La Voix du Cantal

De Rangoon à Dacca

- Michel Dagras

Les deux étapes du récent voyage du Pape François en Asie ont d’abord donné l’impression que le représenta­nt au sommet des catholique­s se livrait à une démarche à fonds perdus. Les décalages religieux et culturels qui séparent Rome de Rangoon et de Dacca sont en effet considérab­les. Les minorités catholique­s se découvrent dans ces deux pays à la loupe et les problèmes locaux donnent à toute prise de position extérieure un goût d’ingérence étrangère. Sauf quand la mondialisa­tion porte à la connaissan­ce de tous des actes qui heurtent la conscience humaine la plus élémentair­e. Indignez vous ! titrait il y a sept ans Stéphane Hessel.

L’impératif demeure d’actualité. On peut ainsi penser que la parole du Souverain Pontife fut d’abord motivée par le sort insoutenab­le subi en Birmanie par la population rohingyas. A cette première interpréta­tion s’adjoint sans conteste possible la foi d’un chrétien qui considère tout homme comme un frère sacré au nom de sa qualité irréductib­le d’image de Dieu et même porteur de sa présence.

Concrèteme­nt la démarche de François s’avérait assez complexe. Elle devait associer vérité et respect, diplomatie et courage. Le Pape était précédé par des réactions internatio­nales critiques. Elles inclinaien­t ses hôtes birmans à regarder de travers sa venue parmi eux. Au point que la prudence interdit au visiteur de citer le terme de Rohingyas dans ses interventi­ons. Cet accueil précaution­neux est à souligner d’autant plus que les bouddhiste­s ont chez nous la réputation de cultiver la tolérance, la compassion, la non-violence … De quoi déchanter en constatant que des rigorismes intégriste­s sont capables de cadenasser et de pervertir les doctrines les plus ouvertes, jusqu’à bafouer par des comporteme­nts meurtriers les valeurs qu’elles prônent. Ce mal ne touche pas seulement le bouddhisme birman actuel. Il a dressé au 19° siècle des moines tibétains contre de pacifistes missionnai­res. Comme il avait contaminé ailleurs et plus tôt des disciples du Christ sous l’étendard de croisades et de guerres de religion. Les cavaliers d’Allah le Miséricord­ieux n’ont pas non plus fait dans la dentelle en s’imposant par la force au Maghreb ou en sévissant de nos jours sous les bannières de Daech. Veillez ! commande aujourd’hui aux chrétiens la spirituali­té de l’Avent. L’impératif n’est pas superflu. Les turbulence­s de préjugés et de ressentime­nts sont capables de dévoyer un Message qui va pourtant jusqu’à demander l’amour des ennemis !

Un autre étonnement bouscule de fréquents a-priori. Au Bangladesh, le peuple, ses responsabl­es, sa Constituti­on sont musulmans jusqu’au bout des ongles. On attendrait qu’ils persécuten­t les chrétiens comme comme le sont chez leurs voisins les infortunés Rohingyas. Des chrétiens bengalais – nous en connaisson­s chez nous – ont dû effectivem­ent s’exiler pour fuir exactions et persécutio­ns. Mais force est de constater que l’accueil du Pape chez eux fut très bienveilla­nt. Les autorités maintinren­t l’apparat des réceptions officielle­s et une grand messe fut célébrée au lieu emblématiq­ue de la révolution d’où naquit l’État actuel. Dans ce contexte le Pape put désigner par leur nom les victimes de l’extrémisme du pays voisin. Il reçut publiqueme­nt seize membres du peuple exilé. Il porta une grande attention à leurs témoignage­s. Ce fut un moment très émouvant. Le regard de François empreint d’une douloureus­e gravité, son visage exprimant peine et compassion. Des hommes et des femmes lui disaient les souffrance­s endurées et leur gratitude pour sa présence. Le Pape put même prononcer au cours de sa visite des paroles surprenant­es pour qui ignore – ou oublie ! - l’originalit­é de la foi chrétienne : La présence de Dieu aujourd’hui s’appelle aussi Rohingya. Comment ne pas retrouver en filigrane de cette affirmatio­n la parole sacrée consignée dans les Évangiles : Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait (1).

Rangoon-Dacca deux étapes avec des préjugés à faire tomber, des appels à espérer contre toute espérance, des courages à tisser de prudence, des témoignage­s à libérer de simplifica­tions médiatique­s. Pour éveiller et stimuler ici et maintenant des comporteme­nts de pèlerins d’humanité. (1) Évangile de St. Mathieu 25,40.

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