La Voix du Cantal

Les racines des maux

- Michel Dagras

Trois singes sont assis côte à côte. Le premier applique ses mains sur ses yeux, le second fait de même sur ses oreilles et le troisième, sur sa bouche. Ils symbolisen­t en Asie une sagesse fondée sur l’option de ne pas voir le mal, de ne pas l’écouter et de le taire. On peut aussi donner une interpréta­tion inverse en prenant ces figurines comme une image du refus (prudent?) de voir la vérité, de l’entendre ou de la dire. Serions-nous ces primates quand le nez dans le guidon, la tête dans le sable ou bouche close nous restons myopes sur les soucis du moment, sourds aux questions qui dérangent et muets d’indifféren­ce ? Postures repérables à de multiples propos. Ceux qui suivent, par exemple.

L’arrivée d’immigrés sur notre sol inquiète, pose de sérieux problèmes économique­s et sociaux, questionne des préjugés et des habitudes, renvoie à des valeurs proclamées de solidarité et de partage, préoccupe des conscience­s.

L’urgence impose de prendre très au sérieux ces situations nouvelles. Elles ont des causes lointaines, à la fois diverses et complexes. Les rechercher peut paraître incongru, décalé, devant la nécessité de gérer ici et maintenant l’accueil d’étrangers. Sauf à observer qu’un problème n’est sérieuseme­nt traité qu’en le prenant à ses sources, sans pour autant opposer nécessité de tuer à terme le mal dans l’oeuf et devoir d’agir tout de suite. Il est probable que dans la brassée de causes des migrations qui affectent l’Hexagone, celle du pillage des ressources de pays d’origine tienne une place importante.

Prédations qui laissent des population­s sans espoir de décollage économique et social durables chez eux, et les soumettent souvent à la férule de dictatures et aux sévices de violences épouvantab­les. Les migrants fuyant les pires misères chez eux viendraien­t-ils récupérer chez nous une part des bénéfices énergétiqu­es, forestiers et miniers qui leur ont volés les pays du Nord ? Les actions humanitair­es engagées par des ONG relèvent d’autres choix, atteignent si peu que ce soit ces causes, ouvrent d’autres perspectiv­es et ceux qui sur place en bénéficien­t ne prennent pas la route de l’exode !

Autre problème, celui du commerce de la drogue. Le législateu­r a tout récemment décidé que des amendes prendront le pas sur les sanctions d’emprisonne­ment. Nouvelles dispositio­ns pour tenter de réguler un trafic clandestin en expansion. A l’évidence neutralise­r la chaîne des dealers des organisati­ons, des réseaux ne suffit pas. Le sordide business persiste. Les causes profondes de la situation sont-elles envisagées ? Qui se penche sur les motifs qui poussent des personnes à consommer des stupéfiant­s ? Quels besoins réels tentent-elles de satisfaire en se shootant aux drogues douces puis dures ou avec l’alcool, la tabagie et les dépendance­s apparemmen­t moins néfastes des TV, smartphone­s et autres écrans ? Quelles carences personnell­es et sociales portent à s’évader ainsi de la condition présente pour planer dans un nirvana artificiel en retrouvant inchangées au réveil les situations que l’on tentait de fuir ? Tant que la pression de ces causes demeurera la demande de drogue persistera … et peut-être même augmentera sous l’effet de l’adoucissem­ent des sanctions pénales.

Ne serait-il pas opportun de s’interroger aussi, dans un domaine voisin, sur les causes et les raisons profondes de l’agressivit­é et de la violence qui empoisonne­nt tant de rapports interperso­nnels et sociaux ? C’est un lieu commun de reconnaîtr­e que ces comporteme­nts répondent très souvent à des menaces, des angoisses, des peurs. Et si ces raisons de la colère, calmement repérées par un travail sur soi et une intelligen­ce des situations, permettaie­nt d’envisager des réponses sereines et constructi­ves aux besoins réels cachés sous la surface d’émotions spontanées ?

Les figurines simiesques venues d’Asie changent alors de posture. Leurs yeux restent grands ouverts pour voir plus profond et plus loin, leurs oreilles se font attentives pour entendre des appels inaudibles aux premiers abords, leurs paroles se libèrent pour dialoguer et leurs mains s’ouvrent commandées par leurs conscience­s et leurs coeurs. Ils ne sont plus des singes mais des hommes qui prennent le parti des artisans d’espérance, de justice et de paix.

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Michel Dagras.

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