Irréductibles migrants
Les migrants nous posent de sérieux problèmes. Ils dérangent, ils gênent, ils font peur. Ils suscitent même des sentiments de culpabilité lorsqu’on prend conscience que ventes d’armes et exploitations sans vergogne des ressources de leurs pays d’origine comptent parmi les causes de leurs misères. Parties émergée d’un iceberg qui plonge dans les profondeurs de graves injustices géopolitiques. Les tragédies qui en découlent nous effarent. On comprend la persistance de l’Église à les prendre, avec bien d’autres, très au sérieux. Ainsi Benoît XV, dès 1914, instituait-il une Journée mondiale du Migrant et du Réfugié (1). Un siècle d’interventions pontificales sur ce même sujet ne peut éviter des redites. De fait, cette année-ci le Pape François reprend fréquemment l’enseignement de ses prédécesseurs. Mais il le présente de façon originale, avec un souci d’ouvertures très concrètes pour en faciliter l’application.
Tout commence par un rappel biblique qui décoiffe : l’étranger est à considérer comme un compatriote à aimer comme soi-même … en souvenir des épreuves subies jadis par le Peuple émigré du pays d’Égypte (2). Et la foi chrétienne va beaucoup plus profond encore en demandant d’Accueillir le Christ dans les réfugiés et dans les personnes déracinées de force (3). Sur cette base le message se déploie en s’articulant sur quatre verbes présentés comme repères pour l’action : Accueillir, Protéger, Promouvoir et Intégrer.
Accueillir signifie avant tout offrir aux migrants et aux réfugiés de plus grandes possibilités d’entrée sûre et légale dans les pays de destination. La balle est ici dans le camp des décideurs et de l’Administration. A eux en effet de programmer par exemple l’obtention de visas humanitaires et la possibilité de regroupements familiaux. Mais la balle est aussi à recevoir par chacun avec l’invitation à lancer des programmes d’accueil diffus, facilitateurs de rencontres interpersonnelles et de qualités de services élémentaires. Le Pape demande au passage de s’efforcer de préférer des solutions alternatives à la détention pour ceux qui entrent sur le territoire national sans autorisation. Les participants aux Cercle de Silence qui chaque mois manifestent à Toulouse pour des solutions alternatives à l’enfermement de sans-papiers dans les Centres de Rétention Administrative, apprécieront !
Avant d’être un devoir de secourir des blessés de la vie, Protéger s’impose d’abord en amont des départs par la diffusion d’informations sûres et certifiées. De quoi ternir les miroirs aux alouettes qui leurrent les migrants en leur faisant rêver à un mythique Eldorado européen. Puis, pour ceux qui parviennent à destination, la protection est à concrétiser par la liberté de mouvement et la possibilité de travailler… Nous voici encore loin du compte ! Une situation des plus sensibles concerne ici la protection des migrants mineurs, privés d’affection et de soutien familial (leurs parents tués ou disparus), vulnérables aux exploitation, à la drogue, à la prostitution … L’indignation ne suffit pas. Elle appelle immédiatement l’action.
Promouvoir réfère au droit de chaque personne à se réaliser dans toutes les dimensions qui composent l’humanité. Le propos pourrait n’être qu’incantatoire s’il n’invitait à prendre des dispositions concrètes comme l’obtention d’un travail et le regroupement familial, déjà mentionnés. Une attention particulière est à porter aux migrants handicapés. Ils sont à regarder et à traiter comme des personnes à part entière.
Intégrer apparaît alors comme le point d’orgue du message. L’entreprise est difficile car il ne s’agit pas d’une assimilation qui conduit à supprimer ou à oublier sa propre identité culturelle. L’intégration sera par contre le fruit d’une culture de la rencontre. A traduire au ras des pâquerettes en écoutes et en dialogues, éventuellement critiques mais toujours respectueux, entre personnes aux points de vue, aux goûts et aux couleurs contrastés.
Accueillir, protéger, promouvoir, intégrer, des verbes porteurs du sens à donner chaque jour à nos relations avec les proches et les étrangers !
(1) Journée fixée au dimanche suivant l’Épiphanie, cette année le 14 janvier. (2) Livre du Lévitique 19,34 (3) Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants. Cf. St Matthieu 25, 35, 43