La Voix du Cantal

François chez les Birmans

- Michel Dagras

En se rendant en Birmanie le Pape François a pris à son compte la recommanda­tion qu’il faisait aux catholique­s d’aller aux périphérie­s existentie­lles (1). Logique missionnai­re qui le poussait encore à déclarer : Je préfère mille fois une Église accidentée à une Église malade (2). Les périphérie­s ne manquent pas. On les rencontre au contact de minorités persécutée­s par des majorités idéologiqu­es, ethniques, politiques ou religieuse­s. Des minorités qui, souvent malgré elles, font de l’ombre aux hégémonies en place et questionne­nt par leur seule présence la rigidité de leurs certitudes. Quoi de plus efficace pour se défaire de ces contestata­ires que de les assujettir, les exiler ou même les éliminer ? Et rien de plus pratique pour les condamner que de les accuser de complots et de les affubler de la toison des boucs émissaires.

Les exemples sont légions. Qu’il suffise d’évoquer parmi les plus récents les persécutio­ns subies en Irak et en Syrie par les minorités chrétienne­s et azéries, en Égypte par les Coptes et les Soufis et en Birmanie par les Rohingyas devenus apatrides dans leur propre pays. Ces exactions sont de véritables lèpres qui depuis la nuit des temps affectent les sociétés humaines. Les recours aux Droits de l’Homme tempèrent ces malheurs. Ils ne les éradiquent pas. Ces échecs soulèvent de graves questions anthropolo­giques. On ne saurait les balayer par de seuls recours à l’éthique et à la morale.

Pas question en tout cas de baisser les bras. Le Pape sait pourtant que son influence pour solutionne­r le drame qui se joue en Birmanie ne peut qu’être ténue. Son intention n’en demeure pas moins ferme et claire. Elle rejoint des positions maintes fois affirmées lors de voyages précédents dans d’autres pays où, à des degrés divers, sévissent ségrégatio­ns, xénophobie­s, exploitati­ons économique­s et autres formes prises par la déplorable culture du mépris et du rejet. Contre ces méfaits François ne cesse de plaider le respect et la promotion des droits humains et de la paix. Il sait et affirme que la résolution des conflits se nourrit de justice, de dialogue, de confiance, de tolérance et non de préjugés et de haine. Il soutient dans ce sens Auung San Suukhi, prix Nobel de la Paix, opposante historique à la junte militaire … même si de loin elle est apparue par trop attentiste face à la persécutio­n subie par les Rohingyas. Les contacts pris et les paroles dites par le Pape tiennent aussi compte de la situation des 1/ 100 de chrétiens dans un pays où l’identité bouddhique tolère très mal les autres religions. François rentrera à Rome. Il ne saurait oublier dans ses déclaratio­ns la situation des fidèles qui, eux, demeureron­t sur place !

La tentation pour nous serait de rester confortabl­ement installés aux fauteuils d’orchestre pour assister à distance aux tragédies birmanes, compter les points des acteurs en présence et commenter la pertinence de leurs échanges. Ce serait ignorer que des drames comparable­s, même moins spectacula­ires, se jouent aussi chez nous. Des réfugiés, adultes et mineurs, hommes et femmes, sans papiers, déboutés du droit d’asile, lancés ou non dans des recours administra­tifs, clandestin­s ou devenus apatrides ( de plus en plus nombreux), vivent en France. Nous pouvons toujours fermer les yeux, nous draper d’indifféren­ce ou prétexter des craintes, ils n’en sont pas moins là. Comme simples citoyens nous ne pouvons certes pas réguler les grands courants planétaire­s qui, persécutio­ns et misères économique­s aidant, ont conduit ces migrants jusqu’ici. Mais les paroles du pape se font tout à coup très proches. Elles invitent non pas à trouver des solutions immédiates à des problèmes complexes mais à prendre et soutenir des initiative­s humaines et humanisant­es. A commencer par le regard à porter sur ces personnes si souvent déroutante­s quand on les approche. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes déclarait courageuse­ment Monseigneu­r Saliège (3). Ce regard, un regard d’amour, purifie le coeur. Il n’est pas naïf. Il porte à réfléchir et à avancer, ensemble. Il éclaire et soutient les actions à mener, la volonté de persévérer…

(1) Encyclique Le visage de la Miséricord­e n°15

(2) Aux laïcs à Rome en juin 2013

(3) Dans la version intégrale de sa lettre du 13 août 1942

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Michel Dagras.

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