Mais pourquoi Dieu permet-il cela ?
La question, récurrente, est relancée par un prêtre oeuvrant à Manille auprès des enfants des rues (1). Des enfants souvent handicapés, plongés dans la misère des bidonvilles, confrontés aux dangers de la drogue et de la prostitution. Innocentes victimes d’injustices révoltantes loin de chez nous, mais relayées lorsque des mineurs immigrés, abandonnés, souffrent dans leurs corps et dans leurs coeurs ou même quand une jeune maman morte d’un cancer, laisse ses enfants orphelins en bas âge. Focaliser sur les enfants de Manille ou d’ailleurs est hélas réducteur car le monde des souffrances élargit ses horizons à l’infini : des pauvres fuyant la pénurie, leurrés par des passeurs, se noient en traversant la mer sur des rafiots pourris ou surchargés ; l’égoïsme et l’indifférence des plus nantis provoquent des famines et des pénuries scandaleuses ; l’envoi à la poubelle, chez nous, de 50 kg de nourriture en moyenne par personne et par an, est une honte, entretenue par le consumérisme ; le coût des armements modernes et des guerres qui les emploient pour le malheur de villes et de populations civiles plonge dans la sidération.
L’H i s t o i re fourmille d’exemples où l’homme est un loup pour l’homme. Redoutable bipède, capable du meilleur et du pire, de générosités héroïques, de crimes abjects et de dégradations irréversibles sur la Planète. Ses plus belles découvertes sont suivies d’applications ambivalentes. Elles servent le progrès mais se dévoient souvent en réalisations délétères, pour l’homme et son environnement. Une arme atomique, un cher d’assaut, un bombardier stratégique, intègrent des merveilles de technologie et de prouesses techniques. Mais vues leurs finalités, leur perfection relève de la beauté du Diable !
La part de l’homme dans les souffrances qui l’affectent est donc incontestable. Incongru d’accuser Dieu de tant de méfaits dramatiques ! Encore que la question se pose de l’intention Créateur décidant de lancer dans l’Histoire ces puissants prédateurs. et de les placer dans un environnement naturel paradoxal, où la douceur de sites et de cieux féeriques contraste avec la brutalité de cyclones, de séismes, de volcans, aux ravages redoutables d’autant plus désolants qu’ils frappent souvent les plus pauvres. En outre cette nature des choses intègre la loi de la finitude et celle du rapport à nos yeux cruel entre les prédateurs et leurs proies. Étrange Monde où la violence du plus fort croise en permanence l’astuce du plus rusé. Les becs des petits oiseaux sont des armes. Griffes, crocs et venins équipent nombre d’animaux. Les plantes elles-mêmes luttent pour la vie. Pas de roses sans épines ni d’orties qui ne piquent. Microbes et virus, facteurs de maladies et d’épidémies sévissent aussi dans cet univers. Et quand arrive l’heure de mourir une souffrance sans appel frappe le plus souvent, celles et ceux pour qui elle sonne !
La Toute puissance du Créateur serait-elle alors tenue en échec par ces déterminismes ? L’absence de réaction divine pour les contrer est-elle compatible avec la révélation de Dieu-Amour ? Le message d’un fataliste mektoub se tiendrait-il sous la distribution incessante de souffrances physiques et morales ?
En 2015, le pape s’est rendu à Manille. Une petite fille lui adressa publiquement un mot d’accueil. La voix étranglée de sanglots elle exprima l’interrogation qui titre ce billet. Tu as posé la seule question qui n’a pas de réponse ! lui répondit François. Il prit alors l’enfant dans ses bras, et resta un long moment silencieux plutôt que de chercher à cacher l’insupportable sous des propos théoriques, inopportuns, voire vexatoires et humiliants.
Jésus mourant en croix victime de l’injustice, brisé par les tortures et l’abandon des siens, a crié J’ai soif ! Inutile de se boucher les oreilles. Ce cri retentit chaque jour comme un vibrant appel à ne pas se laisser dominer par le scandale du mal mais à lui opposer quand il vient des hommes, la ténacité de combats pour la vérité et la justice, mais aussi d’où qu’il provienne, l’ouverture des coeurs, l’écoute véritable, le partage et l’entraide, la compassion jusqu’au courage du pardon qui s’oppose au mal et l’atteint à sa racine.