est à la disposition des journalistes quand l’actualité est des plus quelconques et ne présente qu’un intérêt «modéré» : à savoir des sujets qui, quelle que soit la date, intéressent, voire passionnent, le grand public. Citons, sans ordre : le palmarès des cliniques et hôpitaux, les salaires des hauts fonctionnaires, les revenus des professions libérales, la fortune des «pipole[s]», le classement des meilleurs établissements scolaires, les sectes et sociétés secrètes, les vins de l’année, etc. Il est devenu rare de voir surgir, parmi les marronniers, le fameux «Nessie», le très hypothétique monstre du loch Ness, en Écosse. Itou pour le yéti, ou yeti, qui hanterait les sommets himalayens…
D’après les datations retenues par les lexicolo- gues et lexicographes, cette acception journalistique de marronnier ne se serait répandue qu’à partir des années 1950.
Marronnier ou pas, un article doit être mis en évidence, doit être bien «vendu», par sa titraille. C’est-à-dire par au moins deux des trois éléments suivants : un surtitre, un titre principal et un sous-titre, le gros titre étant bien sûr indispensable. À cette titraille s’ajoute, toujours pour capter l’attention du lecteur, ce que l’on appelle un chapeau, un terme que, traditionnellement, on écrit ; chapô, avec un «chapeau», justement (surnom familier de l’accent circonflexe). C’est un texte d’introduction qui… «coiffe» l’article.
Le chapô est généralement composé en caractère gras ou en italique, dans un corps plus gros que celui du caractère romain adopté pour l’article.
Rédiger un chapô est tout un art, car ce texte de trois ou quatre lignes doit résumer l’essentiel de l’information, de façon à satisfaire un lecteur qui serait pressé, mais sans trop en dire, de façon à appâter même ce lecteur qui est dans la hâte et à le convaincre de lire tout le «papier», jusqu’à la
chute. Le chapô réunit donc avec maestria la notion de résumé et celle d’accroche… La présence d’un chapô n’empêche pas du tout, d’ailleurs, de reprendre sa teneur dans ladite accroche, c’est-à-dire dans les toutes premières lignes d’un article. Sachant très bien que des lecteurs peuvent passer directement de la titraille au texte, en sautant la lecture du chapô, les rédactions n’hésitent pas, et elles ont raison, à «redonder» ainsi pour mieux capter le regard et retenir l’attention. On dit parfois plaisamment, alors, qu’on a assuré «par une ceinture et par une paire de bretelles» !