Invulnérables ?
Un séminaire de Rentrée s’est récemment tenu sur un thème au premier abord étonnant : Vulnérabilités et innovation sociale(1.) Ce fut l’occasion de lancer des passerelles suggestives entre des pratiques bénévoles de grande qualité humaine et des approches bibliques, historiques et sociétales. Les actes de ce séminaire seront publiés. Mais déjà quelques points d’attention méritent d’être relevés avec quelques prolongements à leur ajouter.
La vulnérabilité n’a pas bonne presse ! Le modèle d’homme généralement présenté dans les médias et si souvent adopté dans la vie courante est celui d’un individu fort, plus fort que les autres même ! Le symbole du podium olympique se pose ici comme un idéal à atteindre. Le champion qui reçoit l’or sur la plus haute marche est acclamé. Ceux qui n’ont même pas pu mériter le bronze disparaissent, vite oubliés des médias. Les sports d’équipe se soumettent aux mêmes principes quand l’obsession de gagner l’emporte sur le plaisir de jouer !
Moins ludique, la transposition sur terrain industriel ou commercial tourne au tragique. Une lutte sans merci oppose en effet celles et ceux, tous battants, qui veulent accéder à la position de number one. encore que leur succès gardera toujours le goût du provisoire car la concurrence ne baisse pas les bras pour détrôner les winners en place. Par une sorte de résonance quasi culturelle le désir d’invulnérabilité se diffuse partout. Il atteint tant les étudiants que les professionnels quand les uns et les autres jouent des coudes pour parvenir au premier rang de la réussite. Ce désir de toute puissance devient même sidérant quand les Grandes puissances se livrent à une escalade nucléaire les conduisant à disposer de capacités destructrices qui dépassent de plusieurs dizaines de fois l’over killing(2).
Dramatique vulnérabilité maximale ! Mais croyons-nous vraiment ce que nous savons ? Et si la recherche de l’invulnérabilité par les progrès techniques portait en elle-même les semences de son propre échec ? Les bouchons sur la rocade blessent le moral de chauffeurs mécontents de leur sort, pourtant installés dans des merveilles de technologie et de confort ! Et que dire de l’obsolescence programmée de matériels sophistiqués, du traitement des cultures par des intrants chimiques aux effets pervers sur la santé des consommateurs, de la dégradation de l’environnement et même d’effets inquiétants prévisibles entraînés par le transhumanisme ?
On objectera que la Nature pratique depuis toujours la loi du plus fort, encore que le prédateur repu cesse de tuer … en attendant que la faim ne le pousse à repartir en chasse. L’homme outre passe la struggle for Life car, même comblé, il continue d’agresser, de blesser et de se blesser,en joignant au meilleur de ses découvertes le pire de leurs applications.
Malheur aux vaincus ! hurlaient les romains au spectacle des combats du cirque. Faudrait-il crier à l’unisson Malheur au vainqueurs ? A moins que les blessures de la vulnérabilité n’ouvrent sur des espaces méconnus, enfermés sous les masques du paraître, sous les démonstrations de force et sous les glorioles de la réussite. Des espaces où l’intime vérité de la condition humaine peut se manifester sur la base de nouvelles donnes. Celles de regards et d’écoutes respectueux à l’adresse de personnes irréductibles à la condition d’objets de plaisir ou de profit, d’admiration ou de mépris. Qu’elle provienne de la maladie, de la fin de vie, d’échecs, de deuils ou de détresses accumulées, la vulnérabilité offre ainsi à chacun de prendre contact avec l’homme nu, sujet d’une dignité infinie, quelles que soient ses blessures. Les soigner s’impose certes mais avec l’engagement de participations mutuelles aux antipodes de l’assistanat. L’innovation sociale colle alors à la peau de l’expérience. Elle quitte le jeu de systèmes broyeurs indûment présentés comme des expressions d’une loi naturelle immuable. S’ouvrent alors des espaces inattendus pour des innovations humanisantes. Déjà la société civile ne manque pas d’en donner des exemples où oser la confiance empêche le monde du toujours plus d’étouffer celui de l’être plus. (1) IERP 20-21 octobre 2017 ( 2) Concept désignant la capacité nucléaire capable de rayer l’humanité de la surface de la Terre