La Voix du Cantal

« L’AOP permet de faire vivre ma famille »

Au-delà de l’aspect qualitatif, le label permet également une indépendan­ce financière bienvenue et le goût du travail bien fait. Rencontre avec le Gaec Rigaudière, basé à Ambial, près de Sainte-Eulalie qui produit cantal fermier AOP et salers AOP.

- A.C-R

Voila plus de 15 ans que Frédéric Rigaudière et sa compagne Christelle Dayral produisent du cantal et salers AOP. Un choix naturel pour l’exploitati­on, car gage de qualité et d’une meilleure rémunérati­on. La Voix du Cantal : Pourquoi produire du cantal et du salers AOP ?

Frédéric Rigaudière : Pour nous, le salers c’est du 15 avril au 15 novembre. Les vaches sont alors en pâture et se nourrissen­t à 80 % d’herbe, on parle alors de mise à l’herbe. C’est la meilleure période de l’année, car les vaches produisent un lait incomparab­le en goût et en arôme. Les vaches ne rentrent que pour la traite du matin et du soir, le reste de la journée elles sont dehors. Le cantal comble les « creux » et nous en produisons surtout du 20 mars au 15 avril. On se remet dans le bain, on relance l’atelier. C’est une période que nous appelons de mi-temps, car le lait du matin est utilisé pour le fromage, celui du soir pour une coopérativ­e, contrairem­ent au salers où tout est utilisé pour la production du fromage. VDC : Le Salers est un fromage plus exigeant ?

En quelque sorte. Il demande surtout de la rigueur. Le lait est directemen­t utilisé après la traite. On n’a pas le droit de réchauffer ou refroidir le lait. On trait les vaches, on place le lait dans la gerle en bois et on le transforme dans la foulée. C’est aussi un AOP exclusivem­ent fermier, vous ne trouverez pas de salers fait en coopérativ­e ou en laiterie. C’est aussi une filière propre à l’exploitati­on, on ne peut pas prendre le lait d’un copain (rire) pour faire son fromage. VDC : Et vous produisez sans la race Salers ?

Il n’y a que le label Salers Tradition qui doit utiliser exclusivem­ent des salers. Ici, nous avons un cheptel de cinquantai­ne « red Holstein » qui produisent chacune une vingtaine de litres par jour. C’est une race fiable qui, si on ne la brusque pas, donne un très bon lait. Nous ne faisons pas d’élevage intensif. Nos vaches tournent autour de 6 500 litres par an, contre 10 000 pour des sites de production industriel­le. Nous cherchons avant tout à produire un bon lait sans voir la quantité. VDC : Pourquoi ce choix ?

C’est avant tout un choix familial, mon père produisait du lait avec des « pies rouges des plaines ». La salers produit moins et demande beaucoup plus d’attention, notamment lors de la traite où, si elle n’a pas son veau elle ne donnera rien. Pour résumer cela fait beaucoup plus de boulot pour produire moins. Il faudrait du personnel en plus. De mon point de vue, on a aussi perdu le berceau laitier de la race Salers, mis à l’écart il y a 25-30 ans. Aujourd’hui la race est beaucoup plus axée sur la viande. Dans le secteur, il doit y avoir 6 producteur­s en Salers tradition. VDC : Produire sans Salers impact alors le goût du fromage ?

Ce n’est pas vraiment « la couleur » de la vache qui fait le fromage, mais ce qu’elle mange. L’alimentati­on est primordial­e. Imposé de la Salers pour du Salers plomberait le volume et menacerait la filière, qui compte tout de même 70 producteur­s. La race en elle-même joue bien sûr un peu sur le produit fini, car certaines races sont plus performant­es pour le lait, mais seulement les fins connaisseu­rs verront la différence. Dans le même ordre d’idée, une salers qui est mal nourrie donnera un lait médiocre, la race ne fait pas tout. De plus, plus une vache produit moins son lait sera fromageabl­e, la matière grasse va diminuer comme la matière protéique. Pour résumer, c’est un travail global qu’il faut pratiquer pour avoir un bon fromage, il faut prendre en compte beaucoup de facteurs et pas seulement la race. VDC : Du côté du label, est-il difficile à obtenir ?

Il y a 15 ans de ça, il n’y avait pas vraiment d’encadremen­t. On avait une zone géographiq­ue et c’est tout. Depuis la réforme (de 2007), les conditions sont plus strictes et c’est bien normal. Aujourd’hui, nous avons un contrôle annuel, sur l’alimentati­on des vaches (pas d’ensilages, de coproduits…), le respect du cahier des charges, la qualité du fromage. Tous nos fromages sont « gradés » par le CIF, et obtiennent une note de 0 à 20. En dessous de 11, on est menacé de déclasseme­nt. Au bout de trois avertissem­ents, l’AOP peut nous être supprimé et il est alors très difficile de l’obtenir de nouveau. Pour nous, le label permet une valorisati­on du produit et un gage de qualité pour nos clients. VDC : Du coup, vous préférez la nouvelle formule de l’AOP ?

Comme avant, la filière se serait effondrée. Il fallait tirer le produit vers le haut. Nous passons 10 heures par jour pour nos bêtes et nos fromages et je ne me plains pas. Au moins je sais ce que je produis. Je préfère maintenant, sans hésiter. VDC : Au final, que représente l’AOP pour vous et votre famille ?

C’est avant tout une sécurité financière. Si je me contentais de produire du lait et de le vendre à une coopérativ­e, je ne dégagerais qu’un seul salaire. Sans le fromage, avec 50 vaches, je ne pourrais pas faire vivre ma famille. Il y a aussi la satisfacti­on de produire bien et de montrer l’exemple à ses enfants. Je ne quitterais le label pour rien au monde (sourire).

« Nous cherchons avant tout à produire un bon lait »

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Christelle Dayral participe également au processus de fabricatio­n et anime le point de vente du Gaec.
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Une fourme de 40 kilos de salers, tenue par Frédéric Rigaudière.

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