De Rangoon à Dacca
Les deux étapes du récent voyage du Pape François en Asie ont d’abord donné l’impression que le représentant au sommet des catholiques se livrait à une démarche à fonds perdus. Les décalages religieux et culturels qui séparent Rome de Rangoon et de Dacca sont en effet considérables. Les minorités catholiques se découvrent dans ces deux pays à la loupe et les problèmes locaux donnent à toute prise de position extérieure un goût d’ingérence étrangère. Sauf quand la mondialisation porte à la connaissance de tous des actes qui heurtent la conscience humaine la plus élémentaire. Indignez vous ! titrait il y a sept ans Stéphane Hessel.
L’impératif demeure d’actualité. On peut ainsi penser que la parole du Souverain Pontife fut d’abord motivée par le sort insoutenable subi en Birmanie par la population rohingyas. A cette première interprétation s’adjoint sans conteste possible la foi d’un chrétien qui considère tout homme comme un frère sacré au nom de sa qualité irréductible d’image de Dieu et même porteur de sa présence.
Concrètement la démarche de François s’avérait assez complexe. Elle devait associer vérité et respect, diplomatie et courage. Le Pape était précédé par des réactions internationales critiques. Elles inclinaient ses hôtes birmans à regarder de travers sa venue parmi eux. Au point que la prudence interdit au visiteur de citer le terme de Rohingyas dans ses interventions. Cet accueil précautionneux est à souligner d’autant plus que les bouddhistes ont chez nous la réputation de cultiver la tolérance, la compassion, la non-violence … De quoi déchanter en constatant que des rigorismes intégristes sont capables de cadenasser et de pervertir les doctrines les plus ouvertes, jusqu’à bafouer par des comportements meurtriers les valeurs qu’elles prônent. Ce mal ne touche pas seulement le bouddhisme birman actuel. Il a dressé au 19° siècle des moines tibétains contre de pacifistes missionnaires. Comme il avait contaminé ailleurs et plus tôt des disciples du Christ sous l’étendard de croisades et de guerres de religion. Les cavaliers d’Allah le Miséricordieux n’ont pas non plus fait dans la dentelle en s’imposant par la force au Maghreb ou en sévissant de nos jours sous les bannières de Daech. Veillez ! commande aujourd’hui aux chrétiens la spiritualité de l’Avent. L’impératif n’est pas superflu. Les turbulences de préjugés et de ressentiments sont capables de dévoyer un Message qui va pourtant jusqu’à demander l’amour des ennemis !
Un autre étonnement bouscule de fréquents a-priori. Au Bangladesh, le peuple, ses responsables, sa Constitution sont musulmans jusqu’au bout des ongles. On attendrait qu’ils persécutent les chrétiens comme comme le sont chez leurs voisins les infortunés Rohingyas. Des chrétiens bengalais – nous en connaissons chez nous – ont dû effectivement s’exiler pour fuir exactions et persécutions. Mais force est de constater que l’accueil du Pape chez eux fut très bienveillant. Les autorités maintinrent l’apparat des réceptions officielles et une grand messe fut célébrée au lieu emblématique de la révolution d’où naquit l’État actuel. Dans ce contexte le Pape put désigner par leur nom les victimes de l’extrémisme du pays voisin. Il reçut publiquement seize membres du peuple exilé. Il porta une grande attention à leurs témoignages. Ce fut un moment très émouvant. Le regard de François empreint d’une douloureuse gravité, son visage exprimant peine et compassion. Des hommes et des femmes lui disaient les souffrances endurées et leur gratitude pour sa présence. Le Pape put même prononcer au cours de sa visite des paroles surprenantes pour qui ignore – ou oublie ! - l’originalité de la foi chrétienne : La présence de Dieu aujourd’hui s’appelle aussi Rohingya. Comment ne pas retrouver en filigrane de cette affirmation la parole sacrée consignée dans les Évangiles : Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait (1).
Rangoon-Dacca deux étapes avec des préjugés à faire tomber, des appels à espérer contre toute espérance, des courages à tisser de prudence, des témoignages à libérer de simplifications médiatiques. Pour éveiller et stimuler ici et maintenant des comportements de pèlerins d’humanité. (1) Évangile de St. Mathieu 25,40.