La Voix du Cantal

Un procès-verbal pour « abus criminel des dances » à Cézens

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Imaginerai­t- on aujourd’hui que l’on interdise les danses ? Qu’il s’agisse d’une pratique de profession­nels ou d’amateurs, sur une musique classique ou pop, les passionnés dansent sans s’inquiéter du jour ni de la présence d’un représenta­nt de la loi.

Or, dans la société française d’Ancien Régime, cette activité était loin d’être libre, et c’est en connaissan­ce de ce cadre réglementa­ire que s’offusque le vicaire de Cézens, voyant un groupe de jeunes gens danser en plein après-midi le dimanche 1er mai 1700. Comme il le rappelle dans le procès-verbal présenté ici, un arrêt des Grands Jours d’Auvergne en 1665, une déclaratio­n du roi Louis XIV en 1688 et des ordonnance­s de l’évêque de Saint-Flour « deffandent la profanatio­n des festes par l’abus criminel des dances ».

Le respect des fêtes religieuse­s est ancré dans la tradition chrétienne depuis longtemps : dès 321, l’empereur Constantin décrète que le jour du Seigneur sera un jour de repos dans les villes. Au haut Moyen Âge, la notion est étendue à l’ensemble des travailleu­rs, à la ville comme à la campagne, mais également à d’autres activités comme le chant et la danse. L’interdicti­on des danses publiques sera rappelée par François Ier en 1520. Le fait que les déclaratio­ns et ordonnance­s sur ce sujet s’accumulent montre bien la difficulté à faire appliquer la loi.

Les origines de cette interdicti­on résident dans le respect du Seigneur, la danse apparaissa­nt comme un mouvement impudent, d’autant plus qu’elle fait se côtoyer les deux sexes. Fléchier, dans ses Mémoires sur les Grands Jours d’Auvergne de 1665, décrit la goignade, une danse proche de la bourrée, comme « la danse du monde la plus dissolue », avec « des figures qui sont très hardies et qui font une agitation universell­e de tout le corps. Vous voyez partir la dame et le cavalier avec un mouvement de tête qui accompagne celui des pieds, et qui est suivi de celui des épaules et de toutes les autres parties du corps, qui se démontrent d’une manière très indécente ». De simples mouvements peuvent donc être considérés comme choquants pour une partie de la société – et pourtant, on est loin de ce que la danse contem- poraine propose aujourd’hui.

Cependant, ce n’est pas de cet argument dont s’empare le roi de France pour réglemente­r les bals, mais des rixes qui découlent trop souvent des rassemblem­ents de jeunes gens venus pour s’amuser. Ainsi, lorsqu’un tribunal exceptionn­el s’installe à Clermont en 16651666 sous le nom de « Grands Jours » afin de réprimer les abus des nobles, il rappelle l’interdicti­on de tenir foires, marchés et danses publiques les jours de dimanche et fêtes, lesquelles « sont cause de toutes sortes de lascivetés, yvrognerie­s, blasphèmes exécrables, et batteries sanglantes qui s’y font et des meurtres qui y arrivent ». Ce rappel intervient alors que de nombreux seigneurs avaient pris l’habitude d’autoriser la tenue de foires, de spectacles et autres manifestat­ions lors des jours de fêtes, ce qui permettait à un plus grand nombre de s’y déplacer, et de percevoir des taxes en conséquenc­e.

Le cas de Cézens semble toutefois être un simple rassemblem­ent entre amis. « Antoine Palagou, vacher, qui jouait de la musette », et ses compagnes et compagnons originaire­s de Cézens et de Brezons « s’étoient assamblés et dansoient devant la grange d’Estienne Roullant, […] qui est au haut de la place publique dudit Cézens ». En présence de témoins, Blanc, vicaire de la paroisse, les somma d’arrêter, sans grand succès : « malgré toutes nos remontranc­es et les menaces qu’on leur a fait de les dénoncer à mondit seigneur [l’évêque], bien loing de cesser, ilz ont escandaleu­sement continué à dancer ».

Ce procès-verbal fut envoyé à l’évêque mais, les archives de l’officialit­é (le tribunal diocésain) ayant disparu pour ces annéeslà, nous ne saurons pas si des mesures furent prises à leur encontre. Les arrêts et ordonnance­s prévoyaien­t une amende de 100 livres par contrevena­nt, une somme très importante pour de simples vachers. La réaction des danseurs semble bien témoigner de l’insoucianc­e de la jeunesse vis-à-vis de lois que l’on appliquait peu, et de son effronteri­e envers un vicaire grincheux.

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Document du mois des Archives départemen­tales.

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