Repentances et fiertés mortelles
Un lecteur réagit à un récent bloc-note. Il suggère de lancer un appel pour une repentance de l’Église catholique en mémoire des massacres qu’elle a jadis commis contre les Protestants, pour « que la tradition catholique demande enfin pardon à la tradition protestante de ce qu’elle lui a fait subir. Et ce lecteur d’ajouter : La chose, même tardive ferait grand bruit. » La tuerie de la Saint Barthélémy, le 24 août 1572, est devenue emblématique de ces injustifiables exactions. Même déclenchée par la volonté royale d’éliminer une opposition à son pouvoir, elle ne perd rien de sa turpitude d’acte de guerre de religion. Les raisons historiques ne sauraient en effet prendre valeur d’excuses !
Aussi, au 400° anniversaire de la tragédie, une assemblée oecuménique réunissait- elle près de 200 responsables des Églises de France. Le cardinal Archevêque de Rennes fit au cours de cette rencontre acte de repentance et de réconciliation, suivi le 24 août1972 par une supplique pressante du Cardinal Marty, archevêque de Paris et Président de la Conférence épiscopale française et de Jean Courvoisier, président de la Fédération Protestante de France.. Ils s’adressèrent solennellement aux représentants des Églises catholique et protestante d’Irlande pour leur demander de promouvoir la justice et la réconciliation dans l’Ulster déchiré (1) Dont acte.
Toutefois les repentances, si humbles et sincères soientelles, soulèvent deux difficultés. D’abord celle du choix des événements à mémoriser. Depuis 1572 la liste des cruautés susceptibles de justifier de telles manifestations est considérable. La République trouverait par exemple motif à battre sa coulpe pour les massacres de septembre 1792, pour les répressions sanglantes de 1848 et l’écrasement de la Commune en 1870 … et pour les exactions commises au cours des colonisations ! Des raisons comparables pourraient aussi porter les Armées allemandes et françaises à se repentir de la boucherie de Verdun, et les USA d’avoir rasé des villes allemandes et japonaises…. En remontant en amont de 1572, il y aurait matière à culpabilité rétrospective pour une quantité d’atrocités, dont celles du sac de Constantinople par les Croisés et des tortures sous l’Inquisition
Une autre difficulté est d’ordre moral. Sans minimiser le moins du monde l’horreur des massacres de masse dont la Shoah constitue le triste paradigme, les repentances à leurs sujets sont le fait de personnes qui, nées après les faits ou enfants à leur époque, ne sauraient en être tenus responsables. La ferme condamnation des esclavages, des génocides ou des goulags est à distinguer de la culpabilité de les avoir commis. Se pose par contre se pose la question de nos propres comportements devant les crimes actuels commis contre l’humanité… à moins de renvoyer aux générations suivantes le devoir d’en faire repentance ?
Une loi mémorielle, présentée en 2005 déclare : La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. Cet article inviterait-il à célébrer des commémorations pour le bien réalisé par celles et ceux qui, parfois héroïques, ont accompli leur métier d’homme ? Ce serait alors l’occasion de fiertés mémorielles pour la nation reconnaissante, pour l’Europe reconnaissante, pour l’Huma- nité reconnaissante ! Occasions en même temps de mettre en lumière des antidotes courageux contre les crimes abjects rappelés par les repentances. Recevons ici encore l’invitation à ouvrir les yeux sur les engagements pris et les actions menées aujourd’hui au service des hommes : persistance d’appels aux dialogues respectueux des différences malgré les rejets communautaristes, combats pour la vérité et la justice à contre courant de manipulations et d’oppressions qui font tant de victimes, options apparemment utopiques pour les forces de la paix contre le réalisme brutal de la guerre … autant de suites concrètes données aux Plus jamais ça clamés bien haut lors des repentances.