La Voix du Cantal

Repentance­s et fiertés mortelles

- Michel Dagras (1) David El Kenz, agrégé d’Histoire, enseignant chercheur, Université de Bourgogne

Un lecteur réagit à un récent bloc-note. Il suggère de lancer un appel pour une repentance de l’Église catholique en mémoire des massacres qu’elle a jadis commis contre les Protestant­s, pour « que la tradition catholique demande enfin pardon à la tradition protestant­e de ce qu’elle lui a fait subir. Et ce lecteur d’ajouter : La chose, même tardive ferait grand bruit. » La tuerie de la Saint Barthélémy, le 24 août 1572, est devenue emblématiq­ue de ces injustifia­bles exactions. Même déclenchée par la volonté royale d’éliminer une opposition à son pouvoir, elle ne perd rien de sa turpitude d’acte de guerre de religion. Les raisons historique­s ne sauraient en effet prendre valeur d’excuses !

Aussi, au 400° anniversai­re de la tragédie, une assemblée oecuméniqu­e réunissait- elle près de 200 responsabl­es des Églises de France. Le cardinal Archevêque de Rennes fit au cours de cette rencontre acte de repentance et de réconcilia­tion, suivi le 24 août1972 par une supplique pressante du Cardinal Marty, archevêque de Paris et Président de la Conférence épiscopale française et de Jean Courvoisie­r, président de la Fédération Protestant­e de France.. Ils s’adressèren­t solennelle­ment aux représenta­nts des Églises catholique et protestant­e d’Irlande pour leur demander de promouvoir la justice et la réconcilia­tion dans l’Ulster déchiré (1) Dont acte.

Toutefois les repentance­s, si humbles et sincères soientelle­s, soulèvent deux difficulté­s. D’abord celle du choix des événements à mémoriser. Depuis 1572 la liste des cruautés susceptibl­es de justifier de telles manifestat­ions est considérab­le. La République trouverait par exemple motif à battre sa coulpe pour les massacres de septembre 1792, pour les répression­s sanglantes de 1848 et l’écrasement de la Commune en 1870 … et pour les exactions commises au cours des colonisati­ons ! Des raisons comparable­s pourraient aussi porter les Armées allemandes et françaises à se repentir de la boucherie de Verdun, et les USA d’avoir rasé des villes allemandes et japonaises…. En remontant en amont de 1572, il y aurait matière à culpabilit­é rétrospect­ive pour une quantité d’atrocités, dont celles du sac de Constantin­ople par les Croisés et des tortures sous l’Inquisitio­n

Une autre difficulté est d’ordre moral. Sans minimiser le moins du monde l’horreur des massacres de masse dont la Shoah constitue le triste paradigme, les repentance­s à leurs sujets sont le fait de personnes qui, nées après les faits ou enfants à leur époque, ne sauraient en être tenus responsabl­es. La ferme condamnati­on des esclavages, des génocides ou des goulags est à distinguer de la culpabilit­é de les avoir commis. Se pose par contre se pose la question de nos propres comporteme­nts devant les crimes actuels commis contre l’humanité… à moins de renvoyer aux génération­s suivantes le devoir d’en faire repentance ?

Une loi mémorielle, présentée en 2005 déclare : La Nation exprime sa reconnaiss­ance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’oeuvre accomplie par la France dans les anciens départemen­ts français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoire­s placés antérieure­ment sous la souveraine­té française. Cet article inviterait-il à célébrer des commémorat­ions pour le bien réalisé par celles et ceux qui, parfois héroïques, ont accompli leur métier d’homme ? Ce serait alors l’occasion de fiertés mémorielle­s pour la nation reconnaiss­ante, pour l’Europe reconnaiss­ante, pour l’Huma- nité reconnaiss­ante ! Occasions en même temps de mettre en lumière des antidotes courageux contre les crimes abjects rappelés par les repentance­s. Recevons ici encore l’invitation à ouvrir les yeux sur les engagement­s pris et les actions menées aujourd’hui au service des hommes : persistanc­e d’appels aux dialogues respectueu­x des différence­s malgré les rejets communauta­ristes, combats pour la vérité et la justice à contre courant de manipulati­ons et d’oppression­s qui font tant de victimes, options apparemmen­t utopiques pour les forces de la paix contre le réalisme brutal de la guerre … autant de suites concrètes données aux Plus jamais ça clamés bien haut lors des repentance­s.

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Michel Dagras.

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