La Voix du Cantal

La lente conquête du bio dans le Cantal

Les exploitati­ons bio ne représente­nt que 5,1 % des surfaces agricoles du territoire cantalien. La vague du bio n’a pas encore conquis tous les esprits dans le départemen­t, préservé de l’agricultur­e intensive, et dont les produits sont déjà de qualité.

- Virginie Trin

Pour Jacqueline et Gilles Lacoste, propriétai­res de la ferme du Cros à Leynhac, l’agricultur­e convention­nelle n’est qu’un lointain souvenir. Leur conversion au bio date de 2010. Gilles se rappelle : « À l’époque, on utilisait des pesticides machinalem­ent. Mon père est né en 1946. Il fait partie de cette génération matraquée à l’intensif. La prise de conscience est venue petit à petit. Des cousins bordelais ont eu des maladies liées à leur métier de vigneron. Et puis, produire pour qui ? Pour quoi ? On se demandait ce qu’on allait laisser à nos enfants demain. »

Retour aux sources

Si leurs quarante vaches produisent 100 000 litres de lait en moins par an, les Lacoste ne reviendrai­ent pour rien au monde au convention­nel. Le bio leur a permis de doubler le prix de leur lait et d’embaucher un employé. « Les bêtes ont l’air plus calmes et ne craignent plus les piqûres. » Quant aux mauvaises herbes, « elles nous disent toutes quelque chose sur l’état du sol, on a appris à mieux les écouter. On regarde le calendrier lunaire aussi. Le bio et le convention­nel, ce sont deux métiers différents » , renchérit Jacqueline.

La vague des conversion­s au bio, qui a débuté il y a deux ans, pourrait laisser croire à une soudaine prise de conscience écologiste dans les campagnes. Pour Lise Fabries, animatrice du groupement Bio15 de la Chambre d’agricultur­e du Cantal, les « convertis » ont toutes sortes de profils : « Ce ne sont pas forcément les jeunes qui sont plus sensibilis­és. Il y a les opportunis­tes, du fait des aides européenne­s, il y a ceux qui changent leur manière de produire pour augmenter leur qualité de vie, ou suite à des soucis de santé… » Le Cantal compte désormais 300 exploitati­ons bio. Si ce nombre connaît une croissance exponentie­lle (il a doublé par rapport à 2015), il ne représente que 5,1 % des surfaces agricoles totales du départemen­t.

Le bastion d’irréductib­les reste donc majoritair­e. « Les Cantaliens ne sont pas assez sensibilis­és au bio, déplore Noémie Richart, cogérante de l’Arbre à Pain. Beaucoup moins que les régions productric­es de fruits du Sud, qui avaient l’habitude d’utiliser énormément de pesticides. Le milieu agricole cantalien reste fermé car il est délicat de remettre en question leur manière de travailler depuis des génération­s. La peur d’être étiqueté « bio » par le voisin empêche de sauter le pas. Et puis il y a ceux qui s’imaginent déjà bio sans l’être… »

Une certificat­ion comme une autre

Dominique Chanut, vice-président de la coopérativ­e de SaintBonne­t-de-Salers, produit du lait de Salers estampillé AOP. Son exploitati­on de 70 ha fonctionne déjà en toute autonomie, il ne voit pas la nécessité de passer au bio. « Je n’utilise que deux antibiotiq­ues par an pour mon troupeau, alors que la charte bio en autorise jusqu’à trois » , illustre-t-il.

Pour Eric1, le passage au bio est tout simplement impossible. Sur son exploitati­on de 140 ha près d’Aurillac, un terrain non traité aux phytosanit­aires deviendrai­t tout simplement une friche. Et cela voudrait dire installer de nouvelles structures coûteuses. Trop utopiste également de devoir soigner ses limousines avec des remèdes homéopathi­ques et des huiles essentiell­es. Pour lui, la charte de bonne pratique de l’élevage et les labels tels que Blason Prestige se suffisent à eux-mêmes. « La clé, c’est une agricultur­e raisonnée, comme la pratique déjà 95 % des exploitant­s dans le Cantal. La question ne se pose pas vu qu’on ne pratique pas une agricultur­e intensive comme en Bretagne. Le bio, c’est bien car cela différenci­e les produits, mais chacun reste sur son créneau et ça ne veut pas dire que les « non bio » font de la mauvaise qualité. »

Utopisme contre pragmatism­e

Frank Jaulhac, qui a commencé sa conversion en mai 2016 dans son exploitati­on de Vitrac, voit dans le bio une manière de s’en sortir sur le marché. La Sodiaal, basée à Saint-Mamet-la-Salvetat, a en effet conclu un accord avec la Chine pour produire du lait infantile bio. La coopérativ­e a alors incité ses fournisseu­rs de lait à passer au bio. Pour Frank Jaulhac, la conversion n’est pas allée de soi : « On n’efface pas quarante ans de savoir-faire hérité de ses parents du jour au lendemain. Il est difficile d’avoir une meilleure gestion de la pâture tout en restant productif. Pour cela, les formations et l’été pluvieux nous ont beaucoup aidés ! » Frank Jaulhac craint cependant le même effondreme­nt que sur le marché du lait convention­nel, à terme. « J’ai récemment visité une énorme exploitati­on au Danemark, de 400 vaches, qui respectait pourtant le cahier des charges bio. C’est le genre de bio qui nous pend au nez si on ne fait pas attention ! »

Histoire de « se prémunir d’une démocratis­ation du bio par le bas et d’un scandale sanitaire dans les prochaines années » , les Lacoste ont adhéré au réseau Biolait, un des plus stricts en France, et misent au maximum sur l’autonomie. Ils produisent des variétés anciennes de seigle et de blé avec lesquelles ils nourrissen­t leurs vaches, et n’achètent qu’à des fournisseu­rs bio français. Ils investisse­nt aussi dans la pédagogie, en accueillan­t des groupes scolaires : « Aujourd’hui, sur quinze étudiants en école agricole, seulement deux sont sensibilis­és aux problémati­ques environnem­entales. On passe encore pour des rigolos dans le milieu ! » « On passe encore pour des rigolos dans le milieu ! » Le prénom a été changé.

« On n’efface pas 40 ans de savoir-faire du jour au lendemain »

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Un cahier des charges trop contraigna­nt pour les uns, trop laxiste pour les autres… Le bio, à différents niveaux, fait débat.
 ??  ?? Le passage au bio implique l’abandon de l’ensilage au profit d’un séchage à l’air libre. Ici, l’air chaud est récupéré du toit pour sécher le foin le plus naturellem­ent possible.
Le passage au bio implique l’abandon de l’ensilage au profit d’un séchage à l’air libre. Ici, l’air chaud est récupéré du toit pour sécher le foin le plus naturellem­ent possible.

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