AOP Cantal : quelle garantie d’authenticité ?
Un reportage avait pointé du doigt l’appellation
Il est une fierté du département. Le cantal fait partie des fromages les plus renommés en France et se retrouve bien souvent sur les tables et plateaux de fromages après un bon repas en famille. Le savoir-faire de ses producteurs est reconnu depuis 1956 par l’Appellation d’Origine Protégée (AOP). Un label valorisant une fabrication traditionnelle, selon des techniques ancestrales. Mais l’AOP offre-t-il un cadre suffisant pour garantir la qualité et offrir au consommateur une indication claire sur la provenance du produit, la manière dont il est fabriqué et le lait utilisé ? Nous avons voulu en savoir plus et remonter l’historique de cette appellation, vieille de plus de 60 ans. Et il s’avère qu’en réalité, l’AOP Cantal n’a pas toujours été ce qu’il est aujourd’hui. Depuis sa création en 1956, beaucoup de choses ont évolué sur la manière de fabriquer le fromage.
Un nouveau décret en 2007
Pour répondre à nos questions, nous avons voulu nous renseigner auprès de Michel Lacoste, producteur d’AOP Cantal et Président du Comité Interprofessionnel des Fromages du Cantal (CIF), qui a participé à l’élaboration du dernier décret datant de 2007, définissant le cahier des charges de la fabrication de l’AOP Cantal. Celui-ci le reconnaît, entre 1956 et 2007, « la méthode de production n’était pas claire » .
Si certaines règles étaient édictées, telles que la zone de production des fromages, ainsi que la forme des fourmes (circonférence, poids…), d’autres restaient alors très vagues. « Il n’y avait rien sur la façon de transformer le lait, ou même sur l’alimentation des vaches, indique Michel Lacoste. Nous avions donc énormément de fromages différents car des producteurs n’avaient pas de cadre » .
En 2007, un nouveau décret est donc signé (voir encadré). « L’objectif était de changer d’orientation car nous risquions de perdre l’appellation. Il fallait renforcer le cadre pour valoriser davantage le produit » .
Ce renforcement s’est donc fait en 3 axes : d’abord l’alimentation des animaux. « L’élément fort, souligne Michel Lacoste. L’alimentation doit être faite principalement à base d’herbe et de pâturage » . Coproduits et aliments complémentaires issus de produits non transgéniques sont aussi autorisés.
Second axe : la transformation du lait, c’est-à-dire « un retour à la fabrication traditionnelle. Le lait est caillé, puis pressé pour former les tomes. On laisse reposer avant de procéder au broyage. Il est ensuite mélangé avec le sel puis remonté en pièce. Une opération qui n’était pas complètement respectée avant » , explique Michel Lacoste.
Enfin, dernier axe : la durée d’affinage a été définie plus clairement pour chaque gamme de cantal (jeune, entre-deux, vieux), et celle-ci doit être de « 30 jours minimum » pour un cantal jeune.
« Nous risquions de perdre l’appellation »
4 producteurs sur 10 écartés
Avec des règles plus strictes, ce nouveau cahier des charges a conduit la filière à se remettre en question. Selon Michel Lacoste, « cela a écarté 4 producteurs sur 10, pour des raisons volontaires ou non. Il faut savoir que ce nouveau règlement nécessitait de nombreux investissements pour des producteurs qui n’en avaient pas forcément les moyens : du temps, de la main-d’oeuvre, plus de place dans les caves d’affinage… Tout cela n’est pas neutre » .
Depuis 2007, les évolutions de l’appellation ont donc permis de voir arriver sur le marché des fromages au goût plus similaires qu’auparavant, car fabriqués de manière beaucoup plus encadrée. Pourtant, les mentions du décret ne précisent pas certains éléments qui peuvent paraître étonnants pour certains, comme la race des vaches utilisées pour produire l’AOP Cantal. Le décret mentionne uniquement que le lait utilisé doit provenir « de troupeaux laitiers composés de vaches ou de génisses nées et élevées sur la zone de production du lait ». Si l’on a tendance à croire que le cantal est fabriqué avec du lait de vache Salers, ce n’est donc pas forcément le cas, et ce n’est donc pas non plus une obligation. Une question sur laquelle Michel Lacoste précise : « La race amène une particularité, mais il y a d’autres éléments qui entrent en jeu et ce qui joue le plus, c’est l’alimentation. Si on n’alimente pas correctement une vache Salers, alors elle ne fera pas du bon lait. La qualité doit être un ensemble, et s’il n’y a pas la cohérence de l’ensemble, alors on ne fera pas un produit de bonne qualité » . Par ailleurs, le président du CIF mentionne également que « le cantal fabriqué avec du lait de vache Salers peut bénéficier d’une mention valorisante « fromage issu du lait de vache Salers », inscrite sur le packaging du fromage. Cela traduit une volonté de valoriser la filière traditionnelle » . Celui-ci tient par ailleurs à souligner que l’AOP « engage le respect des traditions et authentifie l’origine géographique du produit. Ce n’est pas le Label Rouge, qui garantit une qualité supérieure du produit » .
Des contrôles tous les ans
Aujourd’hui, ce sont 1 300 producteurs de lait qui sont répartis dans le département. Des producteurs, qui ont parfois recours à des firmes industrielles pour collecter et transformer leur lait. C’est le cas de la fromagerie Sodiaal à Saint-Mamet « 1er employeur du secteur » , souligne Michel Lacoste, mais aussi de Lactalis à Riom-ès-Montagnes, qui représente 200 emplois. « Ce n’est pas négligeable ! » indique Michel Lacoste, pour qui travailler avec ces industriels offre des opportunités nouvelles, et n’est pas forcément synonyme de mauvaise qualité. « C’est réducteur de dire que les industriels font forcément de la mauvaise qualité. Un producteur fermier est contrôlé en moyenne tous les 4 ans par un syndicat de l’appellation, ainsi que par des organismes indépendants. Un industriel, lui, est contrôlé tous les ans et 95 % de leurs fromages sont notés avant d’arriver sur le marché » .
Une chose est sûre, l’AOP Cantal ne s’est pas faite en un jour, et pour le président du CIF, des évolutions du décret peuvent encore être possibles. « Le CIF demande notamment certains repositionnements. Il y aura certainement un travail sur la gamme cantal. Aujourd’hui, on vend essentiellement du jeune et de l’entredeux. Nous allons peut-être revoir la gamme plutôt en deux temps. Nous avons des fourchettes dans les durées d’affinage pour chaque gamme, ce qui fait qu’on se retrouve au final avec certains cantal jeunes plus forts que d’autres, de même que pour des entre-deux plus doux ou plus forts, selon les durées d’affinage. Nous voulons ainsi pouvoir mettre des repères d’affinage précis pour aider le consommateur à s’y retrouver » . Le CIF compte également travailler sur la production laitière en elle-même, en mettant l’accent sur le bien-être animal. Si Michel Lacoste estime qu’il reste encore quelques progrès à faire, et ne se dit pas contre certaines évolutions du décret, il reste cependant prudent. « On ne peut pas non plus tuer la filière. Être plus strict sur les races de vache par exemple reviendrait à nous planter un couteau dans le dos… » .
Car au-delà de garantir un savoir-faire authentique auprès du consommateur, l’AOP est également une opportunité pour les producteurs fermiers. « Aujourd’hui la production fermière est en plein développement car la demande des consommateurs est en hausse, confie Michel Lacoste. L’AOP est une chance pour eux. Cela leur offre des débouchés sur un marché déjà existant » .
Depuis sa création, l’AOP Cantal a donc évolué de manière non-négligeable, et évoluera potentiellement encore. Si des améliorations sont encore à envisager, il n’en reste que le cadre, redéfini en 2007, offre au consommateur une garantie de fabrication selon des méthodes traditionnelles, mais permet également aux producteurs de bénéficier d’un cadre suffisant pour bénéficier d’une appellation valorisante, avec des contraintes suffisantes pour maintenir une production raisonnée.